Les luttes des femmes en mouvement

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Photo: Alarm Phone

Table des matières

Introduction

 Les luttes quotidiennes des femmes en mouvement en Méditerranée occidentale. Rapport des militantes d’Alarm Phone

Le 8 mars 2020 à Tanger

Histoires de luttes avec les Boumla

Aurore Boréale, basée à Rabat : Ce n’est qu’en luttant ensemble que nous pourrons faire de réels progrès

Avec votre courage, vous pouvez faire ce travail – Interview de Léonie

Hayat, tué à la frontière par la marine marocaine en septembre 2017

Méditerranée centrale : les femmes en mouvement

Les luttes invisibles

Les femmes au téléphone

Piégé par le HCR – Entretien avec Georgie / Zarzis, Tunisie

Intercepté en Tunisie – Entretien avec Shiniwendu / Medenine, Tunsia

Nous nous sommes sentis les bienvenus – le témoignage de Kobra, sauvé par l’Ocean Viking en septembre 2019

Solidarité avec la RAS – Lettre d’un militant du téléphone d’alarme à une femme extraordinaire du monde de la RAS en janvier 2020

De la traversée de la mer Égée à la lutte pour les droits des femmes. Les femmes à Lesbos 

Toutes les femmes contre la Moria

Expériences de traversées et de la vie en Moria

Paaser notre vie à faire la queue

L’auto-organisation et une stratégie de vie quotidienne

Les personnes LGBTQI+ en mouvement

Lesvos LGBTQI+ solidarité avec les réfugié-e-s

 

 

Introduction

Lors de la manifestation pour la Journée des droits des femmes qui eu lieu le 8 mars à 10 heures devant le Cinéma Riff au Grand Socco à Tanger, des féministes marocaines, des femmes subsahariennes pour la liberté de circulation, des mères célibataires et quelques Européennes se sont réunies. Les femmes de notre équipe locale d’Alarm Phone, toutes originaires d’Afrique subsaharienne, se sont ensuite assises avec certains de leurs amies d’Europe et  ont commencé à écrire leurs expériences pour ce rapport.

Au même moment, à Lesvos en Grèce, des femmes des équipes d’Alarm Phone ont interviewé des femmes dans et autour du hot spot de Moria, qui ont parlé de la souffrance qu’elles ont dû endurer sur la route d’exil la plus orientale vers l’Europe : Elles racontent comment, le 30 janvier, une foule a commencé à se déplacer du hot spot surpeuplé de Moria vers la ville de Mitylène, sur l’île égéenne de Lesvos. “Toutes les femmes contre  Moria”, “Femmes solidaires”, ” Moria est un enfer pour les femmes” et “Arrêtez toutes violences contre les femmes” étaient inscrits sur certains des nombreux panneaux tandis que la foule chantait “Assadi” (liberté en farsi) les poings levés.

Peu de temps après, un activiste d’Alarm Phone a rencontré une jeune femme de Somalie, qui a fait la traversée de la Libye vers l’Italie en septembre dernier et qui veut encourager les équipes de secours en mer à poursuivre leur incroyable travail.

Une autre s’est assise et a écrit une belle lettre de solidarité à l’une des femmes active dans le domaine de la recherche et du sauvetage : “Quand j’entends sa voix au téléphone, disant “mon bateau se dirigera vers la cible à toute vitesse”, je l’imagine au volant de cet énorme bateau transportant 400 personnes, volant au-dessus de la mer comme s’il était en apesanteur.”

Certaines écrivent de manière courageuse sur les souffrances qu’elles ont dû endurer. La douleur qu’elles ressentent et la souffrance rien que dans le simple fait de ce que cela représente de devoir aller uriner quand on vit à Moria. Ou sur les luttes avec les “Boumla”, la police, les déportant à l’intérieur du Maroc vers les déserts, les exposant à de plus grands dangers. L’une d’entre elle a écrit sur la mort d’un jeune étudiant marocain.

Il y en a d’autres qui ont décidé de ne pas se souvenir en détail de la souffrance, mais d’indiquer leurs stratégies, leurs luttes et la reconnaissance de la solidarité créée entre nous.

Dans ce rapport, nous avons tenté d’écrire sur les multiples expériences des femmes et des personnes LGBTQI+ qui traversent la mer pour atteindre un endroit sûr ou sont bloqués en transit – et sur l’expérience des femmes actives dans la recherche et le sauvetage qui tentent de soutenir ces luttes. Les femmes sont en mouvement pour leur propre liberté de mouvement dans les trois régions de la mer. De l’Est entre la Turquie et la Grèce dans la mer Égée, en passant par la Méditerranée centrale de la Libye et de la Tunisie vers l’Italie et Malte et à l’Ouest du Maroc vers l’Espagne.

