Et pourtant, on continue - 2018, une année contestée

Vous pouvez trouver l’article complet en anglais ici.

311 personnes fuyant la Libye sauvées par une chaîne de solidarité ++++ Environ 113 000 arrivées par mer et plus de 2 240 décès recensés en Méditerranée cette année +++ 666 cas de détresse reçus par Alarm Phone en 2018 ++++ Développements dans les trois régions méditerranéennes +++ Résumé de 38 cas de détresse reçus par Alarmphone

Introduction

Il n’y a pas de mots assez grands pour décrire la valeur du travail que vous faites. C’est un acte profondément humain qui ne sera jamais oublié. Nous souhaitons à toute votre équipe santé et longue vie et nous vous envoyons nos meilleurs vœux dans toutes les couleurs du monde.

Ce sont les paroles reçues sur l’Alarm Phone il y a quelques jours de la part d’un homme qui était sur un bateau en Méditerranée Occidentale et avec qui nos équipes de permanence sont restées en contact toute la nuit, jusqu’à ce que lui et ses compagnons de voyage soient finalement secourus en Espagne. Il a pu soutenir les autres voyageurs en les rassurant continuellement et calmement, ce qui a permis d’éviter la panique sur le bateau. Son message nous motive à continuer à faire tout ce qui est en notre pouvoir en 2019 pour aider les personnes qui ont pris la mer parce que le régime frontalier européen a fermé les routes sécurisées et légales, ne laissant ouvertes que les voies les plus dangereuses. Sur ces chemins, plus de 2 240 personnes ont perdu la vie cette année.

Alors que nous rédigeons ce rapport, 311 personnes se dirigent vers l’Espagne sur le bateau de sauvetage de l’ONG Proactiva Open Arms. Les voyageurs·ses ont appelé l’Alarm Phone alors qu’ils·elles se trouvaient à bord d’un bateau-convoi qui avait quitté la Libye. Sur la base des indications de leur localisation, Al-Khums, l’avion de reconnaissance civile Colibri a lancé une opération de recherche dans la matinée du 21 décembre et a pu repérer le convoi de trois bateaux qui ont ensuite été secourus par Proactiva. L’Italie et Malte leur ont fermé leurs ports, prolongeant ainsi leurs souffrances. Pendant les jours de Noël, ils se sont dirigés vers leur destination finale en Espagne. L’opération de sauvetage réussie des 313 personnes (une mère et son enfant ont été transportés par hélicoptère après le sauvetage) met en évidence la chaîne de solidarité que les activistes et les ONG ont créée en Méditerranée centrale. C’est une chaîne fragile que l’UE et ses États membres cherchent à criminaliser et à démanteler partout où c’est possible.

Tout au long de l’année 2018, nous avons été témoins et assisté à des mouvements contestés à travers la Méditerranée. En dépit des politiques et des pratiques de dissuasion violentes, environ 113 000 personnes ont réussi à transgresser les frontières maritimes et sont arrivées en Europe par bateau. Nous avons été alertés concernant 666 situations de détresse en mer (jusqu’à la date du 23 décembre), et nos équipes de permanence ont fait de leur mieux pour aider les milliers de personnes qui ne voyaient aucune autre option pour réaliser leur espoir d’un avenir meilleur qu’en risquant leur vie en mer. Nombre d’entre elles ont perdu la vie au moment où elles ont mis en œuvre leur liberté de mouvement. Plus de 2 240 femmes, hommes et enfants du Sud – et probablement beaucoup d’autres qui n’ont jamais été compté·es – ne sont plus parmi nous à cause de la violence des frontières hégémoniques et brutales du Nord. Elles n’ont pas pu obtenir de visa. Elles ne pouvaient pas monter à bord d’un avion, d’un autobus ou d’un ferry, moyens de transport bien moins chers pour atteindre un endroit sûr et libre. Beaucoup d’entre elles ont voyagé pendant des mois, voire des années, pour s’approcher de la frontière méditerranéenne – et au cours de leurs voyages, elles ont vécu des difficultés inimaginables pour la plupart d’entre nous. Mais elles ont lutté et ont atteint les côtes d’Afrique du Nord et de Turquie, où elles ont embarqué sur des bateaux surpeuplés. Le fait qu’elles ne soient plus parmi nous est une conséquence du système de ségrégation raciste de l’Europe qui illégalise et criminalise l’immigration, un système qui cherche également à illégaliser et à criminaliser la solidarité. Nombre de ces 2 240 personnes seraient encore en vie si les sauveteurs civils n’étaient pas empêchés de faire leur travail. Elles seraient toutes vivantes si elles pouvaient voyager et traverser les frontières librement.

