Des itinéraires de voyage en constante évolution en Méditerranée occidentale - le mouvement vers le Sud et l'Est

Voyageur.euse.s attendant de monter à bord d’un bateau en direction des îles Canaries.
Source : AP Maroc

Notre rapport couvre de nouveau quatre mois turbulents de traversées, d’évolutions politiques et de luttes quotidiennes contre le système frontalier européen en Méditerranée occidentale. Comme nous l’avons décrit dans notre dernier rapport, la pandémie de Covid-19 et le confinement qui a suivi au Maroc et en Espagne, ainsi que les raids et les arrestations arbitraires, ont eu un impact significatif sur les arrivées en Espagne. Depuis juin, il est apparu clairement que les États espagnol et marocain utilisent le Covid-19 comme un autre moyen pour harceler et arrêter les migrant.e.s (voir section 2.3.) ou pour les priver des biens de première nécessité comme un logement décent (voir 2.3 et 3). Malgré ces obstacles, les gens partent à la recherche d’une vie meilleure et luttent pour leur liberté de circulation. Les nombreux bateaux qui sont arrivés en Espagne, parfois avec l’aide de notre ligne d’assistance téléphonique, nous donnent de l’espoir et de la joie. Cela montre encore et toujours que la migration ne peut jamais être découragée ou “arrêtée”, car elle est un besoin fondamental et un droit de l’Homme. Cependant, ces derniers mois d’été montrent un changement significatif dans les tendances migratoires en Méditerranée occidentale. Les voyageur.euse.s qui se rendent en Espagne arrivent désormais en très grande majorité du Sahara occidental (déplacement de l’itinéraire de voyage vers le sud) ou d’Algérie (déplacement de l’itinéraire de voyage vers l’est). Il s’agit là de changements importants qui nécessitent notre action et notre solidarité.

La route des Canaries est depuis longtemps connue comme la plus meurtrière de la Méditerranée. Jusqu’à présent, l’année 2020 a exacerbé cette tendance. Les départs de la Mauritanie, du Sénégal et de la Gambie, au sud des Canaries, sont de plus en plus nombreux, et plusieurs naufrages sont à déplorer. Les voyageur.euse.s doivent passer des jours, parfois même une semaine, en mer, presque toujours confronté.e.s à des vents et à des conditions météorologiques défavorables. Leur seul espoir est d’être secouru.e.s par le Salvamento Maritimo, mais la zone de patrouille SAR espagnole s’étend sur un million de kilomètres carrés. Ce territoire est terriblement vaste dans les cas où un un bateau s’y est perdu, ou encore si un moteur est tombé en panne ou si les personnes à bord n’ont aucun moyen de communication depuis l’Atlantique.

Comparaison du nombre d’arrivées par décès en mer entre les différentes routes vers l’Europe. Source : OIM, Chiffre : El Pais

Les personnes qui veulent quitter le Maroc n’ont souvent pas d’autre choix. Le contrôle de l’État dans le nord du royaume est extrêmement strict et va de pair avec une répression anti-migrant.e.s toujours plus forte. Cela a conduit à une augmentation massive du prix des voyages. Le nombre d’arrivées aux îles Canaries, un peu plus de 6000, est encore loin d’atteindre celui de la dite”crise de los cayucos” de 2006, lorsque plus de 30 000 personnes étaient parties à bord de bateaux de pêche en bois, en provenance de Mauritanie et du Sénégal. Pour autant, nous sommes extrêmement préoccupé.e.s par chaque départ. En tant que militant.e.s luttant pour la liberté de circulation et en tant qu’êtres humains, nous devons redoubler d’efforts pour rendre public et dénoncer cette situation afin mettre fin à ce piège mortel.

La deuxième grande évolution concerne la forte augmentation des arrivées en provenance d’Algérie. Du mois de janvier au mois d’août, 41 %  des voyageur.euse.s à destination de l’Espagne étaient des ressortissant.e.s algérien.ne.s (contre 8 % pour la période équivalente en 2019). Comme toujours, les raisons sont multiples. Le système politique de l’ancien président Bouteflika et la crise socio-économique apparemment insoluble conduisent souvent à la décision de quitter le pays. La crise déclenchée par le Covid-19 et les contre-mesures prises pour empêcher sa propagation ont rendu la vie quotidienne encore plus difficile pour de nombreuses personnes. Comme un passeport algérien ne donne pratiquement aucune chance d’obtenir un visa pour l’UE, les Algérien.ne.s sont contraint.e.s de s’embarquer sur la dangereuse route maritime. Tout comme leurs voisin.ne.s marocain.e.s, ils et elles sont immédiatement séparé.e.s des autres arrivant.e.s et font l’objet d’une procédure d’expulsion accélérée. Les Algérien.ne.s sont renvoyé.e.s rapidement et de force dans leur pays d’origine.

En tant qu’Alarm Phone, nous essayons d’étendre et d’étoffer nos réseaux et nous travaillons sur la rédaction d’une section concernant l’Algérie pour les rapports à venir. Les voyageur.euse.s marocain.e.s et algérien.ne.s représentent 60 % de l’ensemble des arrivées. Comme nous l’avons souligné par le passé, nous ne souhaitons pas reproduire des distinctions inutiles entre les différentes nationalités. Toutefois,  Alarm Phone ainsi que le réseau de solidarité contre les frontières doivent être plus conscients de la situation particulière des ressortissants nord-africains afin de pouvoir étendre nos liens et notre solidarité à l’ensemble des personnes se trouvant sur les routes migratoires de la Méditerranée occidentale.

 

Ce rapport couvre l’ensemble des sujets suivants :

1 Les traversées maritimes et les expériences de l’AP

2 Nouvelles des régions

2.1 Tanger et le détroit de Gibraltar

2.2. Nador et les forêts

2.3 La route du Sahara occidental

2.4 Oujda

2.5 Les enclaves : Ceuta et Melilla

3 Politique migratoire espagnole

4 Naufrages et personnes disparues

 

Comme toujours, nous basons la rédaction de nos rapports sur les voix des membres de l’AP sur le terrain, en adoptant une perspective de résistance, basée sur notre capacité d’agir pour modifier le réel. Notre objectif n’est pas l’objectivité journalistique, mais la destruction de la forteresse Europe.