Partout, nous rencontrons plus de femmes que par le passé qui se retrouvent en première ligne de ces luttes. À l’Est, le pourcentage d’hommes adultes parmi ceux qui arrivent est même tombé en dessous de 50 % après 2015, ce qui crée une situation complètement différente.

Aussi, de plus en plus de femmes sont actives dans les initiatives de recherche et de sauvetage et à faire partie de l’équipe d’Alarm Phone. Nous sommes même majoritaires au sein de l’équipe d’Alarm Phone.

Nous avons décidé d’écrire de manière très subjective et ce qui en est ressorti est une sorte de patchwork de différents styles et tons. Nous espérons qu’elle permettra à d’autres de faire entendre leur voix et de devenir plus visibles grâce à leur forte expertise.

Nous dédions ce rapport à toutes les femmes qui luttent aujourd’hui pour leur survie dans les camps de réfugiés du monde entier pour survivre en temps de Coronavirus dans des conditions qui mettent leur vie en danger. La seule option pour mettre fin à ces souffrances est la liberté de mouvement, qui est un droit fondamental pour toutes dans le monde entier. Nous continuerons cette lutte.

En mars 2018, AlarmPhone a publié le dernier rapport consacré à la situation spécifique des femmes en mer.

Nous allons essayer de publier désormais chaque année un rapport sur la situation particulière des femmes et des personnes LGBTQI+ en exil.

Les luttes quotidiennes des femmes en mouvement en Méditerranée occidentale. Rapport des militantes d’Alarm Phone

Le 8 Mars de 2020 à Tanger

La manifestation de la Journée de la femme s’est tenue le 8 mars à 10h devant du Cinéma Riff au Grand Socco à Tanger. Des féministes marocaines, des femmes subsahariennes pour la liberté de circulation, des mères célibataires et quelques Européens se sont réunies. Un groupe de samba a joué du tambour, il y a eu un échange animé entre les différents groupes, des tissus de couleur violette, la couleur symbolique du 8 mars a été distribuée, des banderoles ont été déployées, des contacts ont été échangés,- l’ambiance était géniale. Environ 1000 femmes se sont réunies, cela a fait impression dans la métropole du nord du Maroc, car les voix étaient fortes et déterminées. Avec des slogans comme “Solidarité avec les femmes du monde entier ! “Élevez la voix, saisissez vos droits” en arabe et en français, a commencé la manifestation qui s‘est déroulée le long du grand boulevard jusqu’à la place de la Nation. Les passants et les journalistes ont suivi avec intérêt. Une chose était déjà claire à cette heure matinale : la marche est valorisante, et ce dans un lieu qui a été marqué par la pire répression policière depuis plusieurs mois.

Pauline et Julia ont participé pendant cette marche avec le groupe de femmes d´Alarm Phone.

Julia: Les femmes subsahariennes sont trop fatiguées, on souffre de tout sorte de violence, la violence a travers la sécurité marocaine, à travers le compatriote marocaine. Même les femmes marocaines ont leurs difficultés. Dans leurs ménages, dans les foyers, dans leurs entourages environnant. Il y a trop de cas et il y a des preuves aussi. Les femmes ont pas les voix hautes vers les hommes de tenues. On nous ouvre pas les porte et on nous écoute pas, on est toujours en cas de détresse. C’est pour cela qu’on a soulevé notre crie de colère. J’espère que nos message sont lancés vers les autorités marocaines. On veux la paix et on a la droit de vivre.

Pauline: Nous les femmes on est brutalisée dans la maison et on n’a pas de droit de s’exprimer. Mais il faut que nous, comme femmes, on s’exprime, aussi dans les médias, pour que les gens à travers de nous comprennent ce qu’il passe réellement dans le terrain. C‘est la violence dans la vie quotidienne. Mais nous les femmes nous voulons l’égalité.

Le 8 mars c’était une occasion de s’exprimer. Parce qu’en marchant il y a pas mal de gens qui nous on suivies. On a lutté, on a envoyé des messages. On nous a donné le droit de parler et on a dit non à la violence faite aux femmes. Nous réclamons notre droit pour l’ expression libre et pour la circulation libre!

Nous présentons ici le discours de Pauline, qui malheureusement n’a pas pu être présenté lors de la Journée de la femme:

Moi, je suis Pauline.

