Un nombre choquant de morts, mais aussi des luttes grandissantes sur place

Rassemblement en mémoire des mort.es et des disparu.es (Dakar, 21 novembre 2020). Source: AP Maroc

Table des matières

Introduction

1 Traversées maritimes et expériences AP

2 Nouvelles des régions

2.1 La route de l’Atlantique

2.2 Tanger et le détroit de Gibraltar

2.3 Les enclaves : Ceuta et Melilla

2.4 Nador et les forêts

2.5 Oujda et la zone frontalière algérienne

2.6 Algérie

3 Politique migratoire espagnole

4 Naufrages et personnes disparues

 

Introduction

2020 a été une année difficile pour des populations du monde entier. Les voyageur.euses des routes de Méditerranée occidentale et de l’Atlantique n’y ont pas fait exception. Iels ont fait face à de nombreux nouveaux défis cette année, et nous avons été témoins de faits sans précédents. Au Maroc et en Espagne, non seulement la crise du coronavirus a servi d’énième prétexte au harcèlement, à l’intimidation et à la maltraitance de migrant.es, mais les itinéraires de voyage ont aussi beaucoup changé. Un grand nombre de personnes partent à présent d’Algérie pour atteindre l’Espagne continentale (ou même la Sardaigne). C’est pourquoi nous avons commencé à inclure une section Algérie (voir 2.6) dans ces rapports. Deuxièmement, le nombre de traversées vers les Canaries a explosé, particulièrement ces trois derniers mois. Tout comme en 2006 – lors de la dénommée « crise des cayucos », lorsque plus de 30 000 personnes sont arrivées aux Canaries – des bateaux partent du Sahara occidental, mais aussi du Sénégal et de Mauritanie. Pour cette raison, nous avons renommé notre section sur les îles Canaries « route de l’Atlantique » (voir 2.1).

Le nombre d’arrivées sur les îles Canaries est presqu’aussi élevé qu’en 2006. Avec plus de 40 000 arrivées en 2020, le trajet en bateau vers l’Espagne est devenu l’itinéraire le plus fréquenté des voyages vers l’Europe. Il inclut, en même temps, l’itinéraire le plus mortel : la route de l’Atlantique, en direction des îles Canaries.

Ces faits sont terrifiants. A lui seul, le nombre de personnes mortes et de personnes disparues nous laisse sans voix. Nous dressons, tous les trois mois, une liste des mort.es et des disparu.es (voir section 4). Pour ce rapport, cette liste est devenue terriblement longue. Nous sommes solidaires des proches des défunt.es ainsi que des survivant.es de ce calvaire. A travers ce rapport, nous souhaitons mettre en avant leurs luttes. Nous éprouvons un profond respect et une profonde gratitude à l’égard de celles et ceux qui continuent de se battre, sur place, pour la dignité humaine et la liberté de circulation pour tous.tes.

Beaucoup d’exemples de ces luttes sont inspirants : à terre, aux frontières, en mer et dans les centres de rétention.

En Espagne, le gouvernement fait tout son possible pour freiner la migration (voir section 3). Ne pouvant empêcher la mobilité des personnes, la seule chose que ce gouvernement ait accompli c’est son échec spectaculaire à fournir des logements décents aux personnes nouvellement arrivées. Néanmoins, beaucoup d’Espagnol.es luttent pour les droits et la dignité des migrant.es. Nous avons été très inspiré.es par la CommemorAction organisée par des habitant.es d’Órzola, après la mort de 8 voyageur.euses sur les plages rocheuses du nord de Lanzarote. Ce ne sont pas les seul.es. : les citoyen.nes de Lanzarote ont publié un manifeste réclamant un traitement décent pour quiconque arriverait sur l’île, qu’il s’agisse de touristes ou de voyageur.euses en bateaux. Nous relayons leur affirmation : il est important de ne pas se laisser contaminer par le « virus de la haine ».

Nous saluons également les réseaux de solidarité qui soutiennent les personnes arrivées sur les autres îles : par exemple le réseau à l’initiative de la marche du 18 décembre en Grande Canarie, « Papeles para todas » (papiers pour tous.tes).

Des résistances apparaissent également dans les centres de rétention (CIE : centros de internamiento de extranjeros, centres de détention pour étrangers, équivalents des CRA, centres de rétention administrative en France). En octobre, une manifestation a eu lieu sur le toit du bâtiment du CIE d’Aluche (Madrid), ainsi qu’une grève de la faim organisée par les personnes qui y étaient détenues, après que le centre de rétention a rouvert ses portes en septembre.

Enfin, nous souhaitons mettre en lumière la lutte courageuse de la CGT, le syndicat des travailleur.euses de la Salvamento Maritimo, dont les membres se battent depuis longtemps pour plus d’effectif et de meilleures conditions de travail pour les gardes-côtes, à travers leur campagne « Más Manos Más Vidas » (« Plus de mains, plus de vies »). La CGT a fait la critique répétée de ce gouvernement qui injecte des fonds dans le contrôle migratoire sans pour autant subvenir aux besoins financiers des gardes-côtes, ce qui éviterait l’épuisement de leurs équipes et leur permettrait de faire leur travail comme il se doit.

Au Maroc, plusieurs militant.es ont dénoncé les violations de droits humains du gouvernement marocain, critiquant des pratiques discriminatoires d’expulsions et de déportations, mais dénonçant aussi la stigmatisation que de nombreuses personnes noires doivent endurer au sein du Royaume. Lors du sit-in organisé par l’AMDH Nador le 10 décembre dernier, des militant.es rassemblé.es sur la place « Tahrir » de Nador ont exigé plus de liberté d’expression, la libération des prisonnier.es politiques et le respect des droits humains. Ils y ont également exprimé le harcèlement infligé actuellement à des personnes migrant.es.

Sit-in organisé par l’AMDH le 10 décembre 2020. Source: AMDH Nador

De la même manière, dans un communiqué conjoint, doublé d’une lettre au Ministère de l’Intérieur, plusieurs associations (Euromed Droits, l’AMDH, Caminando Fronteras, Alarm Phone, le Conseil des Migrants) se sont prononcées contre la négligence des autorités marocaines en matière de sauvetage maritime.

Les voyageur.euses marocain.es ont également élevé la voix contre l’état déplorable des droits humains dans leur pays (voir le témoignage section 2.1) mais aussi contre les conditions désastreuses auxquelles iels font face à leur arrivée en Espagne, dont le manque de services de première nécessité dans le camp portuaire d’Arguineguín est un bon exemple.

Au Sénégal, les gens se sont organisées après les naufrages horrifiants qui ont eu lieu en très grand nombre dans la seconde moitié du mois d’octobre. Le gouvernement sénégalais a refusé de reconnaître le nombre élevé de morts (Alarm Phone estime jusqu’à 400 le nombre de personnes mortes ou disparues entre le 24 et le 31 octobre, voir section 4). Lorsque des militant.es et des jeunes ont cherché à organiser une manifestation, les autorités ont interdit une telle action. Pourtant, trois semaines plus tard, un rassemblement placé sous le slogan « Dafa doy » (Y en a assez!) a été organisé à Dakar. Des militant.es et des proches se sont réuni.es en mémoire des mort.es. Durant cette période, au Sénégal, de nombreuses personnes ont été actives sur Twitter, ont tenté d’organiser des hommages et se sont exprimées sur la mauvaise gestion du gouvernement sénégalais ainsi que sur les morts inqualifiables et inutiles.

Appel au rassemblement à Dakar, le 21 novembre 2020. Source: AP Maroc

1 Traversées maritimes et expériences AP

En 2020, 41 094 arrivées ont été répertoriées en Méditerranée occidentale, un nombre plus élevé que dans d’autres régions de la mer Méditerranée. Selon l’UNHCR, 71% de ces cas se sont rendus aux îles Canaries, 22% sur la péninsule et 7% aux îles Baléares. Le collectif Caminando Fronteras affirme qu’en comparaison à l’an dernier, les arrivées en Espagne ont augmenté de 28,7% mais que le nombre de morts a, lui, augmenté de 143%. Ces chiffres font de 2020 l’année la plus meurtrière. Notre expérience nous fait dire que ces chiffres élevés résultent du manque de moyens engagés par les gardes-côtes, voire du manque de moyens mis à leur disposition, pour surveiller la gigantesque zone SAR espagnole, particulièrement lorsque des embarcations partent de très loin au Sud. Malgré les courageux efforts de nombreux.ses employé.es de Salvamento Maritimo, l’augmentation considérable de départs en bateaux requiert plus d’employé.es et plus de moyens. Cependant, il n’en reste pas moins que le danger de plus en plus grand du trajet est dû à la négligence des gardes-côtes, particulièrement des gardes-côtes marocains, mais aussi de leurs homologues espagnols. Cette négligence criminelle peut avoir, et a souvent, des conséquences mortelles.

