Une ligne de démarcation mortelle : La militarisation de la frontière ne conduit qu'a plus de morts dans la Manche

Ce matin, nous avons appris que des personnes se sont noyées dans la Manche lorsqu’une embarcation avec environ 47 personnes à bord semble s’être désintégré en mer. Les circonstances exactes de cet événement restent floues, mais la zone dans laquelle s’est déroulée l’opération initiale de recherche et de sauvetage – sur la ligne de démarcation séparant les eaux territoriales britanniques et françaises – rappelle la situation qui a conduit à la mort de 32 personnes l’année dernière et soulève à nouveau des questions sur la coordination des garde-côtes français et anglais dans leur devoir de sauver des vies en mer.

Contrairement au 24 novembre 2021, il semble que la plupart des personnes à bord de l’embarcation aient survécu et pourront apporter leur témoignage sur ce qui s’est passé ce matin. Ce que nous savons actuellement en tant qu’Alarm Phone, c’est que notre association partenaire Utopia 56, qui travaille sur le littoral Nord, a reçu un message à 02:53 heure française (UTC+1) de la part d’un bateau en détresse. Les voyageurs ont transmis leur position GPS : 50° 59.294′ N, 1° 21.087′ E, à environ 15 miles nautiques au sud-est de la pointe de Dungeness.

Une minute plus tard, les voyageurs ont envoyé un message vocal en anglais que nous avons transcrit ci-dessous:

“Bonjour mon frère, nous sommes dans un bateau et nous avons un problème, s’il vous plaît aidez-nous. Euh, nous avons des enfants et la famille dans un bateau. Et un bateau, de l’eau qui arrive … nous n’avons rien pour le sauvetage pour … la sécurité. S’il vous plaît aidez-moi mon frère s’il vous plaît s’il vous plaît. Nous sommes dans l’eau, nous avons une famille.”

Le bruit d’un moteur hors-bord en train de tourner est également audible dans le message vocal.

Ni Utopia 56 ni Alarm Phone n’ont réussi à recontacter ces personnes pour mettre à jour leur localisation ni confirmer si elles avaient été secourues.

Utopia 56 a appelé les garde-côtes français au CROSS Gris-Nez à 02:57 heure française, et les a informés de la détresse de ces personnes, ainsi que de leur position GPS. Un e-mail de suivi a été envoyé aux garde-côtes français, à Alarm Phone et au MRCC de Douvres à 03:13, notifiant ainsi tous les acteurs concernés de la position de l’embarcation en détresse. Pour l’instant, nous ne savons pas si ni quand les voyageurs auraient passé leurs propres appels directement aux garde-côtes français et britanniques, ni ce qu’ils auraient pu communiquer aux garde-côtes.

La position GPS initiale envoyée par les voyageurs se trouvait dans les eaux françaises, bien qu’il soit probable que le bateau ait poursuivi son voyage en raison des bruits de moteur entendus dans le message vocal. Sur la base des données open source AIS et ADS-B disponibles sur VesselFinder et ADS-B Exchange, il ne semble pas qu’une opération de recherche et de sauvetage ait été lancée par les Français. Cependant, on ne peut le confirmer car il arrive que les bateaux militaires français opérant dans la Manche cessent de transmettre ou faussent leurs positions AIS, surtout lors de patrouilles. Notre suivi de l’activité de ces bateaux montre que lorsqu’ils sont engagés dans des opérations de recherche et de sauvetage ou qu’ils stationnent à côté de petites embarcations dans la Manche, ils transmettent systématiquement leur position par AIS pour s’assurer qu’ils sont visibles des autres navires.

La première preuve d’une opération de recherche et de sauvetage provient du côté britannique, environ une heure après l’alerte de détresse initiale. Nous ne savons pas quelles informations les garde-côtes ont pris en compte avant de lancer une opération de recherche et de sauvetage, mais à environ 03:40 UTC+1, le bateau de sauvetage 13-02 de RNLI Dungeness se met à l’eau et se dirige à toute vitesse vers une position située à 3,65 miles nautiques au nord-ouest de la position de détresse initiale envoyée à l’Utopia 56. Il y rencontre le navire de transport maritime Arcturus BA862 à envrion 04:20 sur la ligne de démarcation. À environ 4:20 UTC+1, l’hélicoptère des garde-côtes britanniques décolle de Lydd pour se joindre à l’opération de recherche et de sauvetage. Le navire de pêche Lass O Doume BM 181, le Dover RNLI Lifeboat 17-46 et le HMS Severn se rendent aussi tous sur les lieux.