1 Traversées maritimes et expériences de l’AP

à la date du 27 septembre, 19 093 personnes sont arrivées en Espagne en 2020. 17 693 d’entre elles sont arrivées par la mer Méditerranée. 11 260 voyageur.euse.s sont arrivé.e.s aux Baléares et sur le continent, tandis que 6 116 ont atteint les îles Canaries. 1 395 personnes sont arrivées par voie terrestre dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla (HCR, 2020).

61% des arrivées en 2020 sont entrées en Espagne au cours des 4 derniers mois, dont 5 002 pour le seul mois de septembre. En outre, on observe une forte augmentation des arrivées depuis que les mesures de Covid-19 ont commencé à s’assouplir en Espagne en mai 2020. Ces chiffres sont illustrés dans le graphique ci-dessous.

Comparaison des arrivées par mois entre 2019 et 2020.
Source: Rapport hebdomadaire du HCR Espagne, semaine 21 – 27 septembre 2020

Dans la Méditerranée occidentale, Alarm Phone a été plus sollicité de juin à septembre (39 cas) que de janvier à juin (29 cas).  Au cours de la période couverte par ce rapport, 20 bateaux sont arrivés en Espagne, tandis que 10 ont été interceptés. Alarm Phone a enregistré deux naufrages, un bateau disparu et un refoulement illégal. En outre, le sort de cinq bateaux reste incertain.

Quelques cas d’Alarm Phone des quatre derniers mois

Le 31 juillet, à 04:50 CEST, nous avons reçu un appel d’une personne qui connaissait des gens dans un bateau parti des environs de Tantan et Gulmin. Le bateau se dirigeait vers les îles Canaries. Cette personne nous a informé que le bateau était parti le 30 juillet à 07:00 CEST avec 30 personnes à bord. Il nous a donné les numéros de téléphone des personnes à bord du bateau. Nous avons essayé de contacter les personnes à bord du bateau, mais elles n’étaient pas joignables. Nous avons contacté le Salvamento Marítimo et la Guardia Civil pour les informer qu’un bateau avait besoin d’aide. Les personnes à bord du bateau sont restées injoignables. Après presque 18 heures d’attente, nous avons reçu un courriel de la Guardia Civil Las Palmas nous informant que le bateau avait été sauvé. BOZA ! Bienvenue en Europe !

Le 11 septembre à 08h35 CEST, nous avons reçu un appel d’une personne à bord d’un bateau qui avait accosté au Peñón de Alhucemas, une des îles d’Alhucemas, territoire espagnol situé à seulement 0,7 km du Maroc. Cette personne nous a informé qu’il s’agissait d’un groupe de 5 personnes du Cameroun, qu’ils/elles avaient très froid et qu’une femme sur le bateau était malade. Bien qu’ielles/elles soient arrivé.e.s sur le territoire espagnol, les autorités les ont renvoyé au Maroc. Il n’y a pas eu de procédure administrative et elles/ils se sont donc vus refuser le droit de demander l’asile. Il s’agit là d’une violation flagrante de la loi. Nous condamnons les autorités espagnoles pour ces actions. Nous sommes solidaires de nos frères et sœurs du Cameroun et des nombreuses autres personnes qui sont confrontées à ces “déportations à chaud” criminelles.

2 Nouvelles des régions

2.1 Tanger et le détroit de Gibraltar

Depuis juillet, les membres de l’AP rapportent qu’ils et elles ont rarement été témoins de contrôles de police à Tanger. Il s’agit là d’un artefact de la réponse de l’État au Covid-19. Les opérations de contrôle ont eu tendance à se concentrer dans le centre ville, alors que les communautés de migrant.e.s vivent principalement dans les quartiers périphériques ou les forêts entourant la ville. Comme le dit un membre d’ Alarm Phone, “le confinement n’est pas encore effectif à Tanger”.

Néanmoins, il y a eu des cas d’expulsion et de déportation. Des femmes et des enfants ont été expulsé.e.s, ainsi que des hommes. Le 28 juillet, un groupe de près de 50 personnes a été arrêté à la gare de Tanger et transféré de force dans un centre à Rabat. Des expulsions ont également eu lieu à Bukhalef et à Mesnana. Il s’agit de quartiers de la périphérie de Tanger où vivent des communautés de migrant.e.s, pour la plupart cachées dans des “tranquilo” (habitations), dans la crainte constante de tomber dans les bras de la police. Les membres d’Alarm Phone rapportent également qu’ils et elles ont été informé.e.s par les victimes des arrestations à Tanger et des expulsions le 29 septembre. Des personnes ont été emmenées en bus vers la région centrale du pays, Casablanca, et Rabat. Un membre rapporte que des citoyen.ne.s marocain.e.s attaquent quotidiennement des migrant.e.s subsaharien.ne.s.

Bien que les contrôles soient concentrés dans le centre ville de Tanger, les personnes qui attendent de traverser dans la forêt près de la ville sont soumises à des contrôles et parfois à des arrestations violentes. Le 31 juillet, un jeune camerounais, Félix, est mort dans des circonstances suspectes après avoir été arrêté et dépouillé, avec plusieurs autres personnes, par des membres des forces auxiliaires marocaines dans une forêt près de Tanger. Selon les témoignages recueillis par l’AMDH (Association marocaine des droits de l’Homme) de plusieurs de ceux qui l’accompagnaient, Félix est mort après avoir reçu de violents coups à la tête. Il a fallu plusieurs heures avant qu’une ambulance n’arrive. Dans une vidéo de deux minutes largement diffusée sur les réseaux sociaux, des jeunes portent le corps de Félix en criant “Les Marocains ont tué notre frère”. Une enquête a été ouverte par les autorités marocaines afin de déterminer les circonstances et les causes de sa mort. Du côté européen, le syndicat espagnol, la Confédération générale du travail (Confederación General del Trabajo, CGT) a demandé à l’Espagne de reconnaître sa responsabilité dans cette tragédie, expliquant qu’elle est une “conséquence de ce qui est vécu ou subi dans les régions frontalières” en raison de l’externalisation du régime frontalier par l’Espagne et l’Europe vers des pays tiers.