Je suis une activiste qui des défend le droit des migrant-e-s aux Maroc, plus particulièrement à Tanger mais cette lutte n’est pas facile avec la nouvelle politique des autorités marocaines car on subit des répressions par la police et des éloignements vers les villes du sud et parfois vers la frontière de l’Algérie. Alors en tant qu’activistes on réclame nos droits et le droit des migrant-e-s.

Comme le Maroc a signé des conventions internationales pour le droit d’asile et la liberté de circulation, les autorités marocaines sont invitées à respecter le droit international et à ne pas être les gendarmes de l’Union Européenne. C’est une mauvaise politique de bloquer les migrant-e-s au Maroc avec ni travail ni carte de séjour et d’empêcher les migrant-e-s d’accéder à leurs libertés. On ne cautionne pas l’immigration clandestine. Mais essaie de voir nos politiques d’état et d’ouvrir les frontières pour que les gens aient plus d’axes, car la subsaharienne peut aller gagner sa vie en Europe, comme si une européenne peut venir gagner sa vie en Afrique. Alors on demande tout simplement la liberté des personnes et de leurs biens.

Merci beaucoup.

Photo: Alarm Phone

Histoires de luttes avec la boumla

« Après le manifestation, nous sommes toutes ensemble, les amies de l’Alarm Phone: Pauline, Carla, Fatou, Co et Julia à Tanger. Nous nous racontons et écoutons des histoires sur le Boumla (police en wolof). Comme l’a souvent rapporté Alarm Phone, la persécution, le racisme, la violence et les déportations font partie du quotidien des communautés noires au Maroc, en particulier dans la région de Tanger. Les femmes décrivent comment elles font face à la discrimination au quotidien et quelles stratégies elles ont développées contre la répression. »

Fatou: On a arrêtée la déportation en Rabat

« Moi et Pauline on était avec des amies. On a vu la police et on savait qu’ils allaient nous prendre même avec des papiers.

J’ai dit : ‘Non, je ne pars pas, j’ai mon passeport et j’ai ma carte de séjour.’ Comme réponse ils m’ont giflée et pris au commissariat. Ils nous ont dit qu’on va nous prendre à Tiznit. Quand nous sommes entrées à Rabat, nous nous avons dit qu’il faut faire quelque chose. Sinon, on va terminer à Tiznit et c’est loin de Tanger. Donc on s’est révoltées ensemble pour les énerver. On a commencé à crier, crier crier avec la force. Les Marocains ils ont commencé à s’énerver. Et on a crié crié crié crié…et ils ont dit „safi, safi safi safi“ (assez en arabe). On a arrêté et nous sommes descendues à Rabat. »

Pauline: Je l’acceptais pas

« Je voulais parler de la violence que j’ai subi en tant que femme au Maroc. La police est venue beaucoup de fois pour m’attraper et m’amener vers le sud. Je ne l’acceptais pas, parce que je ne connais personne là-bas. Ce temps là, j’avais mon restaurant au Medina.  La police m’envoyait vers le commissariat. Quand je suis partie là-bas j´ai vu beaucoup de gens et je me suis dit que si je ne fais pas quelque chose, ils vont m’envoyer vers le sud, vers Tiznit. J’ai dit à l’officier que je suis malade. Il a dit : « Non, tu n’es pas malade, tu vas sortir au bus avec les autres. Le bus était déjà là devant la porte. J’avais peur d’être déportée à Tiznit parce que je n’avais pas les moyens pour retourner à Tanger.

Donc je suis entrée à la toilette.  J’avais le deuxième jour de mon règle, donc j’ai enlevé le coton. J’ai le jeté et je suis sortie. Il y avait beaucoup de sang sortant, cela sortait sur mon pantalon, tout était gâté. J’ai dit au chef de commissariat: « Écoute je suis malade. » Mais il a dit: « Non, t’es pas, mets toi dans la file.. ». C’était quand j’ai ouvert mes pieds. Ca l’a étonné et il a dit vitement: «  Ok, ok, ok. »  Et voilà, il ma donné un transport pour ma maison. Alors, je suis retournée au travail. »

Julia: L’hôpital au lieu de l’expulsion vers Tiznit

« La dernière tentative de me déporter était en 2019. La police Marocaine est venue chez nous très tôt le matin. Ils portent des tenues Kagouls (Sturmmasken) comme si on était des criminels dans notre propre maison. J’avais perdu ma carte de séjours parce que je ne pouvais pas la renouveler. Ils nous ont amenés vers Tiznit. On ne pouvait pas résister. On était en route de 8 heure le matin jusqu’à 11 heure du soir, sans manger, on n’avait ni eau ni rien. 2km avant de rentrer à Marrakech je me suis dit que j’avais la possibilité de descendre là-bas parce qu’au moins c’est une ville que je connaissais. Juste avant d’y arriver j’ai fait beaucoup de bruits et piqué une crise, ils ont eu peur et ont appelé une ambulance pour venir me prendre. Je n’étais vraiment pas malade, j’avais rien, c’était juste une ruse pour qu’ils puissent me relâcher. Donc j’ai fait des gestes, j’ai arrêté ma respiration. Dans l’ambulance il m’ont donné un masque d’oxygène. Arrivée à l’hôpital ils m’ont mis sur une banquette avec un masque, le temps qu’ils sont allés me trouver un médecin, j’ai tout enlevé et j’ai pris la fuite… »

