1. Introduction
Les enfants en route vers l’Europe sont souvent négligé·es ; leurs besoins spécifiques, leur extrême vulnérabilité, mais aussi leur ingéniosité pour trouver des moyens de voyager sont souvent invisibles. Pire, le fait même qu’ils sont des enfants est souvent oublié ou dissimulé derrière des éléments de langage : « mineurs », acronymes comme « MENAs » (Mineurs étrangers non accompagnés). Parler d’enfants ou utiliser une terminologie bureaucratique est politique en soi, car cette terminologie contribue à la déshumanisation des êtres humains les plus vulnérables, et qui ont le plus grand besoin de protection : les enfants.
Bien sûr, il est judicieux de préciser si ces enfants sont accompagné·es par un parent ou un proche, ou s’iels sont livré·es à eux-mêmes ou à elles-mêmes (ce qui est exprimé par la terminologie « mineur non accompagné »). Il est également pertinent d’expliciter qu’iels sont séparé·es de leurs parents, ou isolé·es, ce que la terminologie « mineur isolé », synonyme plus ancien pour « mineur non accompagné », suggère. Quel que soit l’adjectif utilisé, il faudrait toujours souligner que ce sont des enfants, qu’ils vivent une violence, une souffrance et des traumatismes qu’aucune personne humaine ne devrait endurer, et pour auxquels aucun·e enfant n’est prêt·e à faire face. C’est pourquoi, dans cette analyse, nous parlerons toujours d’enfants en mobilité ou d’enfants migrant·es, et nous resterons attentif·ves au fait que quelque soit ce qu’iels recherchent, où iels souhaitent aller, ils sont d’abord des enfants, et à ce titre, méritent notre protection et notre support inconditionnels.
Le sujet de la migration des enfants est très actuel et au cours des derniers mois il a dominé le débat sur la migration, en Espagne. L’augmentation des arrivées aux Canaries a considérablement augmenté le questionnement sur les droits des enfants, car les infrastructures d’hébergement ne répondent pas toutes à leurs besoins (voir section 3.1). De même, les enfants arrivant dans les enclaves espagnoles (sur le territoire marocain) ont-ils récemment fait l’objet d’une couverture médiatique importante : ce fut le cas lorsque 57 enfants sont entrés à Ceuta à la nage en trois jours, en février dernier. Dans les sections 3.2 et 3.3, nous aborderons en détail la situation des enfants au nord du Maroc, en particulier aux frontières terrestres des enclaves. Les sections sur les différentes régions montreront la réalité du racisme et la violence que les enfants en mobilité rencontrent en Méditerranée occidentale et en Atlantique, que ce soit dans les pays de départ (sections 3.1 – 3.5) ou dans l’état espagnol (section 3.6).
Cette analyse, comme d’habitude, présentera une vue d’ensemble des traversées, des statistiques et des cas Alarm Phone sur les six derniers mois (section 2), ainsi qu’une liste de ceux qui n’ont pas survécu (section 4). Nos pensées vont vers eux, notre respect et notre solidarité vont vers leurs familles. Pour exprimer notre peine et notre rage, et pour commémorer le 10e anniversaire du massacre du 6 février 2014 par la Guardia Civil, nous avons organisé des commémorActions dans toute l’Europe, en Afrique du Nord et de l’Ouest (section 5).
Nous nous sentons renforcé·es par notre unité et nous tirons de ces événements la force de continuer à nous battre.
En théorie, dans la plupart des pays des régions Méditerranée occidentale et Atlantique, les enfants sont protégés par un éventail de droits. La plupart des pays ont ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant (le Maroc en 1993, l’Espagne en 1990, l’Algérie en 1992, par exemple). En conséquence, les enfants devraient être protégés d’une part en tant que personnes membres de la communauté internationale, d’autre part en tant qu’enfants. Lorsque les lois sur l’immigration font une différenciation entre les nationaux et les « autres », cette différenciation ne s’opère pas pour les enfants : tous les enfants du monde, quel que soit leur statut administratif, doivent être protégés sans discrimination.
« Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. » (Art. 3-1 Convention internationale des droits de l’enfant).
Mais comme toujours, lorsqu’un enfant est perçu par les autorités comme différent, comme « autre », iel devient suspect·e : leur minorité est mise en doute sur la base de préjugés racistes et de perceptions, leur statut d’enfant est nié, supplanté par leur altérité. L’obsession de combattre les personnes migrantes minimise la perception des enfants comme des personnes qui ont besoin d’être protégées, d’avoir des droits et une vie d’enfant.
Au Maroc, les enfants constituent une part significative de la population migrante : d’après les chiffres de 2018 , 10 %, en comptant les enfants accompagné·es et non accompagné·es. 35 % sont des filles. D’après un rapport de l’UNICEF de 2019 , 10% des personnes migrantes seules sont des enfants non accompagné·es, et 18 % de la population migrante a moins de 14 ans. Selon le même rapport, environ la moitié des enfants migrant·es n’ont pas de papiers d’identité. En général, il est illégal d’expulser un enfant qui est entré dans un pays sans visa, et l’accès aux services de base ne dépend pas d’un permis de séjour. En effet, l’obligation de posséder des papiers d’identité s’applique seulement aux adultes. Mais comme le montre cette analyse, tout ce qui précède n’est que la théorie du droit ; la pratique est bien différente dans les pays du pourtour de la Méditerranée occidentale et de l’Atlantique. Nous, Alarm Phone, sommes scandalisés par l’extrême négligence et les abus que subissent les enfants migrant·es au cours de leur dangereux voyage vers l’Europe. Normalement, les enfants devraient avoir accès à la santé, y compris aux vaccinations, à une alimentation bonne et équilibrée, à l’éducation, au jeu et aux loisirs. Comme l’indique ce rapport, l’accès à ces droits est, comme souvent, subordonné au bon vouloir des autorités locales, ce qui est illégal. Comme l’explique M. 16 ans, élève d’une école publique à Tanger, l’application des directives et des lois en matière d’éducation dépend
« du bon vouloir et de l’humeur du corps enseignant, des responsables de l’établissement, mais aussi du nombre d’enfants noirs inscrits dans une école ».
A., membre d’Alarm Phone Maroc, est la mère d’une fillette de sept ans née au Maroc. Elle explique comme le racisme affecte sa fille et elle, ainsi que tous les autres enfants « en contexte de migration » : « comme pour beaucoup d’autres enfants nés de l’immigration je n’ai pas tardé à comprendre que bon nombre des difficultés que connaissent nos enfants sont communes, et le plus souvent liées à la couleur de leur peau ». Les enfants, comme les adultes, doivent affronter la violence du racisme et du régime frontalier. À travers eux, c’est toute leur famille qui subit les répercussions et les aléas du régime frontalier : celui-ci n’impacte pas seulement leur enfance, mais touche chaque membre de leur famille et la stabilité et la tranquillité qu’iels devraient vivre. L., membre d’Alarm Phone Maroc, explique :
« Les enfants sont stressés parce que leurs parents sont stressés. Parce que quand un parent fait face à une situation, son enfant aussi vit la même situation, l’enfant vit le même problème. Leur situation n’est pas stable ».
De même, à l’école, de nombreux enfants font l’expérience de remarques et d’actes racistes. G. élève de CE1 (2e année d’école élémentaire) dans une école privée de Rabat qui a une bonne réputation, raconte :
« En classe, c’est toujours moi le coupable : ma voix, mon opinion, ma vérité, rien ne compte. Je suis la seule personne noire de la classe ».
Quand L., membre d’Alarm Phone, a dû déménager, son enfant était anxieuse à l’idée de changer d’école et d’affronter une nouvelle discrimination raciale. Elle explique :
« Quand je lui ai dit ‘On va chercher une maison ailleurs, je vais chercher une école pour toi’, elle m’a demandé: ‘Est-ce que dans l’école où tu vas m’amener, est-ce qu’il y aura des gens qui ont la même peau comme moi?’ […] Elle était triste, parce qu’elle était déjà habituée ».
Le racisme imprègne chaque étape et chaque jour des enfants en mobilité : de l’accès aux droits élémentaires jusqu’aux interactions quotidiennes avec d’autres enfants et avec les adultes qui sont supposé·es les protéger et prendre soin d’eux et d’elles.
Il faudrait reconnaître le droit des enfants à être entendu·es, à parler et à être acteurs et actrices de leur propre vie.
« Les enfants ont le droit de donner librement leur avis sur les questions qui les concernent. Les adultes doivent les écouter avec attention et les prendre au sérieux » (https://www.unicef.org/sites/default/files/2019-10/convention-droits-enfants-versions-pour-les-enfants.pdf, article 12 de la Déclaration des droits de l’enfant expliquée aux enfants).