En ce qui concerne les traversées, des tentatives ont lieu tout le temps, mais la plupart des personnes sont interceptées par la marine marocaine. Ainsi, le 21 juillet, la Marine royale marocaine a annoncé que plus de 100 personnes ont été interceptées en mer et renvoyées aux ports de Nador et de Tanger. Les traversées réussies depuis Tanger ne sont plus fréquentes et certaines ont des conséquences mortelles. Le 22 juillet, sur un convoi de 14 personnes, 6 sont mortes dans le détroit de Gibraltar, tandis que 8 ont atteint Algésiras. Des victoires ont été remportées ces derniers mois. Le 12 août, cinq personnes ont atteint Ceuta et, comme l’a rapporté la militante Helena Maleno, les 9 et 11 août, quatre convois de Tanger avec 26 personnes ont atteint Algésiras.

Ces derniers temps, la plupart des gens ont commencé leur voyage depuis les plages à quelques kilomètres au sud de Tanger. En général, le renforcement des mesures de sécurité sur les plages de Tanger signifie que les gens sont plus susceptibles de se diriger vers le sud, en particulier vers Layounne et Dakhla, mais aussi vers la Mauritanie, pour prendre le bateau. Un membre s’attend à ce que cette situation se poursuive pour le moment. Cependant, à mesure que la météo se détériore, le nombre de bateaux pourrait diminuer. Néanmoins, les membres d’Alarm Phone craignent que les traversées se poursuivent malgré l’hiver qui s’annonce et le durcissement des mesures de contrôle qui rend la traversée de la mer encore plus dangereuse.

2.2 Nador et les forêts

La situation dans les forêts autour de Nador a toujours été tendue. Les personnes en transit se cachent et attendent leur chance de traverser la mer d’Alboran ou d’atteindre l’enclave espagnole voisine de Melilla, mais avec le confinement dû au Covid-19, il est devenu beaucoup plus difficile de survivre. Même si les raids et les arrestations par la police ont diminué, il est beaucoup plus difficile et risqué de demander de la nourriture ou des dons sur les routes en direction de Nador. De plus, avec la crise économique dans la ville de Nador, il est plus difficile que jamais de trouver du travail rémunéré en espèces. Avec une situation sanitaire désastreuse dans les camps de fortune et un accès limité aux soins de santé dans la ville, votre vie est en danger dans les forêts. Il n’existe pas de registres officiels des décès, mais on peut voir des subsaharien.ne.s enterré.e.s dans des tombes collectives dans un cimetière de Zoutiya. De temps en temps, des nouvelles concrètes se répandent sur de nouveaux décès dans la forêt.

La fermeture de la frontière avec Melilla, un important partenaire commercial, ainsi que le confinement ont entraîné quatre mois de stagnation économique. Le gouvernement marocain n’a pas réussi à relancer l’économie locale et la situation des habitant.e.s est tendue. Pendant le confinement et tout le mois de juillet, d’importants marchés hebdomadaires ont été fermés. Les vendeur.euse.s de rue et les marchand.e.s ont été violemment attaqué.e.s et arrêté.e.s. Dans sa déclaration du 10 juillet, l’AMDH critique également le manque aigu d’accès aux soins de santé et à l’aide alimentaire pour les personnes subsahariennes en transit. La plupart des associations locales ont suspendu leurs programmes pendant le confinement. Ce n’est qu’à la mi-juillet que quelques unes ont lentement repris l’organisation de l’aide alimentaire et du soutien de base aux personnes en situation d’urgence, principalement des femmes enceintes.

L’État profite également de ce moment pour étendre son contrôle sur le secteur humanitaire. L’AMDH s’est prononcée contre une application nouvellement créée, “RefAid”. Officiellement, RefAid est destinée à faciliter l’accès aux secours d’urgence pour les personnes dans le besoin, mais elle collecte également des données sur les lieux où se trouvent ses utilisateur.ice.s. L’inquiétude est qu’il pourrait être un outil important pour l’État marocain, permettant aux autorités de suivre les déplacements des personnes dans la forêt.

Le nombre de tentatives de passage en Espagne par des Subsaharien.ne.s reste faible, mais certaines de ces tentatives ont été mortelles. Le 31 juillet, deux corps ont été amenés à l’hôpital Hassani de Nador. Ils s’étaient noyés dans un naufrage au large de Ras el Ma, une petite ville à l’est de Nador. Nous ne connaissons que quelques traversées réussies de communautés subsahariennes. Les 16 et 23 août en sont deux exemples. À chaque fois, deux voyageurs subsahariens ont réussi à atteindre Chafarinas et ont finalement été transférés à Melilla.

En contraste avec les difficultés rencontrées par les Subsaharien.ne.s pour reprendre la traversée, les ressortissant.e.s marocain.e.s de Nador semblent quitter la ville en nombre étonnant. L’AMDH Nador considère ce phénomène comme une conséquence directe de l’incapacité de l’État à protéger l’économie locale :

Il faut noter que l’augmentation actuelle des départs de Nadoriens qui partent pour l’Espagne par divers moyens coïncide clairement avec les mesures d’appauvrissement mises en œuvre par les autorités de Nador à l’encontre de larges segments de la population : fermeture des souks et des magasins, saisie des marchandises des commerçants locaux, fermeture des portes pour les travailleur.euse.s marocain.e.s à Melilla. Une véritable crise économique et sociale à laquelle les autorités n’offrent aucune solution à ces milliers de citoyen.ne.s exclu.e.s, si ce n’est la répression et l’interdiction des manifestations. Dans le même temps, les vannes semblent ouvertes au départ des jeunes.