Aurore Boréale, basé à Rabat: Seulement en luttant ensemble on peut avoir un réel progrès

Depuis la nuit des temps, les hommes partent à la recherche de verts pâturages, d’un ciel plus clément, d’un ailleurs meilleur où tout simplement par curiosité. Celle de voir ce qu’il y’a de l’autre côté, ce qui nous conduit à conclure que la migration est un phénomène inhérent à l’être vivant. Je dirai même vital.

Le plus choquant aujourd’hui c’est de voir combien le phénomène migratoire est devenu de partout diabolisé et criminalisé. Partir est devenue anathème, au point où de partout des barrières se lèvent. Des moyens qui chaque jour deviennent de plus en plus dramatiques sont mis en œuvre pour entraver la liberté de circulation, pour trier qui est éligible ou pas. Prenons le cas du Maroc, d’une part sa situation géographique, elle est considérée comme la porte de l’Eldorado par plusieurs Africains, mais aussi Syriens, Bangladais, philippins…qui se ruent vers le Maroc pour espérer vivre une vie meilleure de l’autre côté, où peut être simplement pour s’installer.

Cependant, si les autres communautés migrantes à la peau non foncées peuvent jouir de plus de tranquillité et ne sont pas souvent des sujets à des formes de discriminations les plus criardes, il n’est pas de même pour la communauté migrante africaine noire au Maroc. Le cas qui intéresse notre rapport est celui de la femme.

Si hier il était rare de voir des femmes prendre les routes, aujourd’hui, ce n’est plus le cas et les femmes prennent autant la route que les hommes. Elles sont aujourd’hui plus nombreuses à prendre les routes, avalant la peur qui klaxonne, affrontant le froid, la faim, les danger, sourdes à toute sortes de violences.

Aujourd’hui les femmes partent aussi. Mais qu’en est-il du quotidien de ces femmes une fois installées au Maroc. Un pays qui malgré les avancées et l’ouverture en matière de droit de la femme, reste un pays dont les femmes ne jouissent pratiquement pas de tous les droits qui leurs sont reconnus dans la loi ou dans la constitution. Un pays où elles, les femmes restent encore les inférieures, les subalternes, ou simplement des choses appartenant aux hommes, pour satisfaire leurs pulsions ou leurs égos. En gros je dirai un pays où les femmes ne sont pas véritablement libres d’être qui elles veulent, sans qu’on leur foute la paix.

La femme migrante au Maroc doit composer avec tout ça, et multiplier avec le fait que ce sont des femmes noires. Donc perçues dans la conscience collective des marocains comme étant des femmes de peu de valeur, de mœurs légères, de prostituées, ou de mendiantes. La femme noire au bas de l’échelle que les gens à la mentalité atrophiée ont décidé de créer. Les femmes migrantes seules sont aussi pour certains des frères migrants ou pour certains chairmans des proies dont il faut exploiter le corps en leur promettant le voyage vers l’eldorado.

Et celles-ci se voient abandonner à leur sort dès que ces derniers auraient trouvé des proies plus alléchantes. Ainsi plusieurs femmes se retrouvent mères célibataires, avec des enfants dont les géniteurs n’ont rien à foutre, ou ne veulent même pas savoir. La misère est parfois grande que certaines se retrouvent à se mettre en couple et à emménager avec le premier venu qui pourrait lui offrir un toit sur la tête, de la bouffe dans un plat, en sommes le confort possible. Des fois ça tourne bien, des fois ça tourne au vinaigre pour certaines. Les femmes migrantes qui travaillent chez les particuliers sont aussi sujettes à des exploitations allant même jusqu’à des sévices corporels, non-paiement des salaires, déjà insignifiants par rapport au travail fournit. On peut aussi parler de la difficulté à se faire respecter dans les centres de santé publics, des complications, la prise en charge tardive ou la non prise en charge sous la base des motifs discriminatoires et racistes. Elles restent à la marge.