Entre octobre et décembre 2020, Alarm Phone a aidé 60 cas en Méditerranée occidentale et dans l’Atlantique, avec une augmentation de plus de 50% par rapport à l’hiver 2019, durant lequel Alarm Phone a pris en charge 39 cas. Parmi ces cas, 44 se soldèrent par une bonne arrivée en Espagne tandis que six bateaux ont dû retourner au Maroc et au Sahara occidental (deux d’entre eux y sont retournés de manière autonome, quatre ont été interceptés par les autorités). Deux bateaux ont été déclarés disparus et deux autres ont fait naufrage. En dépit des efforts d’Alarm Phone pour suivre tous les cas, nous ne savons toujours pas ce qu’il est advenu des six derniers bateaux.

Quelques cas Alarm Phone de ces quatre derniers mois

L’un des naufrages que nous souhaitons relayer date du 6 décembre et concerne un bateau transportant 13 personnes, dont 9 femmes et un enfant. Des problèmes de moteur sont survenus sur le bateau au large des côtes marocaines. Les autorités ont été alertées et ont mené une mission de recherche, en vain. Le jour suivant, les vestiges d’un pneumatique ont été retrouvés sur le rivage marocain. Deux survivant.es étaient à bord, ainsi que deux corps. Les autres passager.es n’ont pas été retrouvé.es.

Un homme, qui a perdu son épouse dans le naufrage et a été en contact avec Alarm Phone, a écrit ce témoignage dans lequel il explique ses tentatives vaines pour pousser la Marine marocaine à agir :

« Je veux dénoncer les autorités marocaines.
J’ai assisté à la scène du début à la fin.
Ils les ont vus mourir sous leurs yeux et n’ont rien fait pour les sauver.
J’ai tout fait, je leur ai dit « Désolé mais il y a un bébé à bord ! »
Ils n’ont rien fait.
A 23h, j’ai envoyé la localisation à la Marine marocaine et ils n’ont pas déplacé leur bateau.
Si vous voulez aider, aidez-moi à être visible dans les médias, je veux les dénoncer publiquement.
C’est un pays raciste. Dans ce pays, j’ai déjà perdu beaucoup de mes ami.es en mer. »

Le second naufrage s’est déroulé le 23 décembre, à environ 14 miles nautiques au large des côtes de Laâyoune (officiellement en zone SAR espagnole). Les autorités espagnoles et marocaines ont été informées, mais n’ont pas fait en sorte d’agir assez rapidement pour procéder à un sauvetage. Le bateau, qui transportait 62 personnes, a fait naufrage. 45 personnes ont survécu, un corps a été retrouvé et 18 personnes ont disparu. Nous exprimons notre solidarité aux familles de celles et ceux qui ont disparu dans ce naufrage. Que cet évènement soit un nouveau rappel : les frontières de l’Europe tuent.

2 Nouvelles des régions

2.1 La route de l’Atlantique

Lors de la rédaction de notre dernier rapport, nous décrivions l’accroissement considérable des arrivées. A ce moment-là, des centaines de personnes arrivaient, parfois en l’espace d’un ou deux jours. Nous parlons maintenant de milliers d’arrivées en quelques jours. Ces trois derniers mois, environ 16 000 voyageur.euses ont atteint les îles Canaries. C’est plus des deux tiers des 22 249 personnes qui ont emprunté cet itinéraire en 2020. Chacun.e d’entre elleux a passé plusieurs jours en mer, couvrant des centaines voire des milliers de kilomètres sans GPS, souvent sans assez de nourriture ni d’eau. Iels ont survécu à la route vers l’Europe la plus meurtrière. Nous les saluons et leur souhaitons à tous.tes la bienvenue – nous sommes solidaires !

Nous portons également le deuil pour celles et ceux qui ont perdu la vie dans l’immensité de l’océan Atlantique. L’OIM dénombre à ce jour 593 morts pour l’année 2020, mais nous pensons que les chiffres réels sont bien plus élevés. En ne regardant que les chiffres de ces trois derniers mois, et pour ne parler que des bateaux qui nous ont contacté.es, nous dénombrons 100 personnes dont le sort reste encore incertain. Si l’on inclut les personnes mortes et disparues des naufrages dont nous avons eu vent par le biais d’activistes locaux au Sahara occidental et au Sénégal, nous devons y ajouter 150 à 300 personnes de plus. Si nous additionnons ces chiffres, nous obtenons déjà un total de 250 à 400 personnes mortes ou disparues ces trois derniers mois. Il semble donc impossible que les chiffres donnés par l’OIM soient exacts : ils devraient être bien plus élevés. La Croix Rouge estime qu’environ 5 à 8% des bateaux disparaissent sans laisser de traces, portant le nombre de mort.es et de disparu.es en 2020 entre 1000 et 1700. L’ONG espagnole Camimando Fronteras a dénombré 1851 morts. Etant donnés nos chiffres et ces estimations, nous croyons qu’il n’est pas exagéré de supposer que le taux de mortalité sur la route des îles Canaries est au moins d’une personne sur 12 qui tentent la traversée.

Le 23 octobre, un bateau transportant approximativement 200 personnes a chaviré le long des côtes de Mbour au Sénégal, après que le moteur a explosé. Seules 51 personnes ont été sauvées par des pêcheurs et par la Marine marocaine. Source : AP Maroc, vidéo prise par des pêcheurs sénégalais

Mis à part tous les appels de détresse que nous avons reçus, un évènement récent mérite une attention spéciale : dans le cas AP 591, nous avons été en mesure de recevoir une position du bateau en détresse, ce qui est inhabituel. Le bateau transportait environ 56 passager.es (qui s’avérèrent plus tard être plus nombreux.ses). Nous avons reçu une position à 23h41, le 23 décembre, et avons immédiatement alerté les autorités espagnoles et marocaines. La position indiquait que le bateau était à 14 miles nautiques (environ 26km) des côtes du Sahara occidental. Du fait que cette région soit officiellement une zone SAR espagnole (un legs de l’ancienne présence coloniale espagnole sur le Sahara occidental), nous sommes parti.es du principe que Salvamento Maritmo était l’autorité compétente. Cela a pourtant été infirmé par le SM. Aucun des gardes-côtes, ni espagnols ni marocains, n’ont opéré de sauvetage du bateau. Les conséquences en ont été catastrophiques. Avec seulement 44 survivant.es, bien qu’une personne soit décédée ultérieurement à l’hôpital, et 18 mort.es ou disparu.es, ce naufrage est l’un des plus meurtriers de cette période. Ces morts auraient si facilement pu être évitées !

Position du bateau transportant 56 voyageur.euses, dans la zone SAR espagnole. Source: Alarm Phone

Il y a eu une augmentation phénoménale de bateaux partis du Sénégal et de Mauritanie. Le premier week-end de novembre, presque 2000 personnes sont arrivées sur les îles Canaries en seulement 48 heures (un chiffre record), nombre d’entre eux sur des bateaux de pêche en bois (les dénommés « cayucos ») venus du Sénégal et de Mauritanie et transportant 100 à 200 personnes. Ce nombre plus élevé de personnes parties du Sénégal est largement attribuable à la crise du Covid-19. L’accroissement de la pauvreté, le chômage, ainsi que la fermeture des frontières terrestres avec le Maroc ne laissent que peu d’autres choix que de risquer la dangereuse traversée des 1500km qui séparent le Sénégal des îles Canaries. Nombre d’entre elleux n’atteignent pas les îles Canaries car ils sont à court de carburant, d’eau, ou qu’ils se perdent au cours de la traversée. S’iels sont chanceux.ses, iels se retrouvent dans d’autres pays, par exemple en Mauritanie, au Sahara occidental ou au Cap-Vert. C’est ce qui est arrivé, le 16 novembre 2020, aux survivant.es d’un bateau dont le moteur a explosé. 60 à 80 personnes supplémentaires y sont soit mortes soit disparues. A., un militant d’Alarm Phone, a accompagné les survivant.es de l’un de ces naufrages le 14 novembre :

« Des arrestations surviennent aussi quand les gens essayent de migrer. Un bateau a quitté la Mauritanie le 4 novembre avec 63 personnes. 12 d’entre elles se sont perdues en mer au cours du voyage. Ceux qui restaient n’ont rien eu à boire ou à manger pendant neuf jours, et lorsqu’ils ont accosté sur les rives de Boujdour [au Sahara occidental] le 14 novembre ils étaient 51, dont 3 femmes. Ils ont été récupérés par les militaires et envoyés en centre de rétention à Boujdour. »

Les survivant.es d’un naufrage arrivent sur les rives du Sahara occidental.
Iels seront plus tard envoyé.es en centre de rétention. Source : AP Maroc

Cependant, pour beaucoup de voyageur.euses, les difficultés commencent directement au moment du départ. En essayant d’intercepter des embarcations dans les eaux territoriales sénégalaises, l’état sénégalais se rend complice du système frontalier européen. La nuit du 25 au 26 octobre, la Marine sénégalaise a intentionnellement et brutalement heurté un bateau dont le capitaine refusait de s’arrêter. Le bateau transportait plus de 80 personnes. Il était parti de Soumbédioun (Dakar). Un témoin raconte :

« Lorsque la Marine nous a aperçu.es, ils ont essayé de nous arrêter. Nous étions à proximité d’une île (Madelaine) et le capitaine a essayé de se rendre là-bas, à terre, pour éviter d’aller en prison. La Marine nationale sénégalaise a demandé à deux reprises à ce qu’on s’arrête, mais le capitaine a continué. La Marine nous a heurté avec leur bateau et n’a secouru personne jusqu’à ce que la Marine espagnole arrive. Ensemble, les Marines ont secouru 39 personnes, les autres sont mortes noyées. J’ai passé trois heures dans l’eau avant d’être secouru. »

Le Sénégal utilise d’autres moyens pour dissuader les gens de partir. Le père d’un garçon de 14 ans mort sur la route des îles Canaries, ainsi que deux autres parents dont les enfants ont survécu, sont aujourd’hui en procès pour « complicité de trafic de migrants » ; leurs avocats dénoncent les peines excessives exigées par l’accusation dans un but dissuasif.