Le nombre de traversées de la mer d’Alboran n’a cessé d’augmenter au cours des trois derniers mois. Il y a également des pics intermittents dans les données. Ces traversées ont été principalement effectuées par des ressortissant.e.s marocain.e.s et algérien.ne.s.

Le 8 juillet, le Salvamento Maritimo et la Guardia Civil ont récupéré 70 voyageur.euse.s de 5 bateaux différents en route vers la côte de Murcie.

Le 20 juillet, deux bateaux transportant 116 passagers ont été secourus par Salvamento en mer d’Alboran.

Les 24/25 juillet, nous avons assisté au plus grand nombre d’arrivées, avec 454 personnes arrivant sur la côte de Murcie.

Le 28 août, 184 voyageur.euse.s ont atteint Murcie à bord de 13 canots pneumatiques.

Les 13 et 14 septembre, la Cruz Roja/Croix-Rouge rapporte qu’en 48 heures, 250 personnes sont arrivées à Alméria dans 16 ou 17 bateaux différents.

Les 21 et 22 septembre, en 24 heures, 13 bateaux transportant 170 voyageur.euse.s d’Algérie sont arrivés sur la côte espagnole autour de Murcie. La même nuit, 64 ressortissant.e.s marocain.e.s ont été secouru.e.s par Salvamento Marítimo en mer d’Alboràn à partir de 4 bateaux différents. En outre, 198 voyageur.euse.s de 13 autres canots pneumatiques ont atteint les îles Baléares.

Par le passé, les groupes de personnes voyageant ensemble à travers la mer d’Alboràn ont eu tendance à être plus nombreux.ses. Ces canots pneumatiques, en général, n’avaient qu’une dizaine de personnes à bord. Il reste à voir comment les voyages à travers la mer d’Alboran vont se développer et si les voyageur.euse.s subsaharien.ne.s vont reprendre leurs tentatives de traversée de la mer d’Alboran.

2.3 La route du Sahara occidental

Comme on le voit ces temps ci, il y a plusieurs embarcations qui quittent la Mauritanie et le Sénégal ces dernier mois, août et septembre, car on a vu plusieurs arrivées aux îles Canaries, venant de la Mauritanie et du Sénégal. On voit aussi à las Palmas Canaries des gens venant du Sud comme Laayoune, Dakhla,Tarfaya, Tan Tan presque chaque jour on compte des centaines de migrants arrivés.

Ce rapport du membre d’ Alarm Phone B. de Laayoune résume l’évolution de l’itinéraire des îles Canaries au cours des derniers mois. Alors qu’il y a eu une baisse significative des arrivées ailleurs dans la Méditerranée occidentale, cela ne vaut pas pour les îles Canaries. Selon le HCR, 1460 voyageur.euse.s sont arrivé.e.s entre juin et août 2020 (en plus des 2555 arrivées de janvier à mai). Le mois de septembre a vu une nouvelle augmentation importante des arrivées, avec plus de 2000 personnes, ce qui porte le nombre total d’arrivées aux îles Canaries en 2020 à 6116 personnes (au 27 septembre). Ce chiffre est six fois supérieur à celui de la même période en 2019. Un cinquième de ces personnes sont des femmes. Dans les autres régions de la Méditerranée occidentale, seulement 6 % des voyageur.euse.s sont des femmes. Le nombre élevé d’arrivées, surtout en septembre, a fait qu’il y a eu plusieurs semaines avec des centaines d’arrivées. Parfois, il y a eu des centaines d’arrivées dans une même journée, comme le 6 septembre qui a vu 140 arrivées dans six bateaux, le 8 septembre 160 arrivées dans sept bateaux et le 15 septembre 130 arrivées dans dix bateaux.

En août, plusieurs traversées en bateau ont fait la une des journaux, notamment une série de tragédies entre la Mauritanie, le Sahara occidental et les îles Canaries. Dans les premiers jours du mois d’août, 7 morts sont survenus dans un bateau avec une soixantaine de personnes. Le bateau a ensuite été sauvé par la Marine Royale, mais 13 autres personnes sont toujours portées disparues. Une autre tragédie a fait 10 mort.e.s et 10 survivant.e.s non loin de Dakhla, tandis qu’un bateau a été retrouvé à la dérive non loin de Nouadhibou avec 28 mort.e.s et un seul survivant. Deux semaines plus tard seulement, deux autres naufrages ont été découverts au sud de la Grande Canarie, le premier avec 6 mort.e.s et 9 survivant.e.s et le second avec 15 mort.e.s mais aucun.e survivant.e. Ce dernier bateau était probablement parti de Nouadhibou. Ses passagers sont morts de déshydratation. Selon l’activiste de Alarm Phone B., la résurgence de cette route meurtrière est due à un changement dans la gestion des frontières marocaines:

Je le disais deux ans de cela, depuis que le Maroc a commencé ces autorisations de voyage sur certains pays comme la Guinée le Mali et le Congo, alors certaines personnes ont été bloquées alors à Nouakchott Nouadhibou. Alors ces personnes ont commencé à créer une réseau pour faire des embarcations a partir de là-bas car le Maroc pense qu’ il va régler le problème avec ces autorisation mais il va empirer les choses car leur départ commence à être loin et c’est trop dangereux car ils peuvent se perdre dans la mer, leur machine peut tomber en panne et il y a beaucoup de risques alors on peut s’attendre encore à beaucoup de naufrages vers les Canaries.

[…] on voit aussi les arrivées des marocains qui reprennent la route de l’immigration clandestine, qui montre toujours la dureté de la vie des jeunes Marocains qui pensent chercher une vie meilleure, comme les subsahariensqui quittent leur pays, traversent le désert avec toutes les risques en pensant que si ils arrivent en Europe, leur misère sera terminée.