Ce qui me consterne le plus c’est que cela se rencontre même dans certaines associations militantes où les femmes sont sous représentées et où on leur accorde moins de responsabilité, pas de pouvoir réel de décision. Infantilisées, on leur accorde juste une place pour servir de vitrine afin d’obtenir des subventions de la part des organismes qui prennent à cœur la condition de la femme. Une fois la subvention accordée, ces femmes sont mises sur la touche, sans aucun pouvoir de décision, brimées et subissant tout ce que les hommes ont décidé sans qu’elles aient leurs mots à dire.

 Il y a des organismes comme Le H.C.R, la Caritas, et la CEI, qui apportent de l’aide aux migrantes. Mais là encore il y a l’éternel question d’éligibilité, de hiérarchisation malsaine de la souffrance, la catégorisation de migrant. On les classe en fonction de leur souffrance, en fonction de comment ils sont arrivés au Maroc, et la migrante arrivée en avion n’a souvent pas droit à ces maigres aides : « On ne peut pas aider tout le monde » enfin sauf si vous avez une histoire qui tienne la route, un mensonge qui en vaut la peine, ou se faire passer pour quelqu’un que vous n’êtes pas.

J’ai vu des gens qui avaient vraiment besoin d’aide mais auxquels on n’a rien accordé parce qu’elles ne rentraient pas dans les critères pour en bénéficier. J’en connais qui en sont mort. Et même quand ces aides sont accordées à ces femmes, elles ne sont pas libres. Elles restent d’une façon ou d’une autre comme des prisonnières de ces organismes, épiées même dans leurs intimités. C’est le prix à payer. Bien qu’il existe quelques associations de femmes migrantes, quelques dynamiques, comme La voix des femmes de Hélène Yalta, le collectif des femmes migrantes au Maroc (COFMIMA) et L’ARCOM qui essaient tant bien que mal de lutter pour la condition de la femme migrante au Maroc. Mais une réelle lutte pour les droits des femmes migrantes, pour l’empowerment féminin, n’existe presque pas. L’urgence, le besoin, la survie crient trop fort…c’est en bande dispersée, individuellement que la grande majorité des femmes se bat, peut-on espérer à un réel progrès ou évolution en luttant en bande dispersée ? Non pas du tout.

Photo: Alarm Phone

Avec ton courage tu peux faire cette travail
Interview avec Léonie
  

Bien que la situation à Tanger devient de plus en plus difficile pour les voyageuses subsahariennes il s’est formé un groupe de femmes, qui sont actives avec l´Alarm Phone la-bas. On a parlé avec Léonie, qui est nouvelle dans la groupe. Elle vit aux Maroc depuis 5 ans.

Léonie, pourquoi tu fais partie de l’ Alarme Phone?

L: C’est un grand frère que m’a introduit dans le groupe. Il ma’ dit qu’il y a un réseau d’activistes, et comme je te vois avec ton courage tu peux faire ce travail.

Tu as travaillé déjà ici au Maroc dans les activités solidaires?

L: Je suis dans presque toutes les associations du Tanger qui regroupe les migrants. Quand il y a une réunion ou un petite activité, ils m’invitent – je suis pratiquement toujours présente.

Alarme Phone c’est un réseau d’activistes qui aident des migrants qui sont déjà sur l’eau et pour qu´ ils ne perdent pas la vie dans l’eau. En cas de détresse on les oriente.

Es ce que tu peux expliquer la situation des migrants ici au Maroc?

L: Aux Maroc, c’est pas facile pour les migrant-e-s. Que tu sois régularisé ou pas. C’est très tendu. La vie c’est pas du lait pour nous. Nous, les migrant-e-s ici à Tanger. Moi même j’ai subi les conséquences. On casse ta porte. A deux heures de la matin les soldats sont là, on ne te prévient pas, on ne cherche pas savoir si tu as des papiers ou pas. A ta grand surprise tu sursaute dans le sommeil en train de casser ta porte.

Ils viennent à la maison comme des voleurs. On ne cherche même pas à savoir si tu as des papiers. c’est toi même que tu es obligée de dire « mais monsieur, j’ai des papiers. »

Moi, une fois, ils ont arrivés chez moi je suis en train de me laver vers 3 heures du matin, l’été passé, donc en 2019. Le monsieur a ouvert la toilette et j’ai dit : « Mais monsieur je me lave. » Il a dit: « c’est pas mon problème. » J’ai dit : « quand tu as entré est ce que tu m’as demandé si je suis régularisée ou pas ? Tu entres chez moi mais j’ai mon contrat de maison, j’ai mes papiers. Tu veux venir sous la douche? Si tu veux mettre ta tête encore, je verse l’eau sur toi ! Et c’était comme ça il est ressorti du toilette.