Mais sont-ils entendu·es ? La plupart du temps, les enfants sont exclu·es des conversations sur leurs droits et leur protection, même lorsque c’est d’eux et elles que dépend leur survie, comme le montre ce rapport. Les enfants en mobilité sont souvent pris dans un double piège : d’une part, les autorités les perçoivent comme des suspects, comme des personnes qui ne sont plus tout à fait des enfants. D’autre part, dans la plupart des récits politiques (ceux des états, d’ONG, d’organisations internationales), iels sont essentialisé·es et réduit·es à un statut de victimes d’adultes qui les exploiteraient : iels devraient donc être protégé·es par des « solutions carcérales » (c’est-à-dire en criminalisant les adultes et en soumettant ces enfants au soin et au contrôle d’institutions). Souvent, la protection institutionnelle offerte aux enfants est fondée sur des récits dans lesquels leur vulnérabilité est construite à partir de catégories racialisées, validistes et genrées. Des formes subtiles de technologies de prise en charge et de contrôle sont souvent utilisées pour stabiliser et contrôler les enfants en déplacement ou s’avèrent insuffisantes pour répondre réellement aux besoins exprimés par les enfants en déplacement. Sans nier la réalité de l’exploitation des enfants, les discours humanitaires des autorités sont souvent utilisés comme boucs émissaires de leurs propres agendas (la lutte contre les migrations) et de leur propre responsabilité. Ce sont avant tout les régimes frontaliers et carcéraux qui mettent en danger, et parfois tuent, les enfants.
Néanmoins, d’autres formes de solidarité envers et entre les enfants en déplacement et leurs familles existent. Ce rapport tente de mettre l’accent sur les nombreux moyens que les enfants, leurs familles et les soutiens utilisent pour survivre et subvenir à leurs besoins fondamentaux.
A., membre d’Alarm Phone, explique que
« les enfants estiment que les liens avec les membres de leur communauté sont importants. Ces liens leur servent de refuge et ont un contexte social et culturel qui se nourrit du partage d’une même situation ».
Centrer notre rapport sur les enfants était notre façon de participer à la visibilisation de vies souvent ignorées et invisibilisées : si leur mort est souvent utilisée pour criminaliser les adultes après un naufrage, les voix des enfants et leurs réalités sont trop souvent réduites au silence, tout comme celles de leurs parents et ami·es.
2. Traversées maritimes et statistiques
Selon le HCR, 57 538 personnes sont arrivées en Espagne en 2023. Par rapport à 2022, les arrivées ont donc augmenté de 81 %, en particulier sur la route des îles Canaries : avec 40 330 arrivées, la différence est de 157 % par rapport à l’année précédente.
Dans l’ensemble, Alarm Phone a été en contact avec au moins 6 729 personnes au cours de l’année 2023. Sur 265 cas, 120 concernaient des bateaux sur la route de l’Atlantique, 87 dans la mer d’Alboran ou le détroit de Gibraltar et 55 autres bateaux en contact avec AlarmPhone étaient partis d’Algérie. Conformément aux chiffres du HCR, qui montrent une augmentation considérable des arrivées en Espagne en octobre 2023, Alarm Phone a également reçu de nombreux appels de plus d’un millier de personnes sur la route de la Méditerranée occidentale et de l’Atlantique au cours de ce mois, la plupart d’entre elles appelant depuis l’Atlantique.
En novembre 2023, Alarm Phone a été informé de nombreux bateaux partis d’Algérie. Malheureusement, dans la plupart de ces cas, le sort des personnes reste incertain, et au moins 18 personnes seraient mortes. Nous sommes très tristes et en colère au sujet des centaines de personnes dont nous savons qu’elles sont mortes sur la route de la Méditerranée occidentale et de l’Atlantique en 2023, ainsi que des centaines de personnes qui sont toujours portées disparues (voir également la section 4 : Naufrages et personnes disparues).
Au 31 mars, 16 575 personnes sont arrivées en Espagne en 2024. Par rapport à 2023, ces chiffres du HCR montrent une augmentation des arrivées de + 279 %, voire + 501 % sur la route de l’Atlantique vers les îles Canaries. Fait remarquable, la plupart de ces arrivées ont eu lieu en janvier de cette année, tandis qu’en mars, les chiffres ont chuté de manière significative.
Sur les 22 bateaux de la région de la Méditerranée occidentale et de l’Atlantique avec lesquels Alarm Phone a été en contact, la plupart ont appelé en janvier et février. Un bateau sur deux a appelé depuis l’Atlantique. Comme on a pu le constater à la fin de l’année dernière, nous recevons de plus en plus d’appels de bateaux algériens ou concernant des bateaux algériens, mais malheureusement, dans la plupart de ces cas, nous n’avons toujours pas plus d’informations sur leur situation.
Pour au moins 131 personnes qui nous ont contacté.es alors qu’elles se dirigeaient vers l’Espagne, nous n’avons pas pu savoir ce qu’elles étaient devenues (au 31 mars).
En outre, 266 personnes sur ces itinéraires ont été portées disparues, comme 65 personnes disparues qui avaient quitté Nouakchott à la mi-janvier.
Sur les 302 personnes restantes avec lesquelles Alarm Phone s’est entretenu, certaines ont été ramenées au Maroc ou en Algérie, mais la plupart ont été secourues ou sont arrivées en Espagne par leurs propres moyens.
3. Nouvelles des différentes régions
3.1. La route atlantique
2023 a été une année record d’arrivées. Même lors de l’historique « crise des cayucos » (terme espagnol désignant un bateau de pêche en bois qu’on pourrait traduire par ‘pirogue’) de 2006, le nombre d’arrivées n’a pas été aussi élevé : 40 330 personnes sont arrivées aux îles Canaries en 2023 ; nous sommes extrêmement heureux .ses qu’autant de personnes aient survécu au voyage. Cependant, 2023 est aussi une année de décès record sur la route de l’Atlantique. Alors que les données officielles du HCR comptent 950 morts ou disparitions sur cette route, l’ONG Caminando Fronteras a publié des chiffres beaucoup plus élevés et – à notre avis – beaucoup plus réalistes : 6 007 personnes sont mortes ou disparues au cours de leur voyage vers les Canaries, avec 128 naufrages sur la route.
En 2024, cette tendance semble se poursuivre. Au 31 mars, 13 297 personnes étaient déjà arrivées aux Canaries, soit six fois plus qu’au cours de la même période en 2023.
L’itinéraire lui-même a également connu des changements significatifs : de nombreux bateaux arrivent désormais à Gran Canaria et El Hierro (au cours des premières semaines de 2024, 55 % de tous les bateaux sont arrivés à El Hierro), ce qui indique que les principales régions de départ sont désormais la Mauritanie et le Sénégal, et non plus le Sahara occidental. Cette tendance se reflète également dans le profil des personnes qui appellent notre service d’assistance téléphonique en cas de détresse : depuis le début de l’année, 5/6 de tous les cas d’AlarmPhone sur cette route sont partis de Mauritanie.
Compte tenu du nombre élevé de bateaux partant des côtes mauritaniennes, l’Union européenne se livre à son habituel sale jeu d’externalisation des frontières : Début février, le Premier ministre espagnol et le président de la Commission européenne se sont rendus en Mauritanie afin de renforcer la coopération politique en matière de contrôle des frontières, faisant ainsi de la Mauritanie , une fois de plus, le chien de garde des frontières de l’UE. Alors que la Mauritanie a déjà reçu 600 millions d’euros par le passé, 10,5 millions d’euros supplémentaires ont été accordés en octobre 2023.
Bien sûr, les départs du sud du Maroc et du Sahara occidental se poursuivent, mais la plupart des personnes qui traversent à partir de là sont d’origine marocaine ou sahraouie. Les membres d’Alarm Phone Laayoune expliquent :
« Actuellement, les ressortissants marocains traversent plus fréquemment que les personnes originaires d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale. Les trois premiers mois de 2024, environ 1400 personnes ont réussi à faire BOZA (“Victoire”, le terme en Bambara pour les arrivées réussies) […] car les jeunes Marocains sont aussi fatigué.es de leurs trains de vie, car ils n’ont pas de travail, leur vie devient plus difficile ».
L’une des raisons de ce changement est la nécessité de voyager plus au sud, en Mauritanie, mais aussi le renforcement des mesures de sécurité : « On a constaté depuis les 6 derniers mois que les embarcations ont baissé dans cette zone du Sud Sud Sahara lié au renforcement des postes de surveillance qui sont au nombre de 118 postes sur l’étendue des 300km de côtes d’embarquement », comme le rapporte Alarm Phone Laayoune.