Pourtant, aux îles Canaries, les difficultés sont loin d’être terminées. Ces derniers mois ont considérablement aggravé la situation. En l’absence de transferts de personnes vers le continent espagnol, les capacités sont déjà au-delà du point de rupture. Depuis deux mois en particulier, les nouveaux.elles arrivant.e.s sont contraint.e.s de camper sur l’asphalte du port à leur arrivée, de dormir sur des terrains de sport, dans des entrepôts portuaires ou même dans des complexes touristiques. Depuis que les tests Covid-19 ont été rendus obligatoires pour les voyageur.euse.s en juin, il y a des jours d’attente dans des tentes de fortune et des conditions déplorables, sous un soleil de plomb avec des températures supérieures à 40°C. Le port d’Arguineguín a accueilli entre 300 et 450 personnes ces dernières semaines et les mouillages sont bondés de bateaux en bois utilisés pour le voyage.

Bateaux vides dans le port d’Arguineguín en septembre 2020. Source : cadenaser.com / Europa Press

Alors que les autorités s’efforcent de créer davantage de capacités, il est également urgent de réorganiser le système général des test Covid-19 et d’hébergement à l’arrivée. Les nouvelles arrivées sont déjà redispatchées entre les différentes îles (par exemple à Tenerifa au lieu de Gran Canaria), ce qui peut créer des situations de confusion qui s’avèrent dangereuses à cause d’une mauvaise coordination ; comme le 21 septembre où un navire Salvamar a reçu des instructions contradictoires quant à la nécessité de procéder à un sauvetage et à l’endroit où il devait être effectué (voir section 4 Politiques migratoires espagnoles). Mais sans transferts vers le continent, on peut s’attendre à ce que la situation s’aggrave dans les mois à venir. Ouvrir davantage de CIE et relancer les vols d’expulsion (voir section 4) n’est PAS une solution acceptable!

Même pendant cette crise due au Coronavirus, l’État espagnol a continué à procéder à des expulsions, bien qu’à un rythme réduit. Le témoignage d’une personne expulsée de Grande Canarie vers la Mauritanie en juillet 2020 montre qu’elles sont souvent arbitraires et basées sur de maigres preuves:

J’avais voyagé en Mauritanie, et puis nous avons eu BOZA ! Nous avions passé cinq jours sur l’eau. Le jour où on nous a emmenés, nous étions tellement épuisés. Puis nous sommes allés à Las Palmas, pour une semaine et un mois. La semaine suivante, ils étaient censés nous libérer, mais un fonctionnaire mauritanien est venu nous dire que nous étions partis de Mauritanie. Nous avons dit non, que nous étions partis plus au nord, mais… C’est comme ça que nous sommes revenus en Mauritanie.

(Source : AP Maroc)

Au Maroc, le Covid-19 a également eu un impact important et sert de prétexte à la répression et au contrôle arbitraire de l’État. Lorsque 14 voyageur.euse.s sur un bateau à destination de Fuerteventura ont été testé.e.s positif.ve.s à leur arrivée en Espagne, le Maroc a lancé une campagne de tests Covid-19 forcés contre les populations subsahariennes à Laayoune. Les policiers ont fait irruption dans les maisons, ont arrêté les gens dans les rues ou dans leurs commerces et les ont mis en détention. La police a prétendu que la procédure de test durerait quatre heures, mais, en fait, les gens se sont retrouvés détenus pendant 5 à 7 jours, dans des conditions horribles, sans vêtements ni accès adéquat à l’eau et à la nourriture. Comme l’indique une source de l’AP, les gens ont été enlevés de leurs maisons et testés “comme des moutons”. Les Noir.e.s sont confronté.e.s à la suspicion généralisée qu’ils et elles sont porteur.euse.s du virus – une autre hypothèse raciste. L’AMDH Maroc s’oppose à ces pratiques et souligne que le Coronavirus est utilisée comme un autre instrument de contrôle et de détention des populations subsahariennes.

25 juin, Laayoune : La police maintient des Noir.e.s en détention, prétendument pour des tests de Covid-19.
Source: AP Maroc

Dans un autre centre de détention à Tarfaya, un groupe de près de 50 personnes était détenu depuis des semaines lorsque certain.e.s d’entre elleux ont tenté une évasion fin juin en sautant par les fenêtres. Ils et elles ont été repris.es et ramené.e.s au centre. Les autorités ont réagi en condamnant les fenêtres avec des briques et du ciment, laissant les détenus dans des pièces d’une chaleur insupportable, avec un manque d’oxygène.

Les arrestations et les détentions arbitraires ne sont pas les seules pratiques racistes auxquelles les voyageur.euse.s subsaharien.ne.s sont confronté.e.s. Avec la politique actuelle de refoulement des passager.e.s intercepté.e.s dans le nord du pays, les Subsaharien.ne.s doivent payer environ 200 euros pour le voyage de retour au Sahara occidental. Plusieurs compagnies de bus ont également augmenté les tarifs à destination du Sahara occidental. K., membre de Alarm Phone, explique la situation comme suit:

Actuellement pour se déplacer il faut négocier entre 500dh à 700dh entre Tan Tan Laayoune, la même chose entre Laayoune Dakhla. [..] les agences de voyages comme SUPRA TOUR ils te demandent la carte de séjour , GAZALA il refuse catégoriquement la vente des billets, CTM quand tu passes, ils font semblant de regarder s’il y a de la place vers la fin il te dit « desolé tous les bus sont remplis », le lendemain tu passes c’est la même chose. Actuellement être de la peau noir pose problème au Maroc surtout au sud car je suis témoin des faits matin, midi, soir.

2.4 Oujda

Les membres d’Alarm Phone Oujda rapportent que depuis juillet, les habitant.e.s de la zone autour de la frontière maroco-algérienne ont constaté une militarisation accrue. Malgré l’absence d’annonces officielles, les familles des deux côtés de la frontière affirment que l’on constate une augmentation de la militarisation. Les manifestations contre la fermeture de la frontière entre le Maroc et l’Algérie ont complètement cessé en raison de la pandémie de Covid-19.