Mais les gens arrivent aux îles Canaries, y compris en partant de pays bien plus éloignés que le Sénégal. Le journal espagnol El Pais décrit comment des personnes, parties par exemple du Nigéria, passent parfois plusieurs semaines cachées dans le minuscule espace au-dessus du gouvernail de gigantesques bateaux de marchandises. Depuis le mois d’août, 20 personnes sont arrivées aux îles Canaries par ces moyens extrêmement dangereux, mais il n’est pas possible de savoir combien sont mortes dans leur tentative.

Parmi les voyageur.euses, beaucoup sont des nationaux marocains. Iels constituent environ la moitié des arrivées sur les îles Canaries, fuyant le pays à cause du chômage et du manque d’opportunités ou de la persécution politique et du fait qu’ils ne peuvent s’exprimer librement. O., l’un.e des résistant.es, récemment arrivé.e aux îles Canaries, témoigne :

« La première chose que j’aimerais dire c’est que je suis triste. Parce que j’ai perdu des ami.es qui essayaient aussi de venir ici. Mais la mer a gagné, ils sont maintenant au paradis. […] La situation au Sahara occidental est une blague. Le gouvernement ne prête attention à aucun des appels à l’aide venus de migrant.es. Ils n’envoient pas d’unités de secours. Ils préférent qu’on meure, ils s’en foutent de nous. C’est pour ça qu’on s’enfuit, ils ne nous voient pas comme des êtres humains. Ils nous voient comme des pantins au bout de ficelles. »

Situation aux îles Canaries

La situation aux îles Canaries est épouvantable pour les voyageur.euses qui y arrivent. Des milliers de personnes vivent dans des tentes de fortune à même le bitume du port d’Arguineguín (Grande Canarie), qui s’est fait connaître internationalement comme le « quai de la honte ».

Le port surpeuplé d’Arguineguín. Source : Javier Bauluz

Le camp a été démonté en novembre. Environ 2 600 personnes vivaient là temporairement, bien que la capacité de l’espace était initialement limitée à 400 personnes. Des ONG ont longtemps déploré le manque de services, par exemples de conseils légaux, de services d’interprétariat, d’hygiène élémentaire, de mesures de distanciation adéquates, etc. De graves violations des droits humains ont été constatées. Par exemple, des avocat.es ont signé des ordres d’expulsion sans même avoir communiqué avec leurs client.es, ou avoir fait appel à des interprètes. Des militant.es des droits de l’homme ont estimé que le camp était illégal puisque, sous la législation espagnole, les voyageur.euses doivent être libérées 72 heures après leur arrivée. Iels ne devraient pas être détenu.es dans ces prisons à ciel ouvert pendant plus de 15 jours.

Maintenant que le camp a été démonté, certain.es de ses résident.es ont été relogé.es dans des villages composés de tentes de fortunes, par exemple dans l’enceinte du CIE de Barranco Seco, vestige délabré d’un ancien bâtiment carcéral. Bien que le camp soit censé pouvoir accueillir 800 habitant.es, il ne propose que 200 lits. L’ONG Médecins du Monde signale que ces hébergements provisoires reproduisent la situation à Arguineguín, puisque les gens y sont encore enfermées et que les ONG n’y ont pas suffisamment accès pour pouvoir y fournir des services. D’après ces ONG, le camp militaire perpétue un « modèle de criminalisation » au sein duquel les résident.es sont traité.es comme des détenu.es plutôt que comme des personnes détentrices de droits humains. Certain.es résident.es de nationalité marocaine se sont déjà exprimé.es sur ces conditions de vie lamentables, racontant qu’on n’y trouvait aucune installation de douche et que les résident.es n’ont  pu bénéficier ni de vêtements ni de literie appropriées au climat froid et humide de novembre, forcé.es de garder les chemises et les shorts qu’iels portaient à leur arrivée.

Il y a plusieurs semaines, le syndicat de police JUPOL a exigé que plus de personnels et de moyens leur soient alloués, du fait de l’augmentation dramatique d’arrivées. Mi-décembre, le gouvernement a approuvé une aide de 83 millions d’euros pour aider à la gestion de la crise humanitaire aux îles Canaries. Cela reste très peu comparé aux centaines de millions d’euros attribués par l’Espagne aux pays de départ pour empêcher les populations d’exercer leur droit de circulation. Le gouvernement espagnol prévoit à présent de construire sept centres d’urgence pour accueillir les milliers de personnes nouvellement arrivées. 65% des voyageur.euses secouru.es sont emmené.es à Grande Canarie, 20% à Tenerife et 10% à Fuerteventura (les 5% restants vont dans d’autres îles de l’archipel). La construction du premier de ces sept camps d’urgence, avec une capacité de 300 personnes, a été achevée fin décembre.

Pendant ce temps, il est devenu impossible de continuer le voyage vers l’Espagne continentale, le gouvernement ayant fermé les aéroports à toute personne arrivée irrégulièrement. Alors qu’il était auparavant possible d’acheter un billet d’avion avec un passeport étranger (marocain par exemple), les gens ne peuvent à présent plus continuer leur voyage vers le continent, transformant, en plein milieu d’une crise humanitaire, les îles Canaries en un ensemble d’îles-prisons.

Situation au Sahara Occidental / Maroc

Dans les villes de Dakhla et de Laâyoune et sur les plages atlantiques, les autorités marocaines poursuivent leur programme de harcèlement et de déplacements forcés. Bien que les expulsions vers la frontière mauritanienne n’aient plus lieu, il est fréquent que des personnes noires soient emmenées vers des villes du Nord, telles que Tan Tan ou Agadir, à des centaines de kilomètres de chez elles. B., militant d’Alarm Phone, souligne également à quel point il est devenu difficile pour des étranger.es de subvenir à leurs propres besoins.

On a interdit aux migrant.es qui travaillent en usines [dans le secteur de la pêche et dans les activités portuaires] de retourner travailler. Celles et ceux qui gagnent de l’argent avec de petits business (dans le secteur informel) se font toujours arrêter, et leurs biens sont confisqués.

Des personnes noires sont également stigmatisées en tant que porteuses du Covid-19, raison pour laquelle des  après l’allègement des mesures de confinement. Sur place, des défenseur.euses des droits de l’homme exigent clairement des autorités marocaines l’extension de la validité de tous les titres de séjour, même lorsque les détenteur.ices de ces titres ont perdu leur travail, du fait de la pandémie.

De plus, les autorités marocaines ont considérablement fait progresser leur programme de sécuritarisation au Sahara occidental. A., activiste d’Alarm Phone, raconte :

Le long de la côte de Laâyoune, il existe de petites structures avec des postes de surveillance à intervalles courts de 2km. Des tentes ont même été montées entre ces postes de surveillance, en particulier à des endroits considérés comme étant fréquemment utilisés comme lieux de départ.

Enfin, ces trois derniers mois ont vu naître un revirement des politiques d’expulsion. En septembre et en octobre, après l’assouplissement des restrictions liées au Covid-19, le Maroc a organisé un certain nombre de vols d’expulsion depuis l’aéroport de Dakhla. Ces expulsions de citoyen.nes africain.es de différentes nationalités, y compris des femmes et des enfants, ont été réalisées avec la collaboration des autorités sénégalaises et guinéennes. Depuis, le Maroc semble avoir mis fin à ces pratiques, revenant à des formes de réinstallation forcée de voyageur.euses sur le territoire qu’il prétend contrôler, après les avoir intercepté.es sur des bateaux et enfermé.es dans des centres de rétention.

Les survivant.es du naufrage du 23 décembre sont déplacées de l’hôpital jusqu’à un centre de rétention. Bien qu’iels aient passé quatre jours en mer et vu 18 de leurs camarades mourir, iels n’ont pas reçu de soins adéquats (ni nourriture ni eau) de la part des autorités marocaines. Source: AP Maroc

2.2 Tanger et le détroit de Gibraltar

Ces derniers mois, on constate moins de violences à Tanger, qui était auparavant un centre migratoire et un point de départ important de voyageur.euses subsaharien.nes essayant de rejoindre l’Europe par l’étroit détroit de Gibraltar. Des militant.es tangérois.es d’Alarm Phone signalent qu’en comparaison de ces dernières années, de moins en moins de voyageur.euses subsaharien.nes séjournent dans la ville portuaire. Cela n’empêche pas les autorités marocaines de continuer à fouiller leurs domiciles sans les en avertir, procédant à des arrestations sur critères raciaux qui se soldent par des expulsions ou des incarcérations. La répression à Tanger, le renforcement militaire sur la côte nord, l’accroissement des déplacements forcés au sein du pays et jusqu’aux expulsions de voyageur.euses vers leur pays d’origine, ont conduit à pérenniser le déplacement vers le sud des trajectoires migratoires. Ce phénomène a déjà a été souligné au sein de nos rapports.