Ça blesse, c’est frustrant. Tous les années comme ça, ils nous traitent comme des animaux comme si nous ne sommes pas des êtres humains. Vraiment, c’est dégoûtant.

Et pour les femmes tu n’as pas le droit de t’exprimer surtout devant des autorités, ils te considèrent pas. Ça te blesse, ça reste dans ton cœur. Et moralement, tu n’as pas le droit de te exprimer! C’est la souffrance de femmes ici. On a essayé d’en parler aux associations de droit humain et de droit de la femme.

Dans le travail de Alarme Phone – Quelles sont des demandes?

L: Alarme Phone demande que les frontières soient ouvertes. Si quelqu’une veut sortir d’un pays que la personne passe librement sans rattraper et sans être violentée. C’est la demande d’Alarme Phone : La libre circulation !

Hayat, tué à la frontière par la marine marocaine en septembre 2017

Afin d’empêcher à tout prix les jeunes de partir, la force armée est utilisée au Maroc : Le 25 septembre 2017, la Marine a tiré et a tué Hayat Belkacem, un étudiant de 19 ans originaire de Tétouan. Trois hommes ont été blessés, dont certains gravement.

Les quatre hommes, ainsi que 21 autres jeunes Marocains*, étaient partis de la plage de Martil à bord d’un “Go-Fast” (bateau à moteur) en direction de l’Espagne. La marine a voulu arrêter les candidats à la traversée ; quand le bateau a démarré, ils ont ouvert le feu.

Le hashtag #Quiadonnélordre : Qui a donné l’ordre ? est devenu viral par la suite et a accusé la version de la Marine, qui n’aurait tiré que des coups de semonce.

Avant la mort de Hayat, des centaines de jeunes avaient afflué sur les plages du nord pendant des jours suite à la mise en ligne sur Internet de vidéos espagnoles montrant des arrivées réussies en Espagne. Les forces de sécurité marocaines avaient alors bloqué l’accès des jeunes Marocains* aux plages du nord du Maroc. En réponse, des centaines de jeunes Marocains* ont manifesté à Martil et ont exigé “l’harga fabor” – leur droit au libre passage: https://youtu.be/ICahwzMzbdM

Après la mort de Hayat, les habitants de nombreuses villes, y compris de nombreux Ultras, sont descendus dans la rue pour exprimer leur colère. À Tétouan, les gens scandaient “Nous te vengerons, Hayat !” ainsi que “Nous renoncerons au passeport marocain !” et “Viva España”: https://youtu.be/EyXfV-fMoBg

Un étudiant a ensuite été condamné à deux ans de prison, affirmant que son appel à la protestation via Facebook avait prétendument insulté la nation marocaine et appelé à un soulèvement. D’autres jeunes ont également été accusés, dont beaucoup sont encore mineurs.

Méditerranée centrale : les femmes en mouvement

Les luttes invisibles

Il est difficile d’écrire sur les femmes qui traversent la Méditerranée centrale. C’est difficile parce que, en premier lieu, nous ne voulons pas écrire “sur” les femmes en mouvement. Nous aimerions écrire “avec” elles sur leurs expériences, utiliser cette plateforme pour faire entendre leur voix. Cependant, leurs histoires sont souvent rendues invisibles, tout comme la violence qu’elles subissent au quotidien. Trop souvent, les femmes qui traversent la Méditerranée centrale nous apparaissent simplement comme un numéro communiqué par la personne qui parle au téléphone. Un numéro que nous essayons de clarifier à plusieurs reprises, pour ensuite le signaler rapidement dans un e-mail aux autorités ou dans un tweet : “Nous avons été appelés par un bateau en détresse, à bord il y a 60 personnes qui fuient la Libye dont 3 enfants et 8 femmes, deux d’entre elles sont enceintes”. Nous n’entendons que rarement leurs voix. La communication avec les personnes en détresse en Méditerranée centrale est brève et fragmentée : elle commence par un appel de détresse via un téléphone satellite, elle se termine par le jet à l’eau d’un téléphone satellite. Et puis le silence. Un silence qui peut signifier beaucoup de choses, mais qui trop souvent n’apporte pas de bonnes nouvelles. Cette communication par une connexion instable ne nous permet pas de reprendre contact, de demander des détails, de demander leurs noms et leurs témoignages une fois qu’ils sont arrivés en Europe ou lorsqu’ils sont retournés à la violence et à la guerre en Libye. Et c’est ainsi que, douloureusement, les voix puissantes des femmes en déplacement se perdent, et leurs présences restent figées dans un nombre sec et incertain.