La région d’Oujda continue d’être le lieu vers lequel les personnes en exil sont déplacées de force par les autorités marocaines. Entre le 15 juillet et le 27 septembre, Alarm Phone Oujda a été informé de 115 personnes, dont sept femmes et huit mineurs, qui ont été amenées de force de Rabat, Nador, Tétouan, Casablanca et Tanger au no man’s land à la frontière. Comme c’est souvent le cas, les personnes ont été abandonnées entre minuit et 04h00 près du village de Tiouli dans la région de Jerrada.

La procédure générale est que, après un long voyage avec très peu de nourriture ou d’eau, on vous vole vos téléphones et votre argent et parfois on vous frappe. Dans ces conditions difficiles, vous devez essayer de marcher jusqu’à Oujda, la ville la plus proche. Cela prend entre un et deux jours, mais parfois plus d’une semaine, selon les conditions de santé. À Oujda, les femmes sont chassées des ronds-points, où elles doivent mendier de l’argent pour survivre. Parfois, la police vous emmène loin de la ville et vous devez alors lutter. Les habitants d’Oujda signalent qu’il y a également un nombre croissant d’enfants et de mineur.e.s qui vivent seul.e.s dans les rues. Il n’y a pas de prise en charge des mineur.e.s par l’État, même si, officiellement, l’État est obligé de s’occuper des enfants non accompagnés.

En termes de criminalisation, Alarm Phone Oujda suit onze cas de personnes qui ont été arrêtées en raison de la loi 02.03, concernant l’organisation des papiers pour les étrangers et les migrants au Maroc. Les accusé.e.s sont actuellement emprisonné.e.s à Oujda, Berkane et Zaio, accusé.e.s d’entrée illégale sur le territoire marocain et risquent un à trois ans de prison. Comme le Maroc refuse les visas à la plupart des ressortissant.e.s étranger.e.s, il est intéressant de voir de plus près qui exactement est mis en prison sous l’égide de cette loi. L’expérience montre que ce sont surtout les personnes qui font beaucoup de travail pour soutenir leurs communautés et les militant.e.s des luttes des migrant.e.s. Les affaires judiciaires ne suivent pas les procédures appropriées. Les documents sont en arabe et ne sont pas traduits dans des langues que l’accusé.e maitrise, il n’y a pas de traducteur.ice.s lors des audiences et les gens n’ont pas le droit à une représentation juridique. Souvent, le procès se déroule si rapidement que l’accusé.e n’a pas le temps de préparer sa défense. Cela ne peut être considéré que comme une forme de répression contre des militant.e.s gênant.e.s que l’État considère comme trop insolent.e.s du fait de réclamer leurs droits.

2.5 Les enclaves : Ceuta et Melilla

Malgré les restrictions dues au Covid-19, les “déportations à chaud” (qui ne sont pas reconnues comme telles par le gouvernement espagnol) et les interceptions par Salvamento Marítimo ou la Guardía Civil, les gens continuent de trouver des moyens de passer dans les enclaves espagnoles et de là, vers la péninsule espagnole. Des BOZA “inversés” vers le Maroc continuent d’avoir lieu, car ce n’est qu’à la toute fin du mois de septembre que le Maroc a déclaré qu‘il autoriserait le retour de quelques centaines de ses citoyen.ne.s. Les ressortissant.e.s marocain.e.s sont bloqué.e.s dans les enclaves depuis la fermeture de la frontière le 13 mars. Selon la CDHNU, depuis notre dernier rapport, 152 personnes sont passées par voie terrestre dans les enclaves de Ceuta et Melilla et environ 330 par voie maritime (260 à Ceuta, 70 à Melilla). Voici quelques exemples de la manière dont les gens exercent encore leur droit à la liberté de circulation:

Le 4 juin, quatre hommes qui se cachaient dans un camion parti de Ceuta ont été retrouvés par la police à Vélez-Málaga.

Le 25 août, un autre BOZA “inversé” a eu lieu lorsqu’une femme a réussi à rentrer au Maroc à la nage sous les yeux des baigneurs et des personnes sur leurs bateaux.

Le 27 septembre, sept personnes sont arrivées par bateau à Ceuta et ont été sauvées par Salvamento Marítimo.

Le 20 août, près d’un an après le dernier grand saut de 155 personnes à Ceuta (Alarm Phone a signalé la tentative ici) et quelques mois après la tentative de 260 personnes en avril pour atteindre Melilla, 300 personnes ont tenté de sauter la barrière à Melilla. Environ 30 à 50 personnes ont atteint l’enclave, mais un voyageur est mort lors de la tentative de franchissement de la frontière fortement fortifiée. Les autorités affirment que le défunt est mort de “causes naturelles”. Les militants locaux exigent que la cause du décès de cette personne soit complètement élucidée.

La mesure dans laquelle les autorités sont passibles de poursuites reste toutefois discutable. Les derniers rebondissements dans l’affaire Tarajal en sont la preuve. Fin juillet, le tribunal de Cadíz a rejeté les appels des ONG et des proches des défunt.e.s qui tentent de poursuivre les officiers de la Guardía Civil pour plusieurs chefs d’accusation d’homicide involontaire en relation avec les meurtres du 6 février 2014.

Afin d’empêcher les gens de grimper dans les enclaves, les autorités marocaines et espagnoles renforcent les clôtures frontalières autour des enclaves, au prix de milliards d’euros et de nombreuses vies. Non seulement la hauteur des clôtures a été portée à 10 mètres et leurs fondations ont été renforcées, mais en juin, les fils barbelés situés au sommet des clôtures frontalières espagnoles ont été remplacés par des tubes courbés, appelés « peines ».

Clôture de la frontière espagnole avec de nouveaux cylindres anti-escalade. Source: Redouan M.J.