Dans les différentes régions de la Méditerranée, la situation a encore évolué au cours de l’année 2018, et l’Alarm Phone a été le témoin direct de l’évolution de la migration par voie maritime. La plupart des bateaux que nous avons aidés se trouvaient quelque part entre le Maroc et l’Espagne (480), un nombre considérable entre la Turquie et la Grèce (159), mais relativement peu entre la Libye et l’Italie (27). Ceci, bien sûr, témoigne des dynamiques changeantes des routes migratoires et de leur contrôle dans les différentes régions :

Maroc-Espagne: Des milliers de bateaux ont traversé le détroit de Gibraltar, la mer d’Alboran ou l’Atlantique et ont fait de l’Espagne le ” leader ” cette année avec environ 56 000 arrivées par mer. En 2017, 22 103 personnes sont arrivées en Espagne, dont 8 162 en 2016. En Méditerranée occidentale, les traversées sont organisées de manière assez autonome et le nombre d’arrivées témoigne d’un dynamisme migratoire qui ne s’est pas manifesté depuis plus d’une décennie dans cette région. Les structures de solidarité se sont multipliées tant au Maroc qu’en Espagne et ne seront pas éradiquées malgré la vague de répression qui a suivi le pic des traversées de l’été. Plusieurs membres d’Alarm Phone ont subi les conséquences de la pression de l’UE sur les autorités marocaines pour qu’elles répriment directement les mouvements transfrontaliers lorsqu’ils ont été expulsés violemment vers le sud du Maroc, ainsi que des  milliers d’autres personnes.

Turquie-Grèce: Avec environ 32 000 personnes arrivant par bateau sur les îles grecques, plus de personnes sont arrivées en Grèce qu’en 2017, qui comptait 29 718 arrivées. Après leur arrivée par la mer, de nombreuses personnes sont confinées dans des conditions inhumaines sur les îles et les hot-spot de l’UE sont devenus des prisons quasi-permanentes. Cette situation désespérée a réactivé les passages via la frontière terrestre turco-grecque dans le nord du pays. Dans l’ensemble, le nombre de passages illégalisés vers la Grèce a augmenté en raison du franchissement de la frontière terrestre par plus de 20 000 personnes. Plusieurs cas de personnes ayant fait l’objet de refoulements illégaux ont contacté Alarm Phone au cours de l’année.

Libye-Italie/Malte: environ 23 000[1] personnes ont réussi à fuir la Libye par la mer en 2018. Cette diminution est spectaculaire, passant de 119 369 en 2017 et même 181 436 en 2016. Cette diminution témoigne de l’impitoyabilité des politiques de dissuasion de l’UE qui ont produit le taux de mortalité le plus élevé de la Méditerranée centrale et des souffrances indescriptibles parmi les communautés migrantes en Libye. Les milices libyennes sont financées, entraînées et légitimées par leurs alliés de l’UE pour emprisonner des milliers de personnes dans des camps et pour enlever celles et ceux qui ont réussi à remonter sur des bateaux dans ces conditions. En raison de la criminalisation des opérations de sauvetage civil, un manque mortel se fait sentir, aucune ONG n’étant en mesure d’accomplir son travail pendant plusieurs mois de l’année. Heureusement, trois d’entre eux ont pu retourner dans la zone la plus meurtrière de la Méditerranée.

Ces instantanés des développements dans les trois régions méditerranéennes, développés plus en détail ci-dessous, donnent une idée des luttes qui nous attendent. Ils montrent comment l’UE et ses États membres ont non seulement créé des voies maritimes dangereuses, mais ont également renforcé son régime de dissuasion des migrants à tout prix. Ils montrent cependant aussi comment des milliers de personnes n’ont pas pu être dissuadées de mettre en œuvre leur liberté de mouvement et comment les structures de solidarité ont évolué pour aider leurs mouvements précaires. Nous entamons l’année 2019 avec la promesse et l’appel que l’alliance United4Med des sauveteurs en mer a esquissé : “Nous prouverons comment la société civile en action est non seulement désireuse mais aussi capable de faire naître une nouvelle Europe, de sauver des vies en mer et de créer un système d’accueil équitable sur terre. Notre appel à l’action s’adresse aux villes, maires, citoyens, sociétés, mouvements, organisations et à tous ceux qui croient en notre mission, à nous rejoindre. Joignez-vous à notre alliance civile et défendons-nous ensemble, en revendiquant avec audace un avenir de respect et d’égalité. Nous resterons unis pour le droit de rester et pour le droit de partir “[2] Au cours de l’année à venir,  Alarm Phone s’engagera directement dans cette lutte et nous appelons les autres à s’y joindre. Au vu des chances d’aboutir, ce ne pourra être qu’une lutte collective.

Vous pouvez trouver l’article complet en anglais ici.

 

Alarmphone on X

⁨🆘 from 5 people on #Rhodos, #Greece!

They report that they have been stuck on the island for 2 days, so far no help arrived. 1 person among them is in a severe medical emergency situation & needs medical assistance NOW!
@HellenicPolice & @HellenicCoastGuard are informed.⁩⁩

⚫ Shipwreck off #Libya

On 15 November, Alarm Phone was alerted to 30 people in severe distress when fleeing from Libya. We lost contact to the boat & had to learn later that they shipwrecked. According to the so-called Libyan coastguard, 17 people survived while 13 are missing.

⚫️ Another shipwreck off #Tunisia: A survivor told us they departed #Sfax on the evening of 8.11. with 51 other people in an 8-meter-long boat. After struggling with engine problems, the boat capsized on Friday noon due to harsh weather conditions. 1/3

Load More