Les pêcheurs- ces travailleurs invisibles de la solidarité en mer

Au cours des dernières semaines, AlarmPhone a été alerté de la présence de nombreux bateaux en détresse au large des côtes libyennes. Les gens continuent de fuir le pays, assaillis par le conflit et la violence. Au milieu des scènes dramatiques de sauvetages effectués par les acteurs civils, le rôle important des autres acteurs est souvent oublié. Certaines formes de solidarité ne reçoivent pas la même attention médiatique parce que les personnes qui les pratiquent sont pauvres ou manquent de réseaux pour rendre leurs actions visibles. Parfois, ils sont trop effrayés pour parler publiquement de ce qu’ils font.

AlarmPhone est régulièrement en contact avec des pêcheurs qui l’informent des bateaux qu’ils ont croisés lors de leurs sorties en mer. Lorsqu’ils repèrent des bateaux de migrants, les pêcheurs ne savent pas toujours comment procéder. Ils craignent à la fois les milices impliquées dans le trafic d’êtres humains et les soi-disant garde-côtes libyens qui se sont également engagés dans ce trafic. Ils n’ont pas la capacité de procéder au sauvetage d’esquifs fragiles qui ont à bord plusieurs dizaines de personnes. Ils nous appellent pour témoigner, et pour demander de l’aide. Ils portent le fardeau d’être des témoins de la terrible situation des personnes qui tentent de fuir. Ce sont des « travailleurs de la solidarité » invisibles.

L’autre jour, AlarmPhone a reçu le témoignage d’Emma, une jeune femme originaire de Côte d’Ivoire. Elle et environ 64 autres personnes avaient quitté la côte libyenne depuis Garabuli, dans la soirée du 8 février, dans un bateau bleu en bois. “Nous avons voyagé pendant ce qui nous a semblé être un temps très long”, nous a-t-elle dit. “Nous avions un téléphone avec nous, mais quand nous avons été en difficulté à cause de la panne du moteur de notre bateau, nous avons eu très peur de l’utiliser. Nous avions peur des Libyens. Tôt le matin, alors que nous avions passé toute la nuit en mer avec notre bateau qui n’était pas en état de naviguer, un pêcheur nous a vus. Il a réalisé que nous étions dans une situation très difficile, et il a donc pris cinq femmes et leurs enfants sur son bateau. Puis, il a attaché notre bateau au sien et nous a remorqués jusqu’à la terre ferme. Grâce à son aide, nous avons pu échapper aux milices à notre arrivée, car il nous a débarqués dans un endroit hors de leur vue. Il nous a sauvé la vie”.

Emma voulait également témoigner qu’en Libye, elle ne pouvait pas sortir de la maison où elle était temporairement hébergée. “Avec notre peau noire, nous risquons d’être kidnappés, tués par balle ou violés”, a-t-elle déclaré.

Quelques jours après cet incident, un pêcheur nous a dit que deux des femmes qui étaient dans le bateau d’Emma ont essayé de refaire le voyage, deux jours plus tard. Cette fois-ci, elles ont été récupérées par les personnes qui se font passer pour des garde-côtes libyens et immédiatement amenées au centre de détention de Janzour.

Le travail d’AlarmPhone n’est souvent possible que grâce à des personnes comme les pêcheurs, qui transmettent notre numéro d’urgence à des personnes dans le besoin, qui nous informent de situations de détresse dans des endroits où nous ne pouvons pas être présents physiquement.

Nos remerciements vont aux nombreux pêcheurs qui craignent des représailles pour avoir aidé d’autres personnes en mer, qui sont criminalisés et intimidés lorsqu’ils effectuent des sauvetages, et qui témoignent des horreurs que génère l’absence de voies de migration sûres.