Ils vont être complétés par des cylindres anti-escalade, ce qui rendra le saut encore plus difficile et donnera à la Guardia Civil plus de temps pour arriver lors des tentatives de passage des frontières. Cela facilitera la pratique des déportations à chaud et ne laissera aucune voie légale aux migrant.e.s forcé.e.s d’entrer dans les enclaves. Alors que le ministère espagnol de l’intérieur présente la nouvelle clôture comme un moyen plus humain et “moins sanglant” d’empêcher les passages (ou la liberté de circulation pour tou.te.s), il dissimule le fait que des quantités massives de barbelés sont installées de l’autre côté de la frontière. Elle garantit que la prochaine fois que des photos brutales de personnes mutilées ou de cadavres brisés susciteront une condamnation générale, le doigt sera pointé vers le Maroc. Une solution soignée au problème de relations publiques de l’Espagne.

Clôtures aux frontières espagnoles et marocaines dans la région de Benzu. Source : Redouan M.J

Pendant ce temps, la situation des migrant.e.s dans les enclaves, que ce soit dans la rue ou dans des camps comme les CETI (Centros de Estancia Temporal de Inmigrantes, centres de détention pour migrants en Espagne) reste intolérable. Lorsque la Cour suprême espagnole a décidé en juillet que les demandeur.euse.s d’asile de Ceuta ou Melilla avaient le droit de se rendre sur le territoire espagnol après que leur demande d’asile ait été acceptée, on espérait que certaines personnes seraient finalement transférées dans la péninsule, ce qui aurait quelque peu soulagé la situation dans les camps. Mais jusqu’à présent, aucune mesure n’a été prise, même après l’apparition d’une épidémie d’infections à Covid-19 au CETI de Melilla. Au lieu de laisser les gens passer dans la péninsule espagnole, le gouvernement a utilisé la surpopulation des camps pour légaliser l’expulsion de 600 Tunisien.ne.s de Melilla. Toutes ces mesures ont suscité des protestations, tant dans les camps que dans les rues des enclaves.

3 La politique migratoire espagnole

Depuis longtemps déjà, les politiques migratoires espagnoles sont basées sur l’externalisation des frontières, la détention, l’expulsion et les obstacles bureaucratiques à la régularisation. Le nombre d’accords avec les pays tiers augmente au fur et à mesure que le nombre d’arrivées sur le territoire espagnol en provenance de pays tiers augmente. Pendant les vacances d’été, le ministre de l’intérieur de la Grande-Marlaska s’est rendu en Algérie dans le but d'”ouvrir de nouveaux domaines de coopération” en matière de migration clandestine. Cela peut être attribué au fait que jusqu’à présent cette année, 46 % des arrivées en Espagne par bateau via le détroit de Gibraltar et la mer d’Alboran sont parties d’Algérie (contre 5 % en 2018 et 10 % en 2019).

Un autre exemple clair de l’externalisation des frontières et de la politique migratoire répressive espagnole est le fait que le ministère de l’intérieur a triplé les subventions aux pays africains pour freiner l’immigration clandestine. Le Maroc, est un partenaire privilégié depuis longtemps. Récemment, cependant, les transferts d’argent ont également augmenté vers la Guinée Conakry, le Mali, la Côte d’Ivoire et la Gambie. En 2020, le ministre de l’intérieur, Fernando Grande-Marlaska, a publié une directive qui prévoit le don d’équipements de police d’une valeur de 1,5 million d’euros à sept pays africains (Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée Conakry, Mauritanie, Sénégal et aussi Tunisie) pour les aider à “lutter contre la migration irrégulière”. La Tunisie est incluse dans le projet car l’Espagne souhaite renforcer ses relations avec la République afin d’empêcher le transit de Tunisien.ne.s par Melilla.

Nous assistons à une militarisation jamais vue auparavant le long de la frontière sud de l’Espagne. La Guardia Civil et Frontex, deux formations militaires sans aucune expérience ni spécialisation dans les opérations de sauvetage, remplacent les forces de Salvamento Marítimo – des professionnels civils de la recherche et du sauvetage ayant plus de 25 ans d’expérience. La Confédération générale du travail (CGT), principal syndicat des agents de recherche et de sauvetage, s’oppose à ce que les décisions de vie et de mort soient prises par du personnel militaire sans connaissance de la mer dans des bureaux situés à des milliers de kilomètres du lieu de détresse. Les différents centres de coordination maritime ne travaillent plus ensemble, ce qui crée des situations extrêmement dangereuses. Un exemple du 21 septembre illustre bien cette situation. Dans un enregistrement diffusé parmi le personnel des services d’urgence, on peut entendre le capitaine du Salvamar Menkalinam dire à la tour de contrôle : “Je suis avec le bateau en détresse. Dites-moi comment procéder !”. Le Menkalinam a reçu l’ordre de laisser le sauvetage à la Guardia Civil, alors qu’il était déjà à côté du bateau en détresse. Lorsque le canot de sauvetage a dû laisser le bateau à la dérive une fois de plus, on peut entendre le capitaine du Salvamer se mettre en colère. Il a dit : “Ça ne peut pas se passer comme ça. Les décisions doivent être prises avant d’atteindre le site de détresse (…) Je mets la vie des gens en danger”.

Ismael Furió, secrétaire de l’organisation CGT, explique qu’une situation dans laquelle les personnes à bord du bateau en détresse pensent qu’elles vont être secourues et se font ensuite dire que le sauvetage n’est pas prévu peut provoquer une peur énorme. Cela peut déclencher des réactions de panique qui peuvent amener les gens à sauter à la mer pour essayer d’atteindre le canot de sauvetage. M. Furió affirme que ces situations dangereuses et non coordonnées auraient pu être complètement évitées. La CGT dénonce également la pratique consistant à fonder les décisions de sauvetage sur des raisons mercantiles, comme le choix du centre de détention ou du lieu de départ du prochain vol d’expulsion. L’implication évidente est que les décisions de sauvetage ne visent plus à sauver des vies. Il faut convenir avec le capitaine du SM Menkalinam que la vie des gens est mise en danger par ce nouveau dispositif. En tant qu’Alarm Phone nous demandons de toute urgence une coordination efficace entre les différents acteurs impliqués dans le seul but de sauver des vies.