Le nombre de traversées vers l’Europe est relativement bas, non seulement à cause des mauvaises conditions climatiques, mais aussi du fait des mesures de sécurité drastiques qui ont violemment été mises en œuvre par les Forces auxiliaires marocaines à Tanger et dans ses alentours. Néanmoins, certain.es d’entre elleux osent tenter le voyage vers l’Europe. L’Alarm Phone a accompagné trois bateaux partis de cette zone. Sur ces bateaux, des hommes, des femmes et des enfants, parfois en bas âge. Tous.tes ont été ramené.es au Maroc.

Des voyageur.euses sont parvenu.es à atteindre l’Europe. Le 25 octobre, Helena Maleno signale qu’un convoi de 7 personnes parties de Tanger est arrivé à Algeciras. Les voyageur.euses sont sain.es et sauf.ves. En l’espace du seul mois d’octobre, des activistes et des ONG ont identifié onze convois partis de cette zone. Ils transportaient 144 personnes. Mais le mois d’octobre a également été le théâtre de l’horrible découverte d’un corps dans le détroit de Gibraltar. Ce mois-là, d’après ce que nous savons, 71 personnes au moins sont arrivées à Algeciras, comme détaillé dans les posts d’Helena Maleno :

01.10. “#BOZA convoi avec 10 personnes sorti Tanger arrive Algeciras”
01.10. “#BOZA convoi avec 6 personnes sorti Tanger arrive Algeciras”
10.10. “#BOZA convoi avec 24 personnes arrive Algeciras”
12.10. “#BOZA convoi avec 17 personnes sorti Tanger arrive Algeciras”
17.10. “#BOZA convoi avec 14 personnes sorti Tanger arrive Algeciras”
33 personnes à Ceuta (01.10. “2 convois avec 4 et 13 personnes sorti Tanger arrive Ceuta”, 16.10. “2 convois avec 9 et 7 personnes arrive à Ceuta”)
et 22 personnes à Cadiz.

Dans ces circonstances difficiles, les membres d’AP Tanger, souvent elleux-mêmes dans des conditions précaires, sont activement engagé.es dans le soutien aux personnes et témoignent de leur attente difficile, qui les oblige souvent à quémander de l’argent dans les rues pour survivre. Profitant de la précarité des populations migrantes, les autorités marocaines procèdent à des attaques violentes et systématiques contre ces personnes. Les rares personnes ayant choisi de rester dans la ville se soumettent au risque des rafles et des expulsions.

Bien qu’il y ait aujourd’hui bien moins de voyageur.euses subsaharien.nes dans la ville qu’auparavant, les autorités ne manquent aucune opportunité d’user de la force contre celles et ceux qui y sont toujours. Des membres d’Alarm Phone pensent qu’il s’agit principalement d’une volonté d’intimider et de repousser le plus de personnes noires possibles hors de la ville. Des rafles de plus en plus fréquentes ont été signalées ces deux derniers mois. D’après les équipes locales d’AP, des expulsions de nationaux sénégalais sont actuellement à l’œuvre. Le 29 septembre, dans la région de Boukhalef, plusieurs hommes ont été arrêtés à leur domicile et déportés vers le Sénégal. Des activistes locaux ont signalé plusieurs arrestations dans les forêts de la région tangéroise, et ont été informés de déportations vers le Mali. Du fait de cette situation difficile, de nombreuses personnes vont vers le Sud (Sahara occidental, Mauritanie et Sénégal) pour tenter la traversée.

Depuis plusieurs années, un groupe de militant.es d’Alarm Phone à Tanger fait constamment état de la situation et communique sur place avec les personnes qui souhaitent quitter le Maroc. Des membres locaux d’Alarm Phone leur expliquent comment fonctionne Alarm Phone et partage avec elles d’autres numéros d’urgence susceptibles de sauver des vies. Nous avons constaté, ces derniers mois, que la situation à Tanger est de plus en plus calme. Mais ce silence est trompeur car, comme nous le savons, les personnes en partance continuent de souffrir du racisme structurel et de la violente gestion migratoire que le Maroc et l’Union Européenne mettent en œuvre. Bien que ce ne soit pas très visible, des personnes continuent d’essayer de lutter pour défendre leur droit à la libre circulation en partant de Tanger, la porte de l’Europe, vers l’Espagne.

2.3 Les enclaves : Ceuta et Melilla

Du côté espagnol, après que le Maroc a fermé ses frontières avec Ceuta et Melilla en mars 2020, des centaines de Marocain.es sont resté.es coincé.es dans les enclaves pendant plus de six mois. Les rapatriements n’ont commencé qu’à la fin du mois de septembre puis se sont poursuivis à un rythme très lent. De l’autre côté, 9000 familles marocaines ont été touchées par la fermeture de ces frontières, puisque les travailleur.euses qui les franchissaient quotidiennement ne peuvent désormais plus entrer dans les enclaves. A l’heure qu’il est, les travailleur.euses n’ont toujours pas reçu de compensation pour la perte de leurs revenus. Ce chômage forcé, ainsi que la perte d’emplois déclarés, ont accru les tentatives pour atteindre les enclaves par voie maritime, et pour rejoindre Ceuta en particulier.

Entre la fin du mois de septembre et le 27 décembre, 513 voyageur.euses ont rejoint les enclaves (299 pour Ceuta et 214 pour Melilla), s’ajoutant à un total de 856 arrivées à Ceuta et 1485 à Melilla en 2020, selon l’UNHCR. Alors que la plupart des voyageur.euses rejoignaient Ceuta par les voies terrestres en 2019, cette année presque toutes les traversées ont été faites par la mer. Depuis juillet, de plus en plus de jeunes ont essayé de rejoindre Ceuta à la nage depuis la ville marocaine de Fnideq (Castillejos), à seulement 600 mètres de la frontière. Selon d’où l’on part, atteindre Ceuta peut prendre entre trois et cinq heures. D’après les forces de sécurité espagnoles, en moyenne cinq personnes par jour essayent de rejoindre Ceuta à la nage, portant parfois des combinaisons de plongée et des palmes. La plupart des nageur.euses préfèrent partir la nuit pour éviter la zone frontalière surveillée par la Guardia Civil à l’aide de caméras de détection infrarouges.

Celles et ceux qui arrivent à Ceuta, que ce soit en bateau (par exemple le 5 décembre), dans des embarcations plus petites (comme le 25 décembre), en se cachant dans des camions (réfrigérés) (comme le 20 décembre) ou à la nage (comme le 21 octobre et le 12 décembre) sont intercepté.es par les autorités et doivent passer 10 jours en quarantaine sur un bateau situé dans le district de Tarajal. Néanmoins, beaucoup ne survivent pas à ce trajet extrêmement dangereux (voir section 4). La plupart d’entre elleux sont forcé.es de l’emprunter du fait de la militarisation croissante de la frontière terrestre.

Bien que la construction d’une double barrière « moins sanglante » continue autour des deux enclaves (voir nos derniers rapports), la construction de ce nouveau système reste inachevé à certains endroits. Le Maroc, toutefois, est bien plus rapide qu’auparavant à utiliser ses subventions pour renforcer ses frontières avec l’Espagne à l’aide de fosses et de fil barbelé, ce qui contribue à pousser les voyageur.euses vers la route des Canaries et à emprunter la voie maritime. Certains exemples prouvent néanmoins qu’il est toujours possible de traverser la frontière terrestre et que des personnes risquent encore leur vie pour le faire. Deux d’entre elles sont arrivées à Ceuta en grimpant les nouvelles barrières, l’une le 3 décembre et l’autre le 11 décembre.

Malheureusement, le 20 novembre, la Cour Constitutionnelle a adopté, presque dans son entièreté, la loi dite de Protection de la Sécurité Citoyenne (Ley de Protección de la Seguridad Ciudadana, LOPSC), qui offre un soutien légal à la longue tradition des pratiques dites d’« expulsions à chaud » des personnes à la frontière. Nous devons insister sur le fait qu’on procède à ces « expulsions à chaud » sans que les personnes concernées soient en mesure de demander l’asile, et encore moins de faire examiner leurs demandes. Pour quiconque n’est pas juriste, il s’agit très clairement d’une infraction au principe de non-refoulement. Le tribunal n’a statué contre ces expulsions immédiates que dans les cas où les entrées sur le territoire sont « individualisées », sous « contrôle judiciaire complet » et « conformes aux obligations internationales ». Il est clair que quiconque cherchant une protection internationale n’entre jamais à Melilla et à Ceuta dans ces conditions. La loi autorise également les forces de l’ordre à mener des fouilles corporelles, quoiqu’on leur ait demandé de prêter une « attention particulière » aux catégories de personnes vulnérables (mineur.es, femmes enceintes et personnes âgées). Alarm Phone, ainsi que 80 autres organisations et juges, condamnent fortement ces pratiques et la législation sur laquelle elles sont fondées, et exigent l’interruption immédiate des expulsions « à chaud ».