De toute évidence, le nombre de personnes arrivant a constitué un défi pour les logements et les infrastructures des îles Canaries. En raison de l’augmentation spectaculaire du nombre d’arrivées au cours des six derniers mois, l’île d’El Hierro, qui compte à peine 12 000 habitants, a du mal à accueillir les survivant.es.
Enfants arrivant aux Canaries : déficits en matière de protection de l’enfance, négligence et agressions
Dans ces circonstances, comme souvent, ce sont les groupes les plus vulnérables qui souffrent le plus, dans ce cas les enfants. Ces derniers mois, à peu près 20 pour cent des arrivées par la route Atlantique sont des enfants, dont la grande partie n’est pas accompagnée.
Actuellement, le gouvernement autonome des Canaries a sous sa tutelle 5.700 mineurs et les chiffres sont en augmentation constante. Par ailleurs, environ 1.000 personnes seraient en attente de ce que leur minorité soit reconnues par les autorités espagnoles.
L’augmentation du nombre d’enfants arrivants seuls entraîne l’ouverture de nouveaux centres d’urgence ou la saturation des capacités d’accueil des centres existants, ce qui engendre de graves carences dans leur prise en charge, leur protection, l’identification de leurs besoins spécifiques en matière de protection internationale ou de traite d’êtres humains, ainsi que le soutien psychosocial qui devrait leur être apporté.
L’UNICEF et Save the Children et Amnesty International ont détecté de graves carences dans l’identification des mineurs voyageant seuls. De façon récurrente, des mineurs cohabitent avec des adultes aussi bien dans les CATEs (Centres de détention où les personnes arrivant par la mer passent les premières 72 heures, sous surveillance policière) que dans les centres d’hébergement pour adultes.
Dans un rapport ayant pour titre « Arrivées maritimes aux Canaries, exceptionnalité du droit et racisme » élaboré par les associations Irídia et Novact, l’accent est mis sur les violations des droits humains et des droits de l’enfant lors des procédures de détermination de l’âge implantées aux Canaries.
Lorsqu’une personne se déclare mineure, même si elle dispose de documents indiquant sa minorité, la procédure de détermination de l’âge doit être effectuée pour que l’État espagnol reconnaisse cette personne en tant que mineure. Dans leur rapport, Irídia et Novact dénoncent le caractère raciste de cette mesure: « Cette disposition remet en cause la fiabilité de la parole du mineur ainsi que des documents non espagnols ou européens ». Par ailleurs, l’accès à un représentant légal et à un interprète est tout aussi problématique concernant les mineurs que pour l’ensemble des personnes en migration.
L’absence d’une répartition territoriale efficace et logique entre les régions autonomes rend difficile la garantie des droits de l’enfant et des conditions d’accueil décentes, d’autant que les services de protection de l’enfance aux Canaries se plaignent d’un manque de moyens économiques à hauteur des besoins. Par ailleurs, s’il est difficile de convaincre les autres régions d’accueillir des mineurs, c’est aussi le cas pour les municipalités canariennes qui refusent souvent d’accepter d’implantation de centres d’accueil dans leurs circonscriptions.
Dernièrement, à Lanzarote, le sujet a pris une tournure très alarmante. Suite à une agression raciste subie dans un bus par trois mineurs isolés hébergés au centre d’accueil du village de La Santa, le Cabildo (l’autorité insulaire) et l’entreprise chargée de la gestion du centre (Fundación Respuesta Social Siglo XXI) ont passé un accord pour que les mineurs ne prennent plus les transports publics. Ils doivent désormais le faire uniquement accompagnés d’un.e moniteur.rice ou ne se déplacer que dans les transports privés appartenant à l’entreprise. La mesure a été annoncée publiquement par le conseiller en charge des services sociaux comme temporaire et supposément prise afin de « protéger les mineurs » d’éventuelles autres agressions racistes. Cette mesure discriminatoire et arbitraire répond davantage à l’alarme sociale créée à des fins d’instrumentalisation politique qu’à la situation de vulnérabilité du collectif des mineurs non accompagnés. La mesure a été dénoncée par le collectif Red de solidaridad con las personas migrantes en Lanzarote et par les partis politiques Izquierda Unida de Canarias et Drago.
Conditions indignes: Agressions sexuelles, détournement de fonds et mineurs en prison
Les autorités canariennes et les entreprises chargées de la gestion des centres d’accueil reçoivent malgré tout des sommes d’argent conséquentes pour la prise en charge des mineur.es, et l’absence de solidarité des autres régions ne peut servir d’excuse à une gestion largement défaillante et des manquements intolérables dans la protection de l’enfance.
Le 26 novembre 2023, 12 garçons âgés de 14 à 17 ans ont déposé plainte pour avoir été agressés, menacés et victimes d’attouchements par des employés et par le directeur du centre pour mineurs de Tafira (Grande Canarie) géré par la Fundación Respuesta Social Siglo XXI. Les jeunes victimes d’agressions avaient fui le centre et la police a d’abord refusé de prendre leur plainte, et les a ensuite laissés dans la rue durant cinq jours, avant que la mobilisation citoyenne ne fasse pression, que leur plainte soit déposée et qu’ils soient replacés dans un autre centre.
Cette même entité, la Fundación Respuesta Social Siglo XXI fait l’objet d’une enquête de la part du bureau du procureur anticorruption pour détournement de fonds publics. Quatre directeurs et directrices de centres pour mineurs sont visés par cette enquête, l’une d’entre elles était également secrétaire et trésorière du parti d’extrême droite Vox au moment où elle dirigeait le centre.
Pourtant et malgré les scandales pour corruption et abus sexuels, aucune mesure n’a été prise concernant la gestion des centres par cette entité. Toujours en rapport avec la corruption, le 29 février 2024, la Directrice de la Protection de l’Enfance du Gouvernement des Canaries a dû démissionner. Elle est accusée de malversation de fonds publics entre 2015 et 2015 alors qu’elle était conseillère municipale pour la mairie de Puerto de la Cruz (Ténérife).
Un dernier cas concernant les nombreux abus subits par les mineurs depuis les centres d’accueil, est celui d’un agriculteur accusé de faire travailler illégalement des mineurs sur ses terres. La fille de cet homme est directrice d’un centre et elle lui aurait permis de faire travailler ces jeunes pour 20€ par jour pour de longues journées de travail, argent qui pouvait leur être décompté si leur comportement dans le centre était considéré comme mauvais.
La criminalisation de la migration fait aussi des victimes parmi les mineurs. On détecte de plus en plus de cas de mineurs incarcérés en prison préventive aux Canaries, présumés coupables d’être les capitaines des embarcations dans lesquelles ils sont arrivés. C’était le cas pour un jeune d’origine sénégalaise soupçonné d’avoir été capitaine d’une embarcation en décembre 2023, qui – malgré avoir démontré son âge grâce à un certificat de naissance – a dû passer deux mois en prison, car les autorités ne croyaient pas qu’il était mineur.
Les enfants dans les pays de départ
De l’autre côté de l’océan, les enfants migrant.es sont également soumis.es à de nombreuses formes d’abus. Dans le sud du Maroc et au Sahara occidental, les enfants sont souvent traité.es comme des adultes et les droits de l’enfant ne sont pas respectés : « Ils et elles sont souvent victimes d’agressions policières lors de rafles et d’arrestations arbitraires dans les maisons des migrant.es. Les enfants sont arrêté.es et traité.es de la même manière que les adultes », rapportent les membres d’Alarm Phone Laayoune.
C’est pourquoi les enfants migrant.es doivent se tourner vers les quelques associations présentes sur le terrain qui les soutiennent en essayant de les amener à l’hôpital, de couvrir certains frais médicaux et de les aider à s’inscrire à l’école. Beaucoup d’enfants ne sont pas accompagnés et doivent donc essayer de survivre par leurs propres moyens. Alarm Phone Laayoune explique :
« Les enfants migrants vivent dans des maisons partagées avec d’autres personnes qui veulent voyager et contribuent aux frais de nourriture. Ils travaillent comme mendiants dans la rue. J’ai dû intervenir à plusieurs reprises et me rendre au poste de police, car des mineurs avaient été arrêtés en train de mendier aux feux de signalisation ».
En ce qui concerne le Sénégal, le phénomène des enfants qui partent pour l’Europe sans aucun membre de leur famille n’est pas aussi répandu. Il existe des exemples où des parents sénégalais ont été punis de prison pour avoir laissé leurs enfants embarquer sur un bateau qui a ensuite fait naufrage.De nombreux enfants non accompagné.es quittant les côtes sénégalaises sont d’origine guinéenne. Ces enfants et adolescent.es voyagent souvent seul.es pour diverses raisons, notamment la fuite de la violence et de la galère, la recherche d’une meilleure vie ou la réunification familiale.