Bien sûr, nous savons souvent ce qui se cache derrière ces chiffres, et nous pourrions ici écrire des histoires de violence, d’esclavage et de torture en Libye. Nous savons également que de nombreuses femmes fuient non seulement la guerre ou la pauvreté, mais aussi la violence sexiste, les mariages forcés, le harcèlement en raison de leur sexualité. Nous pourrions écrire sur leurs grossesses et sur les viols qu’elles ont subis. Nous pourrions écrire sur ce que signifie être une mère et embarquer sur un canot pneumatique précaire en tenant la main de son enfant dans l’espoir que la mer sera moins violente que le camp libyen ou les maisons qu’elles ont laissées derrière elles.

Les frontières de l’Europe amplifient la violence que les femmes fuient, mais les mesures de sécurité, la surveillance et la criminalisation des mouvements de personnes sont souvent légitimées sous le drapeau de la lutte contre la traite des êtres humains. D’une part, l’Europe prétend offrir une protection : elle présente les contrôles aux frontières comme des actes humanitaires visant à protéger les “femmes vulnérables” contre les trafiquants “assoiffés de sang”. D’autre part, l’Europe verse de l’argent et des ressources, organise des formations et signe des accords pour renforcer les frontières et limiter la liberté de circulation, et alimenter la violence aux frontières.

Dépeints comme des victimes vulnérables ayant besoin de protection, les discours sur la protection et la vulnérabilité des femmes sont souvent utilisés par les États membres européens pour donner un visage humanitaire à la violence qu’ils infligent par leurs politiques frontalières.

Si toutes ces formes croisées de violence visible et invisible rendent le franchissement des frontières encore plus dangereux et mortel pour les femmes, nous savons que les femmes en mouvement sont plus que ce à quoi elles sont réduites, et qu’elles portent un pouvoir et une force qu’aucune frontière n’est capable de vaincre. C’est ce que nous aimerions écrire, et c’est ce que nous apprenons des témoignages et des expériences recueillis ici.

Les femmes au téléphone

Dans quelques situations, nous avons eu l’occasion de parler à des femmes en détresse qui ont appelé Alarm phone, et depuis lors, lorsque la communication est difficile, nous demandons aux personnes au téléphone de nous laisser parler à une femme à bord.

En tant que Alarm Phone, nous parlons aux gens pendant leur trajet. Pour nous, ce sont des voix en détresse que nous essayons de réconforter, avec difficulté. Nous leur demandons leurs coordonnées GPS et ils essaient de nous lire des numéros. Il est difficile d’être au téléphone avec des gens qui pourraient se noyer à tout moment et de leur demander de lire des chiffres. Ils veulent juste vous dire que la mer est trop grande et que le bateau est trop petit. Ils veulent vous dire qu’ils ne veulent pas retourner en Libye, qu’ils préfèrent mourir en mer. Ils nous demandent de les aider. Ils nous disent qu’ils sont malades, qu’ils n’y arriveront pas, qu’il y a de l’eau dans le bateau, beaucoup d’eau, trop d’eau. Ils nous demandent pourquoi nous ne sommes pas encore arrivés et pourquoi nous continuons à demander des chiffres. Et comment expliquer que vous n’êtes pas en mer, mais en Angleterre, ou en France, ou en Allemagne. Comment expliquer que vous avez appelé à l’aide mais que les autorités européennes ne répondent pas à vos demandes, et les laissent mourir en mer. Comment expliquer que la seule chose que nous pouvons faire est d’écrire ces numéros, et que grâce à ces numéros, leurs vies pourraient être sauvées.

Plus d’une fois, une situation chaotique où la communication semblait impossible et où nous avions le sentiment que nous ne pourrions jamais clarifier les coordonnées GPS du bateau, a été résolue simplement en parlant à une femme : “ils ont passé le téléphone à une femme, elle parle clairement, elle est calme. Elle écoute attentivement et elle comprend comment trouver les coordonnées GPS du téléphone. Elle épelle les chiffres : Nord, 34 degrés, 22 minutes…” Elle est confiante et elle explique la situation. Elle dit qu’il y a des malades sur le bateau et qu’il reste peu de carburant. Nous restons en contact régulier, elle sait ce qu’elle doit faire et comment continuer”.