Le 10 décembre, 33 voyageur.euses ayant alerté AP après avoir atteint Melilla en bateau ont été transféré.es au CETI local (Centro de Estancia Temporal de Inmigrantes). La situation dans les CETI est toujours extrêmement précaire et mène à des révoltes ainsi qu’à des tentatives de suicide. Un homme qui, le 26 août dernier, avait essayé d’escalader la barrière pour entrer dans le CETI de Jaral à Ceuta, a été condamné à quatre mois d’emprisonnement pour avoir prétendument blessé un gardien du centre.

Carlos Montero Díaz, directeur du centre de Melilla depuis 2012, a été redéployé en tant que nouveau directeur des centres d’accueil aux îles Canaries. Nous craignons qu’il ait été chargé de créer un nouveau camp de Moria. Pendant ce temps, malgré la décision de la Cour Suprême en juillet 2020 confirmant le droit d’un.e demandeur.euse d’asile enregistré.e de se déplacer vers l’Espagne continentale, des milliers de personnes sont toujours piégées dans les enclaves. Les autorités ne feront en sorte ni d’organiser leur transfert, ni de les autoriser à organiser elles-mêmes leur passage vers la péninsule. A la place, le Ministre de l’Intérieur a plutôt l’intention de renforcer leurs expulsions et d’empêcher illégalement leur libre circulation.

Par ailleurs, il reste impossible de suivre des mesures d’hygiène élémentaire et de distanciation sociale dans les centres, ce qui a mené à l’apparition de plusieurs foyers infectieux de Covid-19, contaminant des centaines de personnes. Comme les CETI menacent de s’effondrer, des abris d’urgence provisoires pour les voyageur.euses les plus vulnérables ont été construits dans des hôtels et des lieux publics. Beaucoup de voyageur.euses, en particulier des mineur.es, sont forcé.es de vivre à la rue dans les enclaves, cherchant souvent refuge dans des immeubles abandonnés. Des tentes, qui avaient initialement été montées et envisagées comme des solutions temporaires à la surpopulation des centres pour mineur.es non-accompagné.es pendant la pandémie, ont été détruites par des tempêtes (voir aussi les rapports précédents). Bien que les municipalités envisagent la construction de nouveaux centres pour les jeunes voyageur.euses, le financement de ces projets reste incertain. Cela signifie que les gouvernements des enclaves ne parviennent pas à proposer de prise en charge adéquate pour les mineur.es.

Le racisme est aussi endémique dans les salles de classe de Ceuta et Melilla. « Des frontières y ont également été imposées et en empêchent l’entrée. » Selon la législation actuelle, tou.te mineu.re, où qu’iel réside sur le territoire national, a le droit à une scolarisation gratuite au sein du système éducatif fourni par l’état. Mais du fait d’un manque cruel de volonté politique et en dépit de multiples recommandations, les administrations des enclaves ne respectent ni le droit à l’éducation ni le droit à l’égalité. Elles prétendent que les enfants n’ont pas de permis de résidence et ne peuvent être inscrits. Une campagne pour la scolarisation dans les enclaves, qui a recueilli 100 000 signatures, entame aujourd’hui des procédures légales, rappelant les administrations à leurs responsabilités quant à la garantie d’accès à l’éducation pour les mineur.es.

Nous continuons à demander justice et dignité pour celles et ceux qui exercent leur droit à liberté de circulation, et espérons que les enclaves, qu’elles deviennent leurs lieux de résidence ou soient des lieux de passage, restent une étape d’accueil dans leur trajectoire migratoire longue et compliquée.

2.4 Nador et les forêts

Les traversées depuis Nador sont encore difficiles pour les ressortissant.e.s subsaharien.ne.s. Bien que sur la période couverte par ce rapport, des embarcations aient réussi plus ou moins régulièrement à atteindre le continent espagnol en partant de la zone de Nador, la route semble toujours largement bloquée. C’est particulièrement vrai pour les personnes issues des communautés subsahariennes. Au cours des années précédentes, les personnes originaires de pays au sud du Sahara traversaient beaucoup plus fréquemment depuis Nador. De temps en temps, des personnes originaires des pays subsahariens parviennent à organiser un “convoi” et à échapper aux contrôles. C’était le cas le 8 novembre (41 personnes secourues à Motril) ou le 29 novembre (54 voyageur.euse.s secouru.e.s à Motril). Mais d’après ce que l’on sait, ce sont surtout des ressortissant.e.s marocain.e.s qui sont parti.e.s de Nador entre octobre et fin décembre.

Les sept bateaux qu’Alarm Phone a accompagnés depuis la région de Nador sur cette période transportaient des ressortissant.e.s marocain.e.s. Il est actuellement très difficile pour les ressortissant.e.s subsaharien.ne.s d’organiser la traversée. Cela est dû à plusieurs facteurs. La situation de celleux qui se cachent dans les forêts autour de Nador est extrêmement précaire tous les hivers, mais elle l’est d’autant plus en ces temps de Covid-19 . En outre, le prix des traversées semble avoir augmenté, peut-être en raison de la répression plus sévère des personnes arrêtées lors des raids et accusées d’organiser des voyages.

Outre les “harraga” marocain.es (voyageur.euse.s nord-africain.e.s empruntant les routes clandestines), d’autres communautés parviennent également à organiser les traversées depuis les plages de Nador. Le 24 novembre, un convoi de 44 passager.e.s en direction de Motril a été secouru avec, selon la presse, principalement des voyageur.euse.s de nationalités “asiatiques”.

Cas exceptionnels :

  • Le 1er octobre, six à huit (nombre non confirmé) voyageur.euse.s sont arrivé.e.s sur les îles espagnoles de Chafarinas. Au lieu d’organiser leur transfert vers le continent espagnol afin de lancer une procédure d’asile régulière, les militaires espagnols ont attendu l’arrivée de la Marine Royale marocaine pour ramener les personnes au Maroc. Encore un énième refoulement qui nie le droit des personnes concernées à demander une protection internationale en Espagne. Il convient de noter que ce type de traversées s’avère parfois être des réussites. L’une d’entre elles a eu lieu le 20 novembre, lorsque deux voyageurs sont arrivés en jet-ski sur un îlot espagnol et ont finalement été transférés à Melilla).
  • Le 30 octobre, les autorités ont arrêté 74 voyageur.euse.s près de la plage de Kariat Arekmane et les ont conduits au célèbre centre de détention d’Arekmane, un endroit dont nous avons parlé dans de précédents rapports. Nous n’avons pas pu trouver plus d’informations sur le lieu où iels se trouvent actuellement.
  • Le 4 novembre, quatre mineur.e.s non accompagné.e.s sont mort.e.s alors qu’iels tentaient d’atteindre le port de Nador afin de traverser vers Melilla. Selon les informations recueillies par l’organisation marocaine des droits de l’homme AMDH Nador, les quatre mineur.e.s ont tenté de traverser par un canal d’évacuation d’un diamètre de 40 centimètres seulement. Ce conduit transporte l’eau de pluie du terminal des ferries vers la mer. Les enfants devaient être très jeunes pour pouvoir entrer dans un tel tuyau. Trois d’entre elleux sont morts à l’intérieur du tuyau, bien que les détails soient inconnus. Le.a quatrième est mort.e à l’hôpital. Quelques semaines plus tard, le 27 novembre, un.e autre jeune ressortissant.e marocain.e est mort.e de la même façon, tandis que neuf de ses compagnons ont fini à l’hôpital de Nador.
  • L’AMDH Nador a recueilli le témoignage d’un voyageur qui faisait partie des 56 passager.e.s du convoi mortel du 26 novembre. Deux mères avec leurs bébés ont été retrouvées mortes dans leur canot pneumatique par la marine marocaine. Selon son témoignage, avant que le canot pneumatique ne soit mis en mer, une dispute a eu lieu entre les contrebandiers et les membres des forces auxiliaires qui ont découvert le bateau. Les forces marocaines ont commencé à jeter des pierres sur le canot pneumatique lorsqu’elles ont vu qu’il avait déjà quitté le rivage. Malgré l’embarcation endommagée, les voyageur.euse.s ont continué leur route. Un dangereux mélange de carburant et d’eau a causé la mort des deux femmes et de leurs bébés. Après trois heures de navigation, la marine marocaine a intercepté les voyageur.euse.s et les a ramené.e.s au port de Béni Ensar. Les quatre mort.e.s et les blessé.e.s ont été ramené.e.ss à l’hôpital de Nador. Certains voyageurs masculins ont été arrêtés et le reste du groupe a finalement été libéré.