Comme le précise Alarm Phone Dakar :
« En 2006 par exemple, 931 mineur.es dits « non accompagné.es » sont arrivé.es aux îles Canaries, tous de nationalité sénégalaise. À la fin de l’année 2023, ce même phénomène de 2006 s’est reproduit cette fois-ci à cause d’une situation d’instabilité politique du pays qui n’a pas laissé le choix à sa jeunesse déjà désespérée. Ces enfants qui ont quitté le Sénégal pour se rendre en Europe par bateau partent parfois même de Mauritanie ou de Gambie ».
3.2. Tanger, détroit de Gibraltar et Ceuta
De Tanger à Ceuta en passant par le détroit de Gibraltar, des enfants défient les frontières malgré la répression inlassable des autorités espagnoles et marocaines et luttent pour leurs droits et leur survie. Les exemples d’enfants rejoignant Ceuta à la nage ou embarquant dans des embarcations précaires pour traverser la Méditerranée sont nombreux.
S., un enfant de Guinée Conakry, nous raconte sa vie à Tanger :
« Cela fait des années que je vis à Tanger en tant que mineur non accompagné. J’ai rencontré des difficultés inimaginables ici à Tanger. J’ai dormi dans la forêt, dans des églises et même dans la rue parce que je n’avais pas d’argent. »
Souvent livré.es à elles et eux-mêmes, les enfants luttent pour accéder à des besoins fondamentaux tels que la nourriture, le logement ou les vêtements. En effet, les enfants sont autonomes dans leur survie. Ils et elles dépendent de leur communauté et les un.es des autres. Certain.es sont contraint.es de partager une petite chambre insalubre par groupes de six à huit afin de pouvoir payer un loyer et d’économiser un peu d’argent pour préparer leur départ. D’autres vivent dans la forêt, où iels cuisinent et dorment, avant de se rendre en ville le matin pour mendier ou porter des bagages.
Les enfants sont exposé.es quotidiennement aux abus, à la violence et à l’exploitation. Les jeunes filles peuvent être forcées à travailler et être violées par des hommes plus âgés. Lorsqu’elles sont enceintes, elles sont souvent rejetées et abandonnées dans les rues. La violence sexuelle à l’encontre des enfants en déplacement est entretenue par un climat de racisme et d’impunité qui expose les enfants à la violence des civils et des autorités.
Comme l’explique L., membre d’Alarm Phone Tangier :
« Sauf dans quelques cas de meurtres, de viols ou d’autres problèmes graves, les autorités n’interviennent pas. Les enfants sont livré.e.s à eux.elles-mêmes. Il n’y a aucune protection pour elles.eux. »
Des témoignages font état d’enfants arrêté.es par la police, dépouillé.es des quelques affaires qu’iels étaient parvenu.es à collecter et renvoyé.es dans la rue ou de l’autre côté de la frontière.
Face à cette situation des enfants au Maroc, plusieurs associations tentent d’offrir un certain soutien aux enfants. Certaines associations tentent d’aider les enfants à accéder à des professionnels de la santé ou à acheter des médicaments. D’autres associations proposent des programmes de formation professionnelle qui peuvent aider les enfants à apprendre la cuisine et la pâtisserie, la couture, la coiffure, l’esthétique, l’informatique, la menuiserie, la ferronnerie, l’électricité ou même la peinture. Pour les enfants âgés de 6 à 17 ans, certaines associations se chargent également de les inscrire à l’école. Mais peu d’enfants parviennent à la fois à suivre les cours tout en luttant pour leur survie quotidienne. Ceux qui parviennent à suivre et à terminer la formation sont confrontés à de nouveaux obstacles : l’absence de papiers qui les empêche de trouver un emploi légal et la trop petite sécurité et protection que cette formation pourrait leur apporter.
Pour les familles, l’accès aux droits et aux besoins fondamentaux est, comme l’ont montré plusieurs de nos rapports, une lutte quotidienne. Certains parents ont expliqué qu’ils avaient dû retirer leurs enfants de l’école pour qu’iels les soutiennent dans la recherche de l’argent nécessaire pour nourrir la famille. L. témoigne de l’impasse dans laquelle le système l’a mise, l’obligeant à demander à sa fille de 13 ans de venir mendier avec elle dans les rues de Tanger :
« Je suis sénégalaise et j’ai une fille de 13 ans. La vie au Maroc est très difficile, il n’y a pas de travail du tout. Parfois, on nous propose des travaux de nettoyage dans des conditions très difficiles. On va travailler de 8h à 19h, parfois on doit même dormir sur place pour être à leur disposition 24h/24h. Et tout cela pour un salaire de misère. Alors maintenant, je préfère faire mon commerce de bijoux pour nourrir mes enfants, mais ce n’est pas suffisant. Il y a le loyer, les factures et les autres dépenses à payer.
C’est pourquoi, lorsque ma fille de 13 ans quitte l’école, je la pousse à aller chercher du Salam (mendicité) pour m’aider à payer les factures. Autrement, je n’arriverai jamais à faire face. Je sais que ce n’est pas bien, mais les enfants gagnent plus d’argent en mendiant, alors je n’ai pas le choix ».
S. de Guinée Conakry poursuit son témoignage :
« Et la police nous embête trop, elle nous enlève de Tanger pour nous jeter à Casablanca ou à Safi. »
Encore pires que de ne pas soutenir, les autorités sont souvent, comme pour les adultes, en train de harceler les enfants et de les soumettre à des déplacements forcés vers les villes du sud du Maroc.
Lorsque les enfants réussissent à franchir la frontière à Ceuta, iels sont malheureusement aussi victimes de refoulements de la part des autorités espagnoles. Dans ce cas, les témoignages montrent que, comme les adultes, ils et elles sont battu.es et maltraité.es par la police.
Le 14 décembre 2023, la répression d’une importante tentative de franchissement de la frontière de Ceuta a fait de nombreux.ses blessé.es et mort.es. Beaucoup d’entre elles étaient des enfants du sud du Sahara. Les membres d’Alarm Phone sont allés à leur rencontre à l’hôpital et ont tenté de trouver une solution d’hébergement. Identifier toutes les victimes de la répression étatique n’a pas été une tâche facile, car les autorités marocaines ont dispersé les blessé.es dans différents hôpitaux afin d’éviter une éventuelle couverture médiatique et l’attention sur ce qui s’est passé. Un membre d’Alarm Phone a rencontré un jeune garçon qui avait reçu une balle dans l’œil gauche, tirée par un policier. Il explique que ce même policier l’a forcé à quitter l’hôpital et à détruire son dossier médical.
À Ceuta, de nombreux.ses enfants sont maintenu.es dans des centres d’enregistrement et d’accueil, dans l’attente d’une protection de la part des autorités espagnoles. Début février, les autorités de Ceuta ont demandé l’aide du ministère national de l’enfance et de la jeunesse après que plus de 30 enfants marocains ont réussi à franchir la frontière en deux jours. Plus de 180 enfants étaient alors détenu.es dans ces centres, ce qui va à l’encontre du principe selon lequel les enfants ne doivent pas être enfermé.es.
Malgré la violence qu’ils subissent, les enfants continuent d’essayer de franchir les frontières, nageant jusqu’à Ceuta malgré la sécurité accrue, se déplaçant vers le sud pour essayer de traverser vers les Canaries ou se rendant en Tunisie et tentant de passer en Italie. La force et les capacités de survie dont ils et elles font preuve sont inimaginables, mais nous n’insisterons jamais assez sur le fait que personne, pas même les enfants, ne devrait être confronté.e à cette violence. Une violence créée et renforcée par chaque décision politique prise par les États.
3.3. Nador
Nouvelles de la région de Nador
La période couverte par le présent rapport est caractérisée par une nouvelle fortification de la frontière de Melilla (UE) et par de nouvelles restrictions de la liberté de circulation dans la région.
Les travaux de la nouvelle et troisième clôture sur le territoire marocain ont été achevés en janvier, comme l’observe AMDH Nador. « C’est du jamais vu dans le monde : une barrière de fil de rasoir (interdit du côté espagnol) de 7 m de haut. De plus, les rouleaux de barbelés ont été posés sur le sol le long de la bande séparant les anciennes et nouvelles barrières, en plus d’une nouvelle fosse de près de 3 m de profondeur », décrit l’Organisation marocaine des droits de l’homme.
« Tout ce matériel surdimensionné, avec des milliers de soldats, de policiers, de forces auxiliaires et de gendarmes mobilisés 24 heures sur 24 en amont et le long de la clôture […] – avec toutes ces mesures, nous sommes plus loin que jamais des revendications du mouvement national marocain pour la décolonisation de Melilla.