Le 24 septembre, le ministère de l’intérieur a rouvert les huit centres de détention pour migrant.e.s (Centros de Internamiento de Extranjeros, CIE) sur le territoire espagnol. Ils étaient fermés depuis cinq mois à cause de la loi Covid-19. Désormais, ils fonctionneront comme d’habitude. Ils enfermeront les personnes qui sont en Espagne de manière irrégulière en vue d’une future expulsion. Cette décision a été annoncée peu après la visite de Marlaska en Mauritanie pour discuter de l’augmentation des arrivées aux îles Canaries. La Mauritanie réadmet les migrant.e.s de pays tiers, s’ils sont partis de Mauritanie pour se rendre en Espagne (l’Espagne a un accord similaire avec le Maroc depuis 1992. Il a été réactivé par Marlaska à son arrivée au pouvoir).

Pourtant, il y a eu quelques évolutions juridiques positives à la fin du mois de septembre. Les politiques de détention et d’expulsion ont été modifiées en raison d’une affaire judiciaire qui a fait jurisprudence aux îles Canaries. Le juge s’est appuyé sur une décision de la Cour européenne de justice datant de 2013. Cette nouvelle décision signifie que le juge qui préside une audience en vue d’une détention est désormais considéré comme une autorité compétente pour recevoir une demande de protection internationale. Avant cette décision, la seule autorité compétente pour accepter une demande d’asile était un officier de police. Selon la sous-commission de l’immigration du Barreau de Tenerife, “Jusqu’à présent, les policiers faisaient des demandes d’asile lorsque les migrant.e.s se trouvaient dans le CIE, même s’ils auraient dû les faire avant. Il y a des gens qui demandent l’asile en arrivant dans le pays. Cette décision, qui considère les juges comme des autorités compétentes devant lesquelles on peut demander l’asile, garantit que les demandeur.euse.s n’entrent pas dans un centre de détention, mais se rendent plutôt dans un centre d’aide humanitaire. Cela change la donne”.

Des avocat.e.s commis.es d’office et un juge ont ainsi réussi à empêcher l’expulsion de 31 migrant.e.s d’origine malienne prévue sur un vol affrété par Frontex, en respectant le point de vue de la CDHNU selon lequel les personnes ne devaient pas être expulsées vers le Mali.

4 Naufrages et personnes disparues

Le 18 juillet, Alarm Phone a signalé la disparition d’un bateau avec 63 personnes à bord, en route pour les îles Canaries. Nous n’avons pu retrouver aucune trace d’elleux depuis.

Le 22 juillet, 6 personnes sont mortes dans un naufrage dans le détroit de Gibraltar, seules 8 personnes ont survécu, comme le rapporte Caminando Fronteras.

Le 23 juillet, un corps a été retrouvé à 1 mille nautique au large des côtes de Morro Jable, Fuerteventura.

Le 30 juillet, le corps d’un jeune homme a été retrouvé parmi 9 survivants au large de la côte d’Almería.

Le 30 juillet, le corps d’un jeune ressortissant algérien a été retrouvé au large d’Almeria parmi 12 survivant.e.s qui dérivaient depuis plusieurs jours en mer.

Le 30 juillet, deux ressortissants subsahariens se sont noyés dans un naufrage au large de Ras el Ma. Les 13 survivant.e.s ont été ramené.e.s au Maroc.

Le 3 août, un bateau transportant 11 personnes a chaviré alors qu’il se rendait à Amería. Seules 3 personnes ont pu être sauvées et un corps a été retrouvé. Les 7 autres voyageur.euse.s sont toujours porté.e.s disparu.e.s.

Le 3 août, 7 personnes sont mortes et 13 sont toujours portées disparues dans un bateau transportant 60 personnes qui a chaviré au large de Tarfaya alors qu’il se dirigeait vers les îles Canaries, comme l’a rapporté Caminando Fronteras.

Le 5 août, 10 personnes se sont noyées au sud-est de Dakhla, tandis que 10 autres ont survécu.

Le 5 août, 27 personnes se sont noyées au large de Nouadibou, en Mauritanie, ne laissant qu’un seul survivant.

Le 19 août, 15 voyageurs meurent à 81 miles au sud-ouest de la Grande Canarie. Les agents de Salvamento ont trouvé les 15 corps à bord du canot, probablement morts de déshydratation.

Le 20 août, 5 personnes ont été retrouvées mortes et une sixième est décédée sur le chemin de l’hôpital, lorsque 11 voyageur.euse.s ont été sauvé.e.s à 110 miles au sud de Gran Canaria.

Le 22 août, 11 ressortissant.e.s algérien.ne.s ont été porté.e.s disparu.e.s et 4 ont été sauvé.e.s à bord d’un canot pneumatique en mer d’Alboran.

Le 30 août, deux ressortissants syriens sont morts en tentant de traverser la plage de Ras el Ma à bord d’un jet-ski.

Le 1er septembre, le corps d’une femme a été retrouvé flottant au large de Chafarinas. Elle n’a pas pu être identifiée pour le moment.

Le 5 septembre, un corps s’est échoué sur la plage de Melilla.

Le 7 septembre, les restes d’un corps noyé ont été rejetés sur la plage de Restinga, à Fnideq.

Le 8 septembre, deux personnes sont mortes, probablement de déshydratation ou d’hypothermie. Leur bateau, qui transportait 58 passagers au total vers les îles Canaries, a été sauvé à 5 km au large de Santa Cruz de Tenerife.

Le 9 septembre, un corps non identifié est découvert flottant au large de Chafarinas.

Le 17 septembre, un père et ses deux enfants meurent dans un naufrage transportant 12 personnes près de l’île de Habibas, commune de Bouzedjar, en Algérie. La mère est toujours portée disparue,

Le 29 septembre, après leur déportation de Ceuta, 3 personnes sont mortes dans la mer d’Alboran, après plusieurs jours de dérive, une seule personne a été sauvée. Elles ont été amenées à Almería.

En tant qu’Alarm Phone, nous sommes tristes et en colère pour chacune de ces morts survenues en mer. Ce sont des assassinats politiques et nous continuerons à nous battre pour la liberté de circulation de tou.te.s.