La situation liée au Covid-19 s’est avérée très problématique sur l’ensemble de la période couverte par le présent rapport. Durant le mois d’octobre, dans la ville de Nador, tous les magasins devaient fermer dès 16h et à partir de 20 heures, personne n’était autorisé à circuler dans les rues. Des barrières ont été installées mi-octobre aux entrées et sorties de la ville afin de contrôler les mouvements à l’intérieur et à l’extérieur de la ville – seul.e.s les habitant.e.s disposant d’un permis de sortie exceptionnel étaient autorisé.e.s à passer. Alors que les infections dépassaient les 40 nouveaux cas par jour en octobre, le taux d’infection quant à lui a baissé au milieu de l’hiver. Le 28 décembre, seuls 7 nouveaux cas ont été enregistrés dans les 24 heures à Nador.

La situation très précaire des voyageur.euse.s dans les environs est difficile à supporter. L’AMDH Nador fait état des difficultés à identifier les voyageur.euse.s décédé.e.s dans la région. Le 18 octobre, l’organisation des droits de l’homme a déclaré que 34 corps gisaient à la seule morgue de la ville de Nador en attendant l’ordonnance du tribunal qui leur permettrait d’être enterrés dans la dignité. Certains d’entre eux étaient là depuis plusieurs mois. Les autorités n’établissent pas de communication avec les familles des défunt.e.s, tandis que les ambassades des pays concernés ne s’engagent pas. L’AMDH s’efforce continuellement de soutenir le processus d’identification, mais, même avec des photos des défunt.e.s, il est très difficile d’accélérer les procédures. Ainsi, même après leur décès, certain.e.s voyageur.euse.s errent dans les limbes de la morgue et ne peuvent rejoindre leur dernière demeure.

Selon la presse marocaine, environ 2000 voyageur.euse.s étaient présent.e.s dans les forêts entourant Nador à la fin du mois de novembre, attendant dans des camps de fortune leur chance de traverser vers l’Espagne. Il faut dire que l’on ne sait pas très bien comment l’agence de presse est parvenue à ce chiffre.

Un campement de fortune. Source : Alarmphone

Le 9 novembre, des membres locaux de l’AP ont signalé une augmentation des raids dans les forêts autour de Nador. Les forces marocaines ont brutalement envahi les camps de fortune des voyageur.euse.s et y ont mis feu. Les personnes arrêtées n’ont pas été deportées loin cette fois-ci. La plupart d’entre elles ont été libérées non loin de Nador. D’autres, cependant, ont été arrêtées et détenues. Les autorités ont ouvert des enquêtes et des poursuites judiciaires à leur encontre.

Les cendres d’un camp après les raids, Source : AMDH

Fin novembre, les forces marocaines ont systématiquement effectué des raids dans les camps forestiers, notamment dans les forêts de Bolingo et de la Carrière. Les gens ont été pris par surprise et n’ont pas pu sauver leurs biens avant que les camps ne soient incendiés. On nous a parlé de beaucoup de gens qui n’avaient littéralement plus rien. Iels ont affronté le moment le plus froid et le plus rude de l’hiver sans même les protections les plus rudimentaires. Survivre au sein des forêts était déjà suffisamment difficile avant les raids. Les gens essaient de se réchauffer en se collant les un.e.s aux les autres, cinq ou six personnes dans un “bouncker” de fortune, une sorte de tente faite de bâtons et de plastique. Là où partout ailleurs la distanciation sociale est un outil pour éviter l’infection, dans les forêts, les gens se regroupent pour lutter contre le froid et les maladies.

Un “bouncker”, tente, en construction. Source : Alarm Phone

En décembre, la situation des voyageur.euse.s semble s’être un peu calmée, bien que les rapports montrent que les arrestations et les expulsions arbitraires, plutôt que les rafles systématiques, se produisent à nouveau plus fréquemment. Les gens étaient généralement encore libérés à proximité de Nador. Certain.e.s se retrouvent arbitrairement en détention prolongée. C’est ce qui est arrivé à un groupe de 30 voyageur.euse.s qui a été arrêté dans la nuit du 15 décembre sur la plage de Kariat Arekmane, près de Nador. Iels ont été amené.e.s au centre de détention d’Arekmane. Jusqu’à présent, l’AMDH n’a pas pu trouver d’informations sur leur lieu de détention.

2.5 Oujda et la zone frontalière algérienne

Comme le rapporte l’équipe d’Alarm Phone à Oujda, la situation des voyageur.euse.s subsaharien.ne.s sur le terrain reste considérablement mauvaise. La plupart d’entre elleux n’ont toujours pas la possibilité de gagner de l’argent et sont dépendant.e.s du soutien. Cette aide est partiellement disponible, mais elle est loin d’être suffisante pour toutes les personnes qui en ont besoin. Certain.e.s peuvent se tourner vers les organisations humanitaires et y recevoir de la nourriture, mais la plupart doivent repartir les mains vides. Celleux qui ont la chance d’avoir des voisin.e.s solidaires sont soutenu.e.s par la société civile, tandis que celleux qui n’ont pas de chance ont beaucoup de mal à payer leur loyer, les factures d’électricité et d’eau. De nombreuses personnes sont sans abri et doivent se battre pour survivre dans les rues d’Oujda. Certaines d’entre elles trouvent un soutien dans l’église du centre ville. Elle accueille environ 80 personnes dans ses locaux, bien que l’on ne puisse y rester indéfiniment. Pour certaines personnes, c’est un endroit plus sûr. Ils peuvent y rester, y dormir et y manger.

En attendant, les refoulements vers la région frontalière avec l’Algérie se poursuivent. Entre le 15 octobre et le 5 novembre, un total de 45 voyageur.euse.s subsaharien.ne.s, dont quatre femmes et trois mineurs, ont été expulsé.e.s de Nador et de Tanger et abandonné.e.s dans le no man’s land. Les personnes ont été relâchées par petits groupes d’une dizaine. Comme toujours, on leur a pris leur téléphone et leur argent. 35 personnes sont rentrées à Oujda. Nous ne savons pas où se trouvent les 10 autres. Iels ont probablement traversé la frontière algérienne.

Durant quatre jours, du 15 au 18 novembre, des actes de harcelement racistes, de la part des forces de l’ordre, ont eu lieu à l’encontre de personnes Noires qui demandaient de l’argent à un rond-point très fréquenté. Des gens s’y installent depuis des années, demandant le soutien des passant.e.s. Au cours de cette opération, les policiers ont tenté de chasser les quelques 25 Noir.e.s qui s’y trouvaient en les insultant et en les menaçant. Cette violence verbale visait uniquement les Noir.e.s qui étaient là pour demander de l’argent et non les autres personnes présentes. Bien sûr, après la fin de cette attaque, les personnes concernées, pour la plupart des femmes, étaient de retour sur les lieux. Iels n’ont pas d’autre choix.

Des amis de l’équipe de Alarm Phone à Oujda, qui vivent de l’autre côté de la frontière en Algérie, signalent des déportations de l’Algérie vers la frontière avec le Niger. Plus de détails dans la section suivante.

2.6 Algérie

Comme nous l’avons souligné dans notre précédent rapport, l’été dernier a montré un changement significatif des tendances migratoires dans la région de la Méditerranée occidentale, avec un nombre beaucoup plus important de voyageur.euse.s au départ de l’Algérie. De multiples raisons politiques et sociales motivent les “harragas” algérien.nes.

En 2020, l’Algérie était la nationalité la plus représentée parmi les arrivées en Espagne : De janvier à octobre, les Algérien.ne.s ont représenté 39,5 % de l’ensemble des voyageur.euse.s se rendant en Espagne. Les régions de départ comprennent le nord-ouest du pays, des côtes d’Oran et de Mostaganem vers l’Espagne continentale ou les Baléares. À l’Est, Annaba est le point de départ le plus important pour les traversées en Méditerranée centrale, vers la Sardaigne en Italie. Mais cette année a également montré une tendance à la diversification des itinéraires au départ de l’Algérie. En plus des itinéraires traditionnels à l’ouest et à l’est du pays, dix provinces ont servi de points de départ, dont Chlef, Skilda, Aïn Témouchent, Tlemcen, Jijel, Tipaza et El Tarf.

Parmi les nombreux bateaux qui quittent l’Algérie, beaucoup sont interceptés par les gardes-côtes algériens. En septembre, le ministre algérien de la défense a déclaré qu’entre le 15 et le 25 septembre, les garde-côtes avaient intercepté 1200 ressortissant.e.s algérien.ne.s et avaient retrouvé dix cadavres près des côtes d’Oran, de Mostaganem et de Tlemcen. En cas d’interception, les voyageur.euse.s s’exposent à de sévères sanctions une fois rentré.e.s en Algérie. Dans une loi de 2009 qui aligne la politique migratoire algérienne sur les normes des États européens, le délit de “sortie illégale” du territoire expose les ressortissant.e.s algérien.ne.s à une peine allant de deux à six mois de prison et à une amende de 20 000 à 60 000 DA. Cette loi montre que l’État algérien pense pouvoir “contrôler la migration” par la répression, plutôt que de s’attaquer aux aspects socio-économiques et politiques qui poussent la population algérienne à quitter le pays. Selon le journaliste Raoul Ferrat, cela génère chez les harragas un sentiment d’injustice croissant et ne fait qu’accentuer leur désir d’exil.