L’État espagnol se sert de la question des migrations comme d’un épouvantail pour maintenir à jamais la colonisation de cette ville, et les autorités marocaines font payer à l’Espagne ses politiques migratoires coloniales pour un financement pitoyable.
Et bien sûr, tout le monde du côté marocain reste silencieux. Ni les partis politiques, ni les syndicats, ni les parlementaires, ni les ONG, ni même notre presse n’osent dénoncer ou du moins exposer cette politique aveugle au débat public. La frontière avec la ville occupée de Melilla est une question qui concerne tous les Marocains. »
Pour Alarm Phone, il est clair que ces mesures de contrôle aux frontières visent encore et encore à maintenir un système colonialiste de séparation, et à dissuader les gens par la violence de contester le statu quo des asymétries de pouvoir en surmontant la division spatiale et matérielle.
En plus des renforts aux clôtures des frontières, de nouvelles tentatives d’obstruction des traversées maritimes sont également en cours. Comme l’a dénoncé l’AMDH Nador en février, une interdiction des citoyens marocains de la zone côtière entre la plage d’Arekmane à l’est et Kalat à l’ouest de Melilla a été instaurée début 2024 (dans le cadre de la lutte contre la migration). En tout, ces restrictions à la libre circulation sont mises en œuvre dans quatre municipalités.
Mais malgré toutes ces mesures, nous sommes certains que les migrations ne peuvent pas être étouffées, et les gens trouveront des moyens de franchir les frontières, comme le montre le cas du 8 octobre, lorsqu’une personne a réussi à franchir ces clôtures mortelles pour se rendre à Melilla en parapente ! Boza !
La situation des enfants non accompagnés dans la province de Nador
Il y a un grand nombre d’enfants non accompagnés de nationalité marocaine qui arrivent dans la province de Nador sans parents ni proches avec l’intention de traverser la frontière vers la péninsule espagnole. Ces dénommés «harragas» sont donc des personnes déplacées à l’intérieur du pays, et leur situation est à certains égards similaire à celle des communautés de départ non marocaines, à certains égards aussi bien sûr très différentes.
Les enfants marocains arrivent de différentes régions du Maroc, principalement de Fès, Casablanca, Safi et le sud du Maroc. Les raisons de quitter leurs familles et leurs foyers respectifs sont multiples – en raison de situations difficiles dans leurs familles, en raison de la marginalisation sociale ou des difficultés économiques. Certains cherchent à rejoindre les membres de leur famille qui sont déjà basés dans l’UE.
Les harragas marocains vivent dans des conditions très précaires dans la province de Nador. Ils et elles vivent dans la rue, dépendent de la mendicité pour se nourrir et sont souvent victimes de discriminations. La consommation généralisée de drogues représente un grand risque pour leur santé – de nombreux harragas sont dépendants de drogues telles que l’opium, la colle ou une substance chimique utilisée pour fabriquer de la peinture pour la maison. C. du réseau local Alarm Phone estime que 98 % des enfants sont dépendants à une drogue ou à une substance. La polyconsommation crée une dépendance à un âge précoce. Ces médicaments sont utilisés pour traiter des angoisses très fortes liées aux différentes formes de violence liées à la migration, et à des conditions de vie souvent insupportables. Ces conditions sont particulièrement propices à la chronicisation de troubles psychologiques.
Les autorités marocaines mènent souvent des opérations dans les zones où la plupart des enfants sont présents, attendant d’avoir la possibilité de passer en Espagne. Bien que ces enfants ne soient pas sans papiers et aient légalement le droit de voyager au Maroc où ils et elles le souhaitent, la police les arrête fréquemment et les déporte vers des endroits plus au sud au Maroc (comme Casablanca ou Safi), un peu comme les personnes en mouvement sans-papiers des communautés d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale.
Les conditions dans lesquelles ces enfants sont déplacés de force sont souvent déplorables. Les enfants sont souvent détenus dans des conditions insalubres et de surpopulation avant d’être emmenés dans les bus qui les déplacent de force, où i·els ne reçoivent quasiment ni eau ni nourriture. I·els sont privé·es de leurs droits fondamentaux, notamment de leur droit à la protection et à la vie privée.
« Les déplacements forcés des mineurs ont des conséquences néfastes pour leur santé et leur développement » observe C. « Les mineurs sont souvent traumatisés par leur expérience et sont plus susceptibles de développer des problèmes psychologiques et physiques. Ils sont également plus susceptibles de se retrouver dans des situations dangereuses, notamment la prostitution et la criminalité. »
Ces déplacements des harragas sont effectués pour éviter la surpopulation et la « pression migratoire » dans la zone frontalière, mais C. suppose qu’ils visent également à atténuer le degré de danger auquel les harragas sont confrontés lors de leur séjour à Nador et, bien sûr, lors des tentatives de traversée. Il y a souvent des accidents, parfois mortels, lors des passages dangereux. Chaque semaine, il y a plus de cinq morts. Les enfants montent sous les camions qui partent pour le port, ou les bus qui voyagent en bateau. I·els tombent et meurent, parfois de fractures crâniennes. Parfois, i·els se noient en essayant de nager vers Melilla, ou i·els grimpent dans des tunnels pour trouver des câbles électriques où il n’y a pas assez d’oxygène, et i·els meurent d’asphyxie dans les trous.
Au cours de la période que couvre ce présent rapport, d’octobre 2023 à mars 2024, les déplacements forcés d’enfants en déplacement décrits ci-dessus ont continué à se produire assez fréquemment. Le 6 novembre, une centaine d’enfants marocains ont tenté de sauter les clôtures jusqu’à Melilla. Tout le monde a été bloqué et/ou arrêté par les autorités marocaines. L’AMDH Nador tente de documenter les déplacements sur sa page Facebook, notamment le cas du 5 décembre, lorsque 24 enfants ont été refoulés de Beni Ensar. Fin 2023, dans les derniers jours de décembre, les raids et les arrestations se sont considérablement intensifiés envers les enfants marocains à Beni Ensar. Rien que le 31 décembre, 175 personnes en déplacement ont été arrêtées, dont de nombreux jeunes d’origine marocaine. Quatre cadavres ont été retrouvés la même nuit : officiellement, les enfants étaient morts en tombant d’une falaise entre Beni Ensar et Gourougou, mais l’AMDH estime que leur mort est liée aux raids policiers intenses menés dans la zone cette même nuit.
Enfants non accompagnés d’autres pays africains
Il y a également un groupe important d’enfants non accompagnés de hors du Maroc, principalement originaires d’autres pays africains, comme le Soudan, le Cameroun, la Guinée, le Nigéria ou le Sénégal (entre autres). Ils sont bloqués au Maroc sur le chemin de l’Europe. Ils sont pour la plupart sans papiers au Maroc, sans statut légal. Ils vivent parmi les communautés de migrants adultes dans les mêmes conditions précaires, la plupart dans des camps de fortune dans les forêts autour de la ville de Nador. Ils sont également dépendants de la mendicité pour leur nourriture et du soutien des ONG en matière d’hygiène et de soins de santé.
3.4. Oujda et l’Est
À Oujda, la situation des enfants en déplacement est assez difficile. L’Organisation marocaine des droits humains (OMDH) est le principal point d’entrée des migrants, mais la plupart d’entre eux arrivent sans papiers en règle ou les dissimulent délibérément. À Oujda, la possession de ces documents peut donner accès à une gamme de services indispensables, notamment les soins médicaux, l’enregistrement des nouveau-nés, la participation à des programmes de formation et l’utilisation des services offerts par diverses associations. Comme les personnes en déplacement ont très peu accès aux services sociaux en général, certaines d’entre elles fournissent de fausses informations pour demander la protection du HCR.
La plupart des enfants qui arrivent à Oujda viennent de la frontière algérienne. Le voyage vers Oujda est très difficile, et pour traverser la frontière entre l’Algérie et le Maroc, il faut avoir suffisamment d’argent ou être protégé par les autres. La plupart des enfants, accompagnés ou non, arrivent à Oujda avec diverses maladies, blessures, fractures ou troubles psychologiques. Pour les filles, les souffrances sont souvent doublées, car elles ont souvent survécu à des violences sexuelles. Elles peuvent arriver avec une maladie sexuellement transmissible ou une grossesse non désirée, et elles voyagent généralement en groupe ou avec un homme qui est chargé de les « protéger », souvent en échange d’argent ou de « faveurs » sexuelles. À leur arrivée à Oujda, elles peuvent être vendues à d’autres hommes ou forcées à se prostituer ou à d’autres formes de travail forcé.
