Le témoignage ci-dessous a été recueilli par Alarm Phone le 4 août auprès d’un survivant. Plusieurs vidéos ont circulé sur les réseaux sociaux mentionnant l’attaque décrite par le témoin. Voir ici.
“Je m’appelle X. Je viens du Nigeria. J’ai dû quitter mon pays parce que je ne pouvais plus y vivre et que je devais trouver un meilleur endroit afin d’aider ma famille. Je suis arrivé à Sfax il y a 3 mois où j’ai trouvé une situation difficile, avec des migrant.e.s souffrant de violations. J’ai essayé de m’échapper en traversant la mer, mais j’ai été intercepté et renvoyé en Tunisie.
Je suis reparti en bateau le 2 août, depuis Sfax. Le bateau était en fer et faisait très peur. Je voyageais avec 31 personnes, dont une fille. Les personnes venaient du Nigeria, du Soudan et de Tunisie. Nous sommes partis vers midi. Il y avait beaucoup de bateaux autour de nous.
Pendant la nuit, les garde-côtes tunisiens sont arrivés. Ils ont commencé à nous frapper avec un long bâton en fer. Le capitaine et d’autres voyageurs ont été blessés. Ensuite, les garde-côtes ont attaché une corde à notre bateau et nous ont emmenés de force sur leur bateau.
Lorsque nous étions sur le bateau des garde-côtes, nous avons vu deux autres bateaux de migrants qui ont été interceptés en même temps. Au total, nous étions environ 120 personnes à avoir été interceptées. C’était très violent. J’ai vu les garde-côtes tunisiens frapper un bateau avec des Tunisiens, à l’aide d’un plus petit bateau rapide. Les gens sont tombés à l’eau.
Nous avons crié pour que quelqu’un leur vienne en aide. Nous leur avons lancé des gilets de sauvetage. Il y avait des enfants, des femmes, des garçons… il y avait tellement de gens dans l’eau. 3 garçons sont morts après avoir été embarqués sur le bateau. J’ai essayé de leur donner les premiers soins, mais je n’ai pas pu les sauver. L’un des enfants n’avait que 14 ans. Les mères criaient. Des corps ont été transportés à bord. Au total, 5 garçons tunisiens sont morts.
Entre-temps, les garde-côtes tunisiens ont appelé d’autres bateaux militaires. Au moins 6 sont venus, plus des hélicoptères. Nous avons commencé à protester parce que nous ne voulions pas retourner en Tunisie et à cause de ce dont nous avions été témoins. Les garde-côtes ont répondu en nous tirant dessus et l’un des survivants a été poussé à l’eau. Il a réussi à nager jusqu’au bateau, mais nous avons eu très peur.
Nous sommes restés bloqués sur le grand bateau pendant plusieurs heures. Nous avions soif, nous avions faim et nous étions fatigués. Nous espérions qu’un navire de secours nous emmènerait en Italie, mais finalement nous avons été débarqués à Sfax. Dans le port, nous n’avons reçu aucune aide. Les garde-côtes ont remarqué que certains d’entre nous avaient pris des photos et des vidéos de ce qui s’était passé et nous avons été contraints d’effacer toutes les images. Les Tunisiens ont été envoyés en prison, tandis que les autres ont été autorisés à repartir librement.
Je n’arrive pas à me débarrasser des images que j’ai vues cette nuit-là. Je vois des enfants se noyer, leurs mères crier… Je n’arrive plus à dormir. Ma priorité est maintenant de trouver un moyen de fuir ce pays le plus rapidement possible.
Merci d’être la voix des sans-voix.”
Les violences perpétrées par les garde-côtes tunisiens ont déjà été dénoncées en décembre 2022 par Alarm Phone et de nombreuses autres organisations tunisiennes et transnationales. Voir ici.