Malgré l’augmentation des contrôles et des interceptions ces derniers mois, beaucoup de celleux qui osent emprunter la route de la Méditerranée occidentale arrivent en Europe. Là, l’accueil réservé par les autorités espagnoles est devenu de plus en plus répressif vers la fin de l’année 2020. Cela s’accompagne d’une collaboration active avec l’Algérie. Le 26 décembre, les militant.e.s d’AP ont été informés de l’expulsion de 120 ressortissant.e.s algérien.ne.s de Madrid vers Alger par vol charter. Début décembre, dans un accord largement couvert par les médias algériens, l’Algérie a officiellement accepté de reprendre ses ressortissant.e.s entré.e.s illégalement en Espagne. Après le Maroc et la Mauritanie, l’Algérie est le troisième pays à signer cet accord avec Madrid. Le ministère espagnol de l’intérieur a annoncé au même moment l’affrètement de trois bateaux pour une opération d’expulsion vers l’Algérie. Pour justifier cette opération exceptionnelle, le ministère de l’intérieur a invoqué “l’absence de transport régulier” en raison de la fermeture des frontières en réponse à la pandémie de Covid-19. On ne sait toujours pas quand cette expulsion massive aura lieu, mais on sait que le prix de l’opération avoisine les 200 000 euros et qu’elle sera probablement financée par le Fonds d’intégration des migrations et des demandeurs d’asile (FAMI) de l’Union européenne.

Ces derniers mois, Alarmphone a été impliqué dans plusieurs cas de départs d’Algérie. Le plus souvent, les équipes de permanence et l’équipe AP d’Oujda au Maroc (près de la frontière algérienne) sont contactées par des ressortissant.e.s algérien.ne.s à la recherche de leurs proches. Iels sont inquiet.e.s après plusieurs jours sans nouvelles de leurs proches. Les militant.e.s de l’AP travaillent sur le suivi de ces cas et sur les meilleures manières de soutenir les proches.

En ce qui concerne la situation des voyageur.euse.s subsaharien.ne.s en Algérie, on sait qu’elle est extrêmement difficile. Les autorités algériennes sont violentes et les refoulements aux frontières sont fréquents. Les militant.e.s d’Oujda et d’Alarm Phone Sahara ont signalé et documenté des déportations d’Algérie vers la frontière avec le Niger. Entre le 25 octobre et le 26 novembre, un total de 113 personnes, dont 31 femmes, ont été déportées de Maghnia et de Tlemcen, d’après des témoignages sur le terrain. En groupes d’environ 40 personnes chacun, elles ont été entassées dans des bus et amenées à Assamaka, une ville frontalière du Niger. Sur ce trajet d’environ 2500 km et 36 heures, les personnes n’ont parfois rien reçu à boire ou à manger. Selon l’accord non officiel entre l’Algérie et le Niger de 2014, les déporté.e.s sont ensuite amené.e.s à Agadez pour préparer leur “retour volontaire” avec le soutien de l’OIM.

De plus, en novembre, AP Sahara a rapporté qu’au moins 1089 personnes avaient été déportées entre le 12 et le 14 novembre (445 le 12 et 644 le 14) dans deux convois non officiels en provenance d’Algérie. Elles ont été jetées à Assamaka. Parmi les personnes déportées figuraient des ressortissant.e.s de Guinée Conakry, du Mali, de Sierra Leone, de Côte d’Ivoire, du Burkina Faso, ainsi que des citoyen.ne.s du Liberia, du Cameroun, du Togo, du Ghana, de Mauritanie, du Bénin, du Nigeria, de Guinée Bissau, de Gambie et d’Éthiopie, et parmi elleux de nombreuses femmes et mineurs. Selon l’ONG Human Rights Watch, l’Algérie procède systématiquement à la détention arbitraire et à l’expulsion collective des voyageur.euse.s subsaharien.ne.s, y compris des enfants et des demandeur.euse.s d’asile, sans procédures régulières. Selon des humanitaires travaillant en Algérie et au Niger, les enfants sont parfois séparés de leur famille pendant les raids, et certains d’entre elleux, âgé.e.s de moins de dix ans, sont détenu.e.s et expulsé.e.s.

Les communautés africaines subsahariennes sont exposées à une violence incessante de la part des autorités algériennes et vivent dans des conditions extrêmement précaires. Cela conduit parfois à des événements tragiques, comme cet accident de voiture dans le sud de l’Algérie le 31 décembre, qui a coûté la vie à 20 voyageur.euse.s.

3 Politique migratoire espagnole

Il aura fallu un an, depuis l’augmentation en flèche du nombre d’arrivées aux Canaries, pour que Sanchez, le premier ministre, réagisse au drame humain qui se déroule sur les îles. Malheureusement, la solution proposée par son gouvernement ne repose pas sur la garantie d’accès à la protection internationale par le biais de l’assistance juridique, de traducteur.ice.s et de soutien. Elle est basée sur une politique de répression et de contrôle par le biais des renseignements secrets et de liens diplomatiques pour promouvoir la “coopération au développement” avec les pays africains. Sa méthodologie principale est le renforcement des campements semi-fermés sur les îles et la prévention des mouvements vers la péninsule. Les transferts sont limitées aux personnes considérées comme “vulnérables”. Le message est clair : “arriver aux îles Canaries, ce n’est pas arriver en Europe”.

L’État espagnol viole systématiquement le droit à la liberté de circulation de milliers de demandeur.euse.s d’asile qui résident dans les enclaves de Ceuta et Melilla. L’État espagnol recourt au fait que les enclaves ne se trouvent pas sur le territoire de Schengen pour empêcher la poursuite de la circulation. C’est un non-sens juridique. L’article 19 de la Constitution espagnole garantit la liberté de résidence et de circulation au sein de l’État espagnol, quel que soit le statut administratif de chacun.e. Cette violation de la constitution a été étendue aux îles Canaries. Comme ces îles font partie de l’espace Schengen, nous pouvons constater que l’État espagnol se préoccupe davantage d’empêcher les Africain.e.s de se déplacer que de faire respecter la constitution.

Il y a un mois, n’importe qui pouvait quitter les Canaries, à condition d’avoir un passeport. Cependant, les contrôles de police sur les passager.e.s en partance qui sont considéré.e.s comme des “migrant.e.s” en raison de leur origine ethnique se sont multipliés. Il est désormais pratiquement impossible de quitter les îles si vous êtes un.e migrant.e. Nous connaissons les résultats de ces politiques grâce aux exemples donnés par les camps de réfugié.e.s dans les îles grecques ou les CETI (Centres de séjour temporaire pour migrant.e.s) de Ceuta et Melilla.

Le ministère de l’intérieur espagnol continue de militariser les frontières des pays de transit et des pays de départ. Il convient de souligner que l’État espagnol a envoyé deux navires de guerre, un patrouilleur hauturier, un avion, un hélicoptère et un sous-marin au Maroc, au Sénégal et en Mauritanie. Ils travailleront avec la Guardia Civil et la Policia Nacional pour renforcer le contrôle des frontières. En outre, l’Agence de l’Union européenne (Frontex) va déployer des équipes aux îles Canaries pour y renforcer la police. Le Premier ministre négocie également avec le Sénégal et Frontex pour déployer des ressources aériennes sur la route de l’Atlantique.

Dans une interview radiophonique sur le contrôle des frontières, le ministre de l’intérieur, M. Marlaska, a déclaré que “40 % des bateaux qui partent des pays africains n’arrivent jamais aux îles Canaries parce qu’ils sont interceptés en mer et renvoyés sur les côtes africaines grâce à la collaboration et à la coopération des pays de transit”. Sa vantardise ne tient pas compte du fait de savoir si les pays de transit sont gouvernés par des dictateurs, s’ils respectent les droits de l’homme, ou même s’il y a des personnes en quête d’asile parmi les voyageur.euse.s. De notre point de vue, il s’agit de savoir si cette approche conduit à des “expulsions à chaud” de l’immense zone SAR espagnole. Il s’agit d’une zone trois fois plus grande que l’État espagnol et les personnes qui s’y trouvent devraient être protégées d’un éventuel refoulement.

Le nombre d’accords-cadres avec des pays tiers sur la réadmission des migrant.e.s ne cesse de se multiplier. Le dernier pays en date à avoir signé un de ces accords est le Sénégal. En général, le Maroc rejette le retour des non-nationaux. Les ressortissants de pays tiers qui entrent en Europe par Ceuta et Melilla font exception, car l’accord de 1992 par lequel le Maroc accepte ces retours est toujours en vigueur. En même temps, les expulsions forcées vers la Mauritanie ont été remises en place avec un vol Frontex dans lequel, sur 21 passager.e.s, un.e seul.e était originaire de Mauritanie. Il y avait également 18 personnes en provenance du Sénégal et 2 personnes en provenance de Guinée. La loi espagnole confie à un médiateur la responsabilité de superviser les vols d’expulsion dans le cadre de son “mécanisme de prévention de la torture”. Ils ont documenté plusieurs irrégularités dans les vols de rapatriement. Les collectifs de citoyens ont également dénoncé l’opacité de l’État ainsi que leur pratique d’abandon des migrant.e.s dans des pays qui leur sont étrangers. C’est une stratégie qui laisse les gens sans défense et sans aucun espoir d’assistance.