La plupart des enfants viennent à Oujda à la recherche d’opportunités économiques et/ou de sécurité, ou d’une opportunité de traverser la frontière. Cependant, avant de pouvoir franchir la frontière pour rejoindre l’Europe, ils se retrouvent souvent dans une situation difficile avec une mobilité limitée au Maroc. Comme beaucoup d’entre eux doivent marcher partout, ils sont souvent confrontés aux dangers de la circulation, tels que les accidents de voiture.
Il y a quelques associations qui tentent de soutenir les enfants migrants en payant les frais de scolarité, les bourses, le matériel et le mobilier pour faciliter leur apprentissage dans un environnement propice. Cependant, le problème se pose après la formation – que doivent faire ces enfants ensuite ? Beaucoup de ces enfants sont originaires du Soudan, du Tchad, d’Érythrée et de Guinée et n’ont donc pas de permis de séjour (contrairement aux enfants syriens). Par conséquent, ils ne peuvent souvent pas trouver de travail ou obtenir un bon stage, ce qui déprime vraiment les jeunes adultes et les rend psychologiquement fragiles. C’est pourquoi les jeunes en déplacement sont forcés de dépendre de l’aide d’associations. Il s’agit d’un problème important en raison de la courte durée de ces projets, qui durent généralement de un à trois ans au mieux.
Comme l’illustre un témoignage de J.O. (ressortissant nigérian) :
« J’ai trois filles qui bénéficient toutes de projets qui aident les enfants à aller à l’école. Cependant, malgré cette aide, nous avons de la difficulté à joindre les deux bouts et à couvrir toutes nos dépenses. Par conséquent, après l’école, mes enfants vont mendier au carrefour. Parfois, quand la situation empire, ils sautent l’école pour m’aider. »
À Berkane, une ville rurale non loin d’Oujda, les enfants migrants sont souvent embauchés pour travailler dans les champs. Ce travail des enfants est très répandu parce que les enfants étrangers sont plus faciles à exploiter et « moins chers » que les Marocains. Leur salaire est souvent refusé, il n’y a pas de scolarité, pas de formation, et aucune association pour soutenir ces enfants.
3.5. Algérie
À première vue, les enfants en déplacement semblent être inexistants en Algérie. Selon notre contact de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH,), Oran :
« Ces dernières années, les populations immigrées sont de jeunes hommes à la recherche de travail ou bien en transit vers la Libye. Les enfants, à ma connaissance, il n’y a pas. »
Cependant, la réalité semble plus complexe. Des questions plus poussées au même camarade de la LDH révèlent que certains enfants sont visibles dans les espaces publics :
« les seuls enfants que nous trouvons ont de 1 à 12 ans, font partie d’un réseau de mendicité, et ils sont accompagnés par les parents ou de faux parents. »
Ces informations ont été confirmées par Algérie-Watch, en particulier en 2020, pendant la pandémie de COVID.
En 2015, un article publié dans le journal national El Watan décrivait les conditions de vie des enfants en déplacement à Alger. Beaucoup d’entre eux arrivent sur les routes migratoires dans un état psychologique alarmant et n’ont pas d’autre choix que de vivre dans des squats. L’article (reproduit dans le mensuel français Courrier international) se concentre sur les obstacles rencontrés par les femmes en déplacement en termes d’accouchement et d’éducation (accès aux soins de santé, identité légale des nouveau-nés et scolarisation).
Enfin, la spécificité de la situation des enfants en déplacement doit être mise en relation avec la spécificité de la politique anti-immigration algérienne : les politiques de déportations massives à la frontière nigérienne, qui durent depuis des décennies (pour plus de détails, voir l’analyse précédente ou directement la longue liste de rapports produits par Alarm Phone Sahara); parmi les milliers de déportés figurent plusieurs centaines d’enfants qui sont ensuite transférés à Agadez afin d’être renvoyés dans leur pays d’origine dans des conditions épouvantables. Un article de novembre 2023 du média Agadez Aïr Info conclut avec cette analyse :
« Le refoulement des migrants vers Agadez reste une préoccupation majeure pour la région en particulier et pour le Niger en général qui récolte les conséquences de la politique européenne d’externalisation des frontières et de tous les mécanismes mis en place pour stopper le phénomène de la migration irrégulière. Tous ces mécanismes mettent à mal le respect des droits des enfants du fait de l’incapacité de l’État et de ses partenaires à leur assurer une prise en charge effective. »
Bien sûr, beaucoup de jeunes Algériens quittent aussi le pays, beaucoup d’entre eux ont moins de 18 ans. Cependant, il est très difficile d’obtenir des informations sur leur situation et leur lutte. Selon nos propres observations en tant qu’Alarm Phone, environ une personne sur 15 sur la route de l’Algérie est un enfant.
3.6. Espagne : la situation des enfants migrants dans la péninsule
La situation des enfants non accompagné.es en déplacement est l’une des principales préoccupations des organisations de la société civile à l’heure actuelle. Après que la généralisation de l’utilisation de la catégorie « MENA » dans la sphère publique et médiatique a conduit à la déshumanisation et à la criminalisation de ces enfants, il nous semble particulièrement important de parler de leur situation.
Tout d’abord, selon les données dont nous avons connaissance, et selon le Ministère de l’Intérieur, sur les 56 852 personnes arrivées en 2023, 5 151 avaient moins de 18 ans (9%). Étant donné que seulement 2 375 enfants sont arrivé.es en 2022, il est clair que plus de deux fois plus d’enfants ont voyagé en 2023 par rapport à 2022. Beaucoup de ces enfants sont arrivé.es aux îles Canaries (voir section 3.1). Selon les données de l’Observatorio Permanente de la Inmigracíon, en octobre 2023, un total de 10 738 enfants migrant.es non accompagné.es étaient enregistré.es dans l’État espagnol, dont environ 6 % de filles. La principale nationalité reste le Maroc, qui représente 68 % du groupe, suivi de la Gambie, de l’Algérie et du Sénégal.
Situation juridique et droits des enfants migrants
Selon le cadre juridique existant, les enfants et les jeunes migrant.es non accompagné.es ont droit à la protection de l’État espagnol sous les mêmes conditions que les enfants espagnol.es, indépendamment de leur lieu de naissance et de leur situation administrative et de leurs documents. Par conséquent, les administrations publiques ont l’obligation de garantir leur bien-être et leur accès aux droits fondamentaux, qui sont tous inclus dans la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant. Tous les droits d’un.e enfant dans une situation de négligence doivent s’appliquer également par l’État espagnol à un.e enfant de nationalité étrangère, par exemple le droit aux soins et à l’hébergement, à des conditions de vie décentes, à l’éducation avec l’égalité des chances, le droit d’être protégé.e des réseaux de traite des êtres humains et de l’exploitation sexuelle.
En outre, les enfants et les jeunes migrant.es ont également le droit de demander l’asile. Dans ce cas, il est important de souligner qu’en raison de la situation de vulnérabilité particulière, ce droit est protégé non seulement par la législation spécifique sur l’asile (loi 5/1984 réglementant le droit d’asile et le statut de réfugié et ses règlements, approuvée par le décret royal 203/1995), mais aussi par toute la législation régionale, nationale et internationale visant spécifiquement à protéger les droits des enfants. Enfin, il est également important de noter que les États régionaux d’Espagne sont tenus de régulariser la situation des enfants sous leur protection.
Cependant, grâce au travail inlassable des organisations de la société civile, il est devenu évident qu’il y a de grandes lacunes lorsqu’il s’agit de mettre en pratique ces garanties légales, en particulier dans le domaine de l’accueil et de l’hébergement, des tests de détermination de l’âge et des irrégularités dans la reconnaissance des documents de certains pays, comme dans le cas de la Gambie.
Violations des droits fondamentaux des enfants
En ce qui concerne le système de prise en charge, il existe certains déficits en matière d’accueil et d’hébergement, notamment en raison du manque de ressources et de volonté politique de fournir les ressources humaines et matérielles nécessaires pour garantir un bon accompagnement. Il y a un manque absolu de personnel qualifié dans certains centres, un manque d’avocats et, par conséquent, une lacune latente dans le transfert d’informations sociales et juridiques. De plus, il n’y a pas de suivi de qualité pour les jeunes qui sont expulsé.es des centres lorsqu’iels atteignent l’âge de 18 ans ou lorsqu’une déclaration du procureur stipule que la personne est majeure. Les organisations de la société civile ont connaissance de cas d’enfants qui ont quitté les centres de protection sans aucune orientation vers d’autres ressources sociales et sans qu’aucun processus de régularisation n’ait été activé.
