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Photo: Alarm Phone
Nous écrivons ce rapport pour exprimer notre frustration face à la nouvelle de plusieurs naufrages récents au large des côtes algériennes, sur la route des bateaux se dirigeant vers l’Espagne.
La plupart des sources sont officieuses, car, le plus souvent, les informations proviennent de parents et d’amis des disparus, ainsi que de réseaux de personnes qui diffusent ces informations en dehors des médias.
Le mois de janvier s’achève sur une période traumatisante pour les familles. Chaque jour, des êtres chers qui voulaient passer en Europe sont perdus pour leurs proches parce qu’ils n’ont pas eu accès à des moyens de transport sûrs.
De tragiques naufrages en fin et début d’année
Le 30 décembre dernier, un naufrage a eu lieu au large de Cap Djinet, Boumerdès. Parmi les 32 personnes à bord, seules quatre ont survécu ; le corps d’une personne a été retrouvé peu après le naufrage. Au début de l’année 2025, 27 personnes étaient toujours portées disparues. Peu de temps après, deux autres corps ont été retrouvés : l’un à Jijel et l’autre à Annaba.
L’année a démarré par l’annonce de plusieurs naufrages. Si celui de Cap Djinet a bel et bien été relayé par les médias algériens, bon nombre d’autres naufrages ne sont signalés que sur les réseaux sociaux des proches ou par des personnes qui suivent l’évolution de cette atroce situation.
Le 1er janvier, ce sont deux petites embarcations qui ont fait naufrage. L’une d’entre elles avait quitté Mostaganem. Parmi les personnes à bord, une mère et ses quatre enfants.
L’autre embarcation avait quitté Tlemcen. Six personnes voyageaient à bord. C’est la découverte des corps de deux jeunes gens qui a permi d’informer du naufrage. Les autres sont toujours portés disparus ou non identifiés.
L’importance de retrouver les corps
Lors d’un naufrage, il est crucial pour les nombreuses familles que les corps des personnes décédées en mer soient retrouvés et puissent être identifiés. Il est très douloureux d’apprendre qu’un membre de sa famille ou un ami est décédé au cours d’une traversée. Dans de nombreux cas, il est très difficile de faire pleinement son deuil tant que le corps de l’être cher n’est pas retrouvé. L’arrivée de corps échoués sur les côtes algériennes est une tragédie quotidienne. Ce sont souvent les pêcheurs de la région qui retrouvent les corps des naufragés ou d’autres preuves de ces tragédies. Par exemple, à la mi-janvier, des pêcheurs ont trouvé un sac à dos contenant les vêtements de plusieurs personnes disparues depuis le 2 janvier.
Les corps de plusieurs personnes ont été rejetés sur les côtes au cours de ce dernier mois.
Le 31 décembre, le corps d’une personne s’est échoué sur la plage de Bordj el Kiffan, à Alger.
Le 4 janvier, des pêcheurs ont trouvé un cadavre près de la côte.
Le 5 janvier, les corps de deux jeunes hommes ont été retrouvés à Tlemcen. Ils étaient partis de Mostaganem.
Entre la nuit du 6 janvier et le matin du 7 janvier, sept corps ont échoué sur la plage de Madagh, dans la province d’Oran, et ont été transférés à l’hôpital central d’AinTurk.
Le 7 janvier, deux corps se sont échoués sur une plage de Jijel.
Le 18 janvier, le corps d’une personne a été retrouvé à Skikda et ceux de deux autres à Jijel. Le 19, un autre homme a été retrouvé mort à Boumerdès. Deux d’entre eux ont été victimes du naufrage de Cap Djinet.
Le 20 janvier, les corps de deux femmes ont été retrouvés à Jijel, et à Annaba, ainsi que le corps d’un jeune homme, également identifié comme passager du naufrage de Cap Djinet.
Les 22 et 23 janvier, les corps de deux personnes ont été retrouvés sur la plage de Bejaia, et à Annaba celui d’un autre jeune homme.
Les naufrages invisibles
Il arrive souvent que l’on ne retrouve aucune trace de certains bateaux qui sont partis. Sans l’apparition d’un corps, d’un vêtement ou des restes d’un navire, il est impossible de savoir ce qu’il est advenu des personnes à bord. Au fur et à mesure que les semaines passent, sans nouvelles des personnes après une alerte à la disparition, nous perdons l’espoir qu’elles aient survécu. Il s’agit souvent de naufrages invisibles.
Dans les morgues des côtes des îles Baléares, de Murcie, d’Alicante, etc., il y a de nombreux corps non identifiés en raison de la difficulté pour les familles d’activer le processus d’identification depuis l’Algérie.
Début janvier, un bateau vide est apparu à Formentera (Baléares). Quelques jours plus tard, les 7 et 10 janvier, les corps sans vie de trois personnes sont apparus, à Formentera et à Palma de Mallorca. Voyageaient-ils dans ce bateau vide ? Combien d’autres personnes ont-elles disparu ?
Il est important de savoir si les corps retrouvés correspondent à des naufrages ou des disparitions récentes, ou s’ils ont été rejetés sur le rivage après plusieurs mois en mer. Si de nombreux mois se sont écoulés, des tests ADN sont nécessaires pour l’identification. Cela permet de vérifier, grâce aux tests ADN effectués sur les membres des familles, si le corps retrouvé est bien celui de leur proche. Malheureusement, comme les familles des personnes disparues ne sont pas accompagnées dans ce processus, de nombreux corps sont considérés comme “non réclamés”. Souvent, les visas ne sont pas accordés aux familles qui cherchent, tout comme ils ne l’ont pas été pour leurs proches.
Un deuil inachevé
Le 3 janvier, Alarmphone a été alerté de la disparition de 18 personnes qui avaient quitté Tipaza à bord d’un esquif le 29 décembre. Les garde-côtes et les autorités ont été alertés afin de rechercher l’embarcation. Plusieurs jours se sont écoulés et les familles n’ont reçu aucun appel de leurs proches. Salvamento Marítimo n’a effectué aucun sauvetage correspondant à ce bateau. La marine algérienne n’avait pas non plus de nouvelles concernant cette embarcation. Des parents et des amis, se trouvant non seulement en Algérie mais aussi dans diverses parties du monde se demandaient si leurs proches pouvaient être détenus dans un centre ou une prison, sans aucun moyen de les contacter, ou bien s’ils étaient hospitalisés. Il est vrai que les traversées sont souvent compliquées et durent beaucoup plus de jours que prévu, que les personnes ne peuvent pas contacter leur famille les jours qui suivent immédiatement leur arrivée si elles sont à l’hôpital ou détenues par la police pour leur identification. Mais plus les jours passaient et plus nous craignions le pire.
Le 21 janvier, nous avons appris que deux des cadavres retrouvés à Jijel les jours précédents appartenaient aux personnes recherchées par les familles. Nous avons alors su que le bateau avait fait naufrage, bien que le reste des personnes qui se trouvaient à bord soit toujours portées disparues. Comment dire à une personne que son être cher est mort si elle ne le voit pas ? Comment dire au revoir à quelqu’un quand la mort ne peut pas être nommée ? La douleur causée par l’incertitude peut-elle être réparée ?
La seule chose que nous puissions faire des deux côtés de la frontière est d’appeler la fin des politiques migratoires qui poussent les gens à emprunter des itinéraires dangereux vers l’Europe et qui sont la cause directe de cette violence dramatiquement normalisée.
Et en attendant, il nous appartient de faire porter le cri de douleur des familles, en lutte pour que l’identification et le rapatriement des corps de leurs proches soient plus accessibles et qu’ainsi, un deuil digne soit rendu possible.