Ce qui arrive ensuite en mer n’est pour l’instant pas clair. Le bateau avait-il chaviré ? Des personnes étaient-elles déjà dans l’eau, et si oui, depuis combien de temps ?

Le fait que l’opération de sauvetage initiale (ainsi que celles lancées plus tard dans la matinée, une fois que la situation soit clairement devenue critique) à eu lieu exactement sur la ligne de démarcation entre les eaux françaises et britanniques soulève des questions urgentes sur la coopération des garde-côtes pour s’assurer que ce bateau soit secouru.

Du fait d’avoir traité de nombreux cas avec nos partenaires en France, Alarm Phone sait que cette année, les bateaux pneumatiques ont été constamment, presque systématiquement ‘accompagnés’ jusqu’aux eaux anglaises par des navires français, afin de s’assurer qu’une opération de sauvetage puisse être mise en place rapidement en cas de détresse. Cependant, l’embarcation pour laquelle le Dungeness Lifeboat a été mis à l’eau ce matin ne semble avoir été ‘accompagnée’ par aucun navire français.

Nous avons également remarqué un changement de mode opératoire à la suite des décès de l’année dernière et des enquêtes actuelles auxquelles les garde-côtes sont actuellement confrontés : les garde-côtes britanniques mettent à l’eau les bateaux de sauvetage de la Border Force et de la RNLI plus tôt, en prévision de la traversée de personnes dans les eaux britanniques, plutôt que d’attendre que les bateaux pneumatiques se trouvent dans ces eaux avant de lancer une opération de recherche et de sauvetage.

Un bateau de pêche, l’Arcturus BA862, qui n’aurait pas été alerté d’un cas de détresse, a été le premier sur les lieux. Le Dungeness Lifeboat a été la premier navire de sauvetage a atteindre les personnes situées à la frontière maritime des compétence de sauvetage et recherche. Nous savons que le MRCC de Douvres a été alerté du cas de détresse à 03:13 UTC+1 par e-mail. Un porte-parole du gouvernement rapporte maintenant que les autorités britanniques n’ont été alertées qu’à 04:05 UTC+1. La question de cette divergence demeure. Si les autorités britanniques n’étaient au courant du cas qu’à partir de 04:05 UTC+1, sur la base de quelles informations le bateau de sauvetage Dungeness Lifeboat a-t-il été mis a été mis à l’eau à 03:40 UTC+1 ?

D’autres questions restent sans réponse. Les garde-côtes britanniques ou français ont-ils pris contact avec les personnes à bord du bateau après l’alerte de l’association Utopia 56 ? À quel moment la situation à bord s’est-elle détériorée ?

Les opérations de recherche et de sauvetage menées ce matin ont été importantes : tous les bateaux de sauvetage de la côte anglaise ont été mis à l’eau, de nombreux hélicoptères des garde-côtes français et anglais ainsi que des navires militaires ont également participé. Malgré toutes ces moyens, cela n’a pas suffi à sauver les 4 personnes dont la mort a été confirmée à l’heure actuelle. Bien que nous devons reconnaître les efforts de tous les acteurs participant à la recherche et au sauvetage dans ce cas de naufrage et au cours des derniers mois dans la Manche, la question finale demeure : pourquoi ces 43 personnes et des milliers d’autres ont-elles été contraintes d’effectuer un voyage aussi dangereux ? Des vies continueront d’être perdues si les États s’obstinent à renforcer les frontières militarisées au lieu de permettre à toutes et tous d’accéder aux voies existantes pour traverser la Manche en ferry et en train. L’annonce faite hier par le Premier ministre britannique confirme l’intention de son gouvernement de continuer d’entraver la circulation de certain.es. La liberté de circulation pour toutes et tous est le seul moyen d’éviter des pertes de vie comme celle d’aujourd’hui.

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