En ce qui concerne les tests de détermination de l’âge, de nombreuses organisations ont dénoncé le caractère raciste de leur essence et de leur application, étant donné que les paramètres de détermination de l’âge ont été construits sur la base de la population blanche américaine, ce qui entraîne des marges d’erreur éventuellement importantes dans le cas d’enfants d’autres origines, en particulier d’Afrique subsaharienne. Ces tests de détermination de l’âge consistent en des examens médicaux qui doivent être effectués avec le « consentement éclairé » du ressortissant étranger. Toutefois, si l’enfant ne consent pas à ces examens, il sera automatiquement déclaré.e majeur.e par le procureur de la République. Les examens médicaux comprenaient initialement une radiographie du poignet (« test osseux »), un examen dentaire, un examen génital et une nudité complète. En 2022, après la condamnation de cette pratique par l’ONU, un projet de loi a été adopté pour réglementer la procédure d’évaluation de l’âge, qui comprend l’interdiction des tests nécessitant une nudité complète ou un examen des organes génitaux. Malgré ces progrès, ces tests continuent d’être pratiqués avec des marges d’erreur importantes qui peuvent déterminer l’avenir immédiat de nombreux.ses enfants (en effet, une radiographie du poignet n’est pas fiable et la marge d’erreur est de 18 mois). Pourtant, la loi 26/2015 sur la modification du système de protection de l’enfance et de l’adolescence établit que lorsque l’âge de la majorité d’une personne ne peut être établi, celle-ci doit être considérée comme un.e enfant aux fins énoncées dans cette loi, jusqu’à ce que son âge soit déterminé.
Un autre problème actuel concerne la reconnaissance des passeports des enfants et le manque d’accès aux droits qui émerge de cette situation. Avec la jurisprudence obligatoire de deux arrêts de la Cour suprême confirmant l’interdiction de tester l’âge des enfants muni.es d’un passeport, la réalité est très différente : de nombreux.ses enfants sont expulsé.es ou exclu.es du système de protection de l’enfance et condamné.es à la rue en raison de l’application de tests d’âge alors qu’iels n’ont pas de passeport ou même qu’iels ont un passeport qui stipule leur statut de minorité. Dans le cas des enfants gambien.nes, ce scénario est particulièrement grave, car il implique une politique systématique et généralisée de considérer les passeports comme invalides en raison d’une prétendue enquête de police ouverte sur la falsification de documents qui n’a pas encore été prouvée, laissant de nombreux.ses enfants et jeunes en dehors du système de protection. En tant qu’Alarm Phone, nous trouvons choquant que les enfants soient généralement soupçonné.es de mentir, qu’iels aient la charge de prouver leur âge et que les déficits dans leur protection soient épouvantables.
4. Naufrages et personnes disparues
Le 1er octobre, un naufrage s’est produit à 42 miles au sud-est de l’île de Lanzarote, dans les îles Canaries. 45 personnes se trouvaient sur le bateau et sept sont toujours portées disparues.
Le 6 octobre, Alarm Phone est informé qu’un bateau a disparu après avoir quitté le Maroc pour les îles Canaries. Le sort des 60 passager.es reste inconnu.
Le 8 octobre, Alarm Phone est informé de la disparition de huit personnes ayant quitté l’Algérie en direction de la péninsule espagnole cinq jours plus tôt. Des semaines plus tard, Alarm Phone apprend que le bateau a été secouru à Alicante, en Espagne. Une personne est portée disparue. Une autre personne est arrêtée et accusée d’être un passeur.
Le 21 octobre, une personne meurt dans l’eau au large de Cadix, en Espagne, alors qu’un bateau l’avait lâchée avec un groupe de personnes pour nager vers la côte. Les cinq autres personnes survivent.
Le 23 octobre, deux bateaux transportant 203 personnes au total arrivent à El Hierro, dans les îles Canaries. Une personne n’a pas survécu.
Le 26 octobre, un naufrage se produit au large de Saint-Louis, au Sénégal. Plusieurs personnes sont portées disparues. Au moins une personne est retrouvée morte.
Le 27 octobre, un bateau transportant plus de 200 personnes est secouru au sud de Tenerife, dans les îles Canaries. Une personne est retrouvée morte et quatre personnes souffrant de graves problèmes de santé ont été transportées à l’hôpital.
Le 28 octobre, plus de 20 personnes meurent lors de la traversée d’un bateau transportant plus de 240 personnes de la Gambie vers les îles Canaries.
Le 30 octobre, un bateau avec 209 personnes à bord est secouru à environ 15 km au sud de Tenerife, aux îles Canaries. Deux personnes sont retrouvées mortes.
Le 31 octobre, un bateau avec 274 personnes à bord est intercepté par les autorités marocaines au sud de la ville de Dakhla, Sahara occidental. Deux personnes sont retrouvées mortes. L’embarcation était partie six jours plus tôt du Sénégal à destination des îles Canaries.
Le 4 novembre, le Salvamento Maritimo rapporte que plus de 500 personnes ont été secourues au large des îles Canaries. Deux personnes sont retrouvées mortes et deux autres décèdent à l’hôpital.
Le 5 novembre, 15 personnes meurent dans un naufrage au large de la Mauritanie. Plusieurs personnes sont portées disparues.
Le 9 novembre, un bateau avec 81 personnes à bord atteint El Hierro, aux îles Canaries. Une personne à bord n’a pas survécu à la traversée.
Les 4 et 5 novembre, Alarm Phone signale que plusieurs bateaux transportant entre 803 et 856 Sénégalais dérivent vers la Mauritanie. 13 personnes meurent à bord et on estime que 90 à 100 autres personnes se sont noyées. De nombreux survivants sont arrêtés et gardés par la police en attendant d’être expulsés. Peu après, Alarm Phone apprend qu’un autre bateau est arrivé aux îles Canaries avec 80 survivants et 13 corps. Six personnes sont en très mauvais état et sont transférées à l’hôpital.
Le 14 novembre, une personne meurt dans un naufrage au large de Motril, dans la péninsule espagnole. 36 personnes survivent à la tragédie.
Le 17 novembre, un bateau avec 45 personnes à bord chavire au large de Guelmin, au Maroc. Dix personnes sont portées disparues et 25 personnes sont mortes pendant le naufrage.
Le 22 novembre, un cadavre est retrouvé au large de l’enclave espagnole de Ceuta.
Le 21 novembre, un corps mort est retrouvé dans l’eau et le 22 novembre, le corps d’une autre personne flotte sur la plage d’Águilas, Murcie, Espagne. La cause du décès n’a pas encore été déterminée, mais on peut supposer qu’il s’agit de deux personnes qui n’ont pas survécu à la traversée entre l’Afrique du Nord et la péninsule espagnole.
Le 29 novembre, deux bateaux arrivent en Espagne avec 35 personnes à bord. Quatre d’entre elles sont jetées à la mer et meurent avant d’atteindre la terre ferme près de San Fernando, à Cadix, en Espagne. Huit autres personnes sont rejetées sur le rivage. Elles survivent, mais trois d’entre elles sont hospitalisées pour hypothermie.
Le 30 novembre Un bateau sur le point de chavirer dans des conditions de mer difficiles avec 50 personnes à bord est secouru par un navire marchand à 85 kilomètres au sud de Gran Canaria, dans les îles Canaries. Une de ces personnes est déjà décédée.
Le 3 décembre, une personne meurt lors de la traversée en bateau vers le continent espagnol au large d’Almería.
Le 4 décembre, deux corps sont retrouvés à Boudinar et Beni Ensar (région de Nador) et transférés à l’hôpital Hassani de Nador, au Maroc.
Le 20 décembre, quatre bateaux avec 200 personnes à bord sont secourus près de Lanzarote, aux îles Canaries. Le décès de deux personnes est confirmé.
Le 20 décembre, un bateau avec 52 personnes à bord est secouru au sud de Gran Canaria, îles Canaries. Deux jeunes gens sont retrouvés morts. Il s’agit de Bira T., 19 ans, et de Djibril N., un enfant de 10 à 12 ans. Le diagnostic initial dans les deux cas est celui d’une mort par hypothermie, ce qui concorde avec le témoignage des autres hommes qui voyageaient dans l’embarcation. Ils disent avoir souffert d’un froid intense, d’un vent violent et de fortes vagues.
Le 23 décembre, un corps mort non identifiable est rejeté sur le rivage du port de Melilla.
Le 28 décembre, 14 personnes meurent dans un naufrage sur la route des îles Canaries. Le bateau en caoutchouc transportant 58 personnes coule au large de Boujdour, au Sahara occidental.