4 Naufrages et personnes disparues

Le 30 septembre, un mineur marocain a été retrouvé mort dans un bateau dérivant devant la côte de la péninsule espagnole, près d’Alcaidesa. Apparemment, il est mort d’hypothermie.

Le 1er octobre, un cadavre a été récupéré en mer dans le détroit de Gibraltar.

Le 2 octobre, 53 voyageur.euse.s, dont 23 femmes et 6 enfants, ont été porté.e.s disparu.e.s en mer. Le bateau était parti de Dakhla en direction des îles Canaries. L’AP n’a pas pu trouver d’informations sur leur localisation. (Source : AP).

Le 2 octobre, un corps a été retrouvé sur un bateau transportant 33 voyageur.euse.s au sud de Gran Canaria. Cinq autres passager.e.s étaient dans un état critique.

Le 2 octobre, comme l’a rapporté la militante des droits de l’homme Helena Maleno, d’un autre bateau avec 49 voyageur.euse.s sur la route de l’Atlantique, 7 ont dû être transférés à l’hôpital dans un état critique. Deux personnes sont mortes plus tard à l’hôpital.

Le 6 octobre, un corps a été récupéré au large d’Es Caragol, à Majorque, en Espagne.

Le 6 octobre, un corps a été rejeté sur la plage de Guédiawaye, au Sénégal.

Le 9 octobre, Alarm Phone a continué à rechercher en vain un bateau transportant 20 voyageur.euse.s en provenance de Laayoune. Iels sont toujours porté.e.s disparu.e.s. (Source : AP).

Le 10 octobre, un corps a été retrouvé par les forces algériennes sur un bateau qui avait initialement transporté 8 voyageur.euse.s en provenance d’Oran, en Algérie. Deux autres sont toujours portés disparus, 5 des voyageur.euse.s ont été sauvé.e.s.

Le 12 octobre, 2 corps de ressortissant.e.s marocain.e.s ont été récupérés en mer au large de Carthagène.

Le 16 octobre, 5 survivant.e.s d’une odyssée de 10 jours en mer ont signalé que 12 de leurs compagnons de voyage étaient porté.e.s disparu.e.s en mer. Le bateau a finalement été secouru au large de la province de Chlef, en Algérie.

Le 20 octobre, un voyageur est mort sur un bateau avec 11 passager.e.s qui avait débarqué de Mauritanie en direction des îles Canaries. (Source : Helena Maleno).

Le 21 octobre, la Guardia Civil a ramassé le corps d’un jeune ressortissant marocain en combinaison de plongée sur une plage centrale de Ceuta.

Le 21 octobre, Salvamento Maritimo a secouru 10 voyageur;.euse.s dans une embarcation en route vers les îles Canaries, l’un d’entre eux est mort avant le sauvetage.

Le 23 octobre, le moteur d’un bateau de Mbour/Sénégal a explosé. Il y avait environ 200 passager.e.s à bord. Seul.e.s 51 d’entre elleux ont pu être sauvé.e.s.

Le 23 octobre, un corps a été rejeté par la mer dans la municipalité de Sidi Lakhdar, à 72 km à l’est de l’État de Mostaganem, en Algérie.

Le 24 octobre, un jeune homme en combinaison de plongée a été retrouvé mort sur la plage de La Peña.

Le 25 octobre, un bateau parti de Soumbédioun/Sénégal avec environ 80 personnes à bord est entré en collision avec un patrouilleur sénégalais. Seul.e.s 39 voyageur.euse.s ont été sauvé.e.s.

Le 25 octobre, un bateau avec 57 passager.e.s a chaviré au large de Dakhla/ Sahara occidental. Une personne s’est noyée. Les secours sont arrivés assez rapidement pour sauver les autres voyageur.euse.s.

Le 25 octobre, Salvamento Marítimo a sauvé trois personnes et a récupéré un corps dans un kayak dans le détroit de Gibraltar.

Le 26 octobre, 12 ressortissant.e.s marocain.e.s se sont noyé.e.s au cours de leur périlleux voyage vers les îles Canaries.

Le 29 octobre, nous avons appris une tragédie dans laquelle probablement plus de 50 personnes ont été portées disparues en mer. Le bateau avait quitté le Sénégal deux semaines auparavant. 27 survivant.e.s ont été sauvé.e.s au large du nord de la Mauritanie.

Le 30 octobre, un autre grand naufrage s’est produit au large du Sénégal. Un bateau transportant 300 passager.e.s qui se dirigeait vers les Canaries a fait naufrage au large de Saint-Louis. Seules 150 personnes ont survécu. Environ 150 personnes se sont noyées, mais l’information n’est pas confirmée.

Le 31 octobre, une personne est morte sur un bateau en provenance du Sénégal et à destination de Tenerifa. Le bateau avait pris le départ avec 81 passager.e.s.

Le 2 novembre, 68 personnes ont atteint les îles Canaries en toute sécurité, tandis qu’un de leurs camarades a perdu la vie en mer.

Le 3 novembre, Helena Maleno a signalé qu’un bateau qui avait quitté le Sénégal avait chaviré. Seul.e.s 27 voyageur.euse.s ont été sauvé.e.s sur la plage de Mame Khaar. 92 se seraient noyé.e.s.

Début novembre, quatre Marocain.e.s qui tentaient d’accéder au port de Nador afin de traverser vers Melilla par un canal d’égout se sont noyé.e.s.

Le 4 novembre, un groupe de 71 voyageur.euse.s en provenance du Sénégal a atteint Tenerifa. Un de leurs camarades est mort pendant le voyage.

Le 7 novembre, 159 personnes atteignent El Hierro. Une personne est morte parmi eux.

Le 11 novembre, un corps est retrouvé au large de Soumbédioune, au Sénégal.

Le 13 novembre, 13 voyageur.euse.s de Boumerdes/Algérie se sont noyé.e.s alors qu’iels tentaient de rejoindre l’Espagne à bord d’une embarcation pneumatique.

Le 14 novembre, après 10 jours de mer, un bateau de Nouakchott est arrivé à Boujdour. Douze personnes sont décédées au cours du voyage. Les 51 autres passager.e.s ont été emmené.e.s dans un centre de détention. (Source : AP Maroc)

Le 16 novembre, le moteur d’un bateau a explosé au large du Cap-Vert. Le bateau était parti avec 150 passager.e.s du Sénégal et se dirigeait vers les îles Canaries. 60 à 80 personnes ont été portées disparues lors de la tragédie.

Le 19 novembre, 10 personnes ont été secourues alors qu’elles se rendaient aux îles Canaries, l’une d’entre elles étant décédée avant son arrivée.

Le 22 novembre, trois corps de jeunes ressortissant.e.s marocain.e.s ont été récupérés au large de Dakhla.

Le 24 novembre, huit voyageur.euse.s sont mort.e.s et 28 ont survécu, alors qu’iels tentaient de rejoindre la côte de Lanzarote.

Le 24 novembre, un homme mort a été retrouvé sur un bateau qui a été secouru par Salvamento Maritimo au sud de Gran Canaria. Le bateau avait initialement transporté 52 personnes.

Le 25 novembre, 27 personnes sont portées disparues en mer. Elles étaient parties de Dakhla, parmi lesquelles 8 femmes et un enfant. Alarm Phone n’a pas pu trouver d’informations sur leur sort (Source : AP).

Le 26 novembre, deux femmes et deux bébés ont été retrouvés mort.e.s dans un bateau avec 50 personnes originaires de pays subsahariens. Iels ont été emmenés par la Marine Royale au port de Nador.

Le 27 novembre, un jeune ressortissant marocain est mort dans un canal d’eau de pluie en tentant de traverser le port de Nador pour se rendre à Mellila .

Le 28 novembre, un.e ressortissant.e marocain.e a été retrouvé.e mort.e dans un bateau transportant 31 passager.e.s en provenance de Sidi Ifni (Maroc), qui a été intercepté par la Marine royale marocaine.

Le 2 décembre, deux corps ont été retrouvés sur une plage au nord de Melilla.

Le 6 décembre, 13 personnes se sont retrouvées au large de Tan-Tan/Maroc. Deux corps ont été retrouvés et deux personnes ont survécu. Les 9 autres personnes sont toujours portées disparues.

Le 11 décembre, quatre corps de “Harraga” algérien.ne.s d’Oran ont été repêchés dans la mer, tandis que sept autres sont toujours porté.e.s disparu.e.s.

Le 15 décembre, deux corps ont été retrouvés par la marine marocaine au large de Boujdour.

Le 18 décembre, sept personnes se sont probablement noyées, bien que leurs camarades aient réussi à atteindre la côte d’Almería par leurs propres moyens.

Le 23 décembre, 62 personnes ont fait naufrage au large de Laayoune. Seules 43 à 45 personnes ont survécu, 17 ou 18 sont portées disparues. Une personne est morte à l’hôpital. (Source : AP)

Le 24 décembre, 39 voyageur.euse.s ont été secouru.e.s au large de Grenade. Un des trois passagers qui ont dû être hospitalisés est décédé le lendemain à l’hôpital.