Le 30 décembre, quatre corps de jeunes harraga marocains sont retrouvés près de Nador, au Maroc., un bateau sur le point de chavirer par mer agitée avec 50 personnes à bord est secouru par un navire marchand à 85 kilomètres au sud de Gran Canaria, dans les îles Canaries. L’une d’entre elles est déjà décédée.
Le 1er janvier, un bateau avec 105 personnes à bord est retrouvé par les unités de secours espagnoles Salvamento Marítimo près de Gran Canaria, aux Canaries. Deux personnes à bord sont mortes pendant la traversée et une autre est dans un état de santé grave.
Le 3 janvier, un corps est retrouvé sur la plage de Ceuta. On suppose que la personne est décédée pendant la tentative d’atteindre Ceuta à la nage depuis le Maroc.
Le 5 janvier, un corps est retrouvé au large de Ceuta. La personne portait une combinaison de plongée et des palmes, ce qui semble indiquer qu’elle est morte en tentant de rejoindre la côte espagnole à la nage.
Le 7 janvier, une personne est retrouvée dérivante dans les eaux sur un pneu de camion près de Fuerteventura. Le survivant signale aux secours qu’il a quitté Tarfaya sur ce pneu en compagnie d’un ami, qui est mort pendant la nuit précédente.
Le 15 janvier, un corps mort est retrouvé près de la côte de Cadix, en Espagne. Une autre personne est portée disparue. Seules trois personnes voyageant sur ce bateau peuvent être sauvées.
Le 19 janvier, une personne meurt lors d’une tentative de traversée à la nage d’une plage marocaine vers Ceuta.
Le 24 janvier, une personne se noie en tentant de rejoindre le continent espagnol par bateau depuis Al Hoceima, au Maroc.
Le 26 janvier, un corps est retrouvé sur la plage de Ceuta. La personne portait une combinaison en néoprène, ce qui laisse penser qu’elle a tenté d’entrer à Ceuta à la nage.
Le 26 janvier, un bateau transportant 68 personnes est secouru près d’El Hierro, dans les îles Canaries. Deux personnes à bord sont retrouvées mortes.
Le 27 janvier, un autre bateau est détecté près d’El Hierro, aux îles Canaries.Trois personnes n’ont pas survécu à la traversée.
Le 5 février, un bateau avec 105 personnes à bord est en détresse en raison des conditions difficiles sur la route des Canaries. Lorsque le bateau est retrouvé près de Gran Canaria, deux personnes sont décédées et deux autres sont dans un état de santé grave.
Le 26 février, la Marine Royale intercepte un bateau avec 122 personnes. Une personne est retrouvée morte à bord.
Le 27 février, une embarcation quitte l’une des plages de Beni Sheker dans des conditions météorologiques défavorables et sans gilet de sauvetage, provoquant la mort d’au moins huit personnes lors du chavirement de l’embarcation. Neuf personnes sont arrêtées et quelques corps sont rejetés sur le rivage, mais un grand nombre de la soixantaine de passager.es sont toujours porté.es disparu.es.
Le 27 février, au moins 26 personnes meurent dans un naufrage sur la route de l’Atlantique au nord du Sénégal. Des témoignages font état de la présence de 200, voire de plus de 300 personnes à bord. Le nombre de personnes disparues reste incertain. La tragédie s’est produite à Saint-Louis, à l’embouchure du fleuve Sénégal. L’une des victimes est le jeune Reda Al-Ghobashi.
Le 4 mars, un bateau chavire près du Cap-Vert. Cinq personnes meurent. Cinq survivants peuvent être secourus, mais l’un d’entre eux décède à l’hôpital, ce qui porte le nombre de victimes à six. Selon les quatre survivants, l’embarcation était partie d’un village mauritanien et transportait environ 65 personnes.
Le 4 mars, une personne meurt à l’hôpital après avoir été évacuée de l’île d’Alborán vers Almeria, dans la péninsule espagnole. Près de 200 personnes en provenance du Maroc ont débarqué la semaine précédente sur ce territoire militaire, qui appartient à l’État espagnol. –Rapport d’AlarmPhone-
Le 6 mars, un bateau est secouru près d’El Hierro, dans les îles Canaries. Sur les 68 personnes à bord, quatre sont mortes et 14 sont hospitalisées avec des symptômes d’hypothermie et de déshydratation, un faible niveau de conscience, une tension artérielle basse et des blessures.
Le 10 mars, au moins 76 personnes pénètrent dans Ceuta à la nage et deux passent par-dessus les clôtures : une personne meurt et une autre est portée disparue.
Le 12 mars, le Salvamento Marítimo sauve un bateau avec 40 personnes à bord. Deux d’entre elles sont retrouvées mortes. Un navire marchand avait repéré l’embarcation au sud de Gran Canaria, dans les îles Canaries.
Le 18 mars, un corps flottant est retrouvé sur la plage de l’enclave espagnole de Melilla.
Le 22 mars, un naufrage se produit au large de Motril, en Espagne. Deux passagers sont retrouvés vivants, au moins trois personnes meurent et sept sont portées disparues. Selon les survivants, il y avait 12 personnes à bord lorsque le bateau a quitté l’Algérie six jours plus tôt.
Le 23 mars, un bateau transportant 165 personnes et se dirigeant vers les îles Canaries est intercepté par la marine royale marocaine.Quatre corps sans vie sont retrouvés à bord.
5. CommemorAction – le combat continue
Au vu des innombrables morts et du deuil qui semble sans fin des milliers de personnes qui ont disparu, se sont noyées ou ont été déportées aux frontières meurtrières de l’UE, il est d’autant plus important de créer des moments de solidarité et de souvenir, ainsi que des espaces pour exprimer notre colère et nos condamnations. En ce sens, 2024 est une année particulière : elle marque le 10e anniversaire du massacre de Tarajal.
Le 6 février 2014, la Guardia Civil a tiré sur environ 200 personnes qui tentaient de rejoindre à la nage la plage de Tarajal, dans l’enclave espagnole de Ceuta, depuis la côte marocaine. Bien que ces personnes soient en détresse, la présence militaire marocaine n’a pas aidé les personnes qui se noyaient dans son champ de vision. Triste bilan de cette atrocité : Quinze corps ont été découverts du côté espagnol, tandis que de nombreux autres étaient portés disparus. Les survivant.es ont été renvoyé.es de force et, tragiquement, certain.es ont péri sur le rivage marocain.
Depuis plus de dix ans maintenant, les survivant.es de ce massacre se battent pour obtenir justice. La violence exercée par les forces de sécurité et les autorités « a violé le droit espagnol, européen et international en matière de droits humains », mais toutes les procédures judiciaires dans cette affaire ont été classées à plusieurs reprises sans suite par le juge d’instruction de Ceuta. En juillet 2020, « l’Audience provinciale de Cadix a confirmé la décision de classer l’affaire », et en 2022, la Cour suprême d’Espagne a finalement également classé l’affaire – une décision que les ONG et les proches des personnes touchées tentent actuellement de faire annuler en déposant des plaintes.
Entre-temps, des militant.es du monde entier ont manifesté leur soutien aux parents et aux survivant.es de cette tragédie. En Espagne notamment, des militant.es et des ONG organisent chaque année la « Marcha por la Dignidad » (marche pour la dignité). Cette année, ils et elles ont à nouveau manifesté leur colère et leur puissance sous le slogan « XI MARCHA POR LA DIGNIDAD – 10 años exigiendo verdad, justicia y reparación » (10 ans d’exigence de vérité, de justice et de réparation ) en manifestant à travers Ceuta jusqu’à la plage de Tarajal, où le massacre a eu lieu.
En mémoire de ce massacre, des actions de commémoration sont organisées chaque année le 6 février dans de nombreuses villes à travers l’Afrique et l’Europe. Le terme CommemorAction est une fusion de commémoration et d’action, pour souligner « à la fois l’engagement à se souvenir de celles et ceux qui sont mort.es ou ont disparu dans leur quête de liberté de mouvement et la demande de justice ». Dans le même esprit que la Marcha por la Dignidad et en lien étroit avec elle, ces événements servent à la fois à faire le deuil des personnes décédées et à exprimer l’opposition au régime frontalier de l’UE et à exiger qu’il rende des comptes. Cette année, des centaines de militants de diverses organisations se sont réunis pour organiser des actions de commémoration dans 55 villes de 17 pays différents.
Des photos et des vidéos de toutes ces actions sont disponibles ici : https://commemoraction.net/photos-and-videos/2024-feb6/. D’Amsterdam à Douala, de Dakar à Tripoli, le réseau transfrontalier de solidarité a montré une fois de plus cette année, le 6 février, que la mémoire contre l’oubli n’a pas de limites.
Nous n’oublierons jamais, nous ne pardonnerons jamais !