C’est dans ces moments d’instabilité, dans ces quelques échanges et dans le courage que nous entendons dans leurs voix, que les luttes invisibles des femmes en mouvement en Méditerranée centrale deviennent visibles. Leurs voix deviennent des armes contre les régimes frontaliers brutaux, une arme dont dépendent les vies de 100 compagnons de route. Nous aimerions pouvoir entendre davantage de ces voix, et que nous puissions leur parler et entendre leurs voix au-delà des situations de détresse, comme nous l’avons fait avec Georgie et Shiniwendu, qui sont toujours en Tunisie, comme nous l’avons fait avec Kobra, qui a réussi à atteindre l’Allemagne.

Sauvetage par Alan Kurdi, 25 janvier 2020. Photo: Marco Riedl, Sea-Eye

Piégé par le HCR
Entretien avec Daniella, Tunisie

Elle est originaire de la partie anglophone du Cameroun. La guerre s’y intensifie depuis 2016. Son mari a été assassiné et elle a également perdu sa mère dans cette guerre. Elle appartient à une famille politiquement marquée par l’opposition, son oncle faisant partie du SDF, le parti d’opposition. Elle a quitté le pays en octobre 2017. Depuis son départ, elle n’a pas eu de nouvelles du reste de sa famille.

Elle a traversé le Nigeria, le Niger, l’Algérie et la Libye avant de passer la frontière tunisienne. Elle a été arrêtée à Ben Guerdane où ses empreintes digitales ont été relevées. Elle a été prise en charge par le Croissant Rouge et le HCR à Medenine, puis emmenée au centre Ibn Khaldoun en août 2018. Elle a été enregistrée auprès du HCR et a subi 4 entretiens au cours desquels on lui a posé les mêmes questions, en essayant de la “piéger” par la précision des dates. Sa demande a été rejetée : on lui a dit qu’elle pourrait très bien retourner chez les anglophones : “Mais si vous allez dans cette région en tant que francophone, vous êtes en danger car les gens vont penser que vous êtes un espion.”

Pendant son séjour au centre, Daniella a souvent organisé des activités sportives telles que des matchs de football, ce qui n’a pas plu au HCR. Elle a également été très active, participant aux différentes manifestations organisées par les réfugié-e-s et demandeurs d’asile du centre pour protester contre leurs conditions de vie et pour dénoncer les pratiques du HCR.

Depuis que le HCR a rejeté sa demande d’asile, elle ne reçoit plus de coupons alimentaires. Elle a décidé de quitter le centre après avoir subi les pressions du HCR pour faire de la place à d’autres : “C’est leur stratégie, ils vous embarrassent pour vous faire partir”. Aujourd’hui, elle vit dans un petit appartement avec deux autres Camerounais. Elle dit qu’elle n’a pas le courage de faire appel de la décision du HCR. Cela fait 11 mois qu’elle a quitté le centre.

La traversée depuis la Tunisie coûte environ 1000 euros. Elle a l’intention de tenter la traversée depuis Zarzis. Leur groupe de 14 personnes est prêt. Le passeur leur a demandé d’attendre que le temps s’améliore, mais ce n’est qu’une question de quelques jours. Cela fait déjà deux semaines qu’ils attendent que le temps s’améliore pour traverser la frontière. Il y a un mois, des migrants ont été interceptés. Ils ne sont pas emprisonnés à moins qu’on ne découvre qu’ils sont des passeurs. Pour éviter les interceptions, la Garde nationale doit être payée.

Elle a également traversé le fossé : il est d’environ trois mètres de profondeur. Il n’y avait pas d’eau au fond, mais il y avait de la boue. Pour grimper, des hommes l’ont aidée, en tressant des vêtements pour la hisser. Le désert est plein de chiens agressifs. Elle a dû marcher longtemps avec son bébé et un ami de Côte d’Ivoire avant de rencontrer des militaires. Les militaires connaissaient leur numéro, ils avaient identifier leur groupe bien à l’avance (ils ont demandé où se trouvaient les hommes, en cherchant un groupe de 18 personnes). Les soldats étaient équipés d’énormes projecteurs qui balayaient le désert. Après avoir traversé le fossé, il y a une clôture en fil de fer barbelé de trois mètres de haut. Traverser cette frontière coûte environ 300 euros.

Intercepté en Tunisie
Entretien avec Abeni, Tunisie

Abeni a quitté le Nigeria en 2017. Elle vivait dans une province du sud, le Delta. Le père de son mari a été tué et son mari a été menacé, la famille a donc dû fuir le pays.

Elle est arrivée en Tunisie en mai 2017 alors qu’elle était enceinte de 6 mois de son premier enfant. Son bateau est tombé en panne d’essence et a été secouru par les autorités tunisiennes et remis à l’OIM. Ils ont été emmenés à Medenine en bus vers un abri de l’OIM qui a fermé en mars 2019. Elle est restée dans ce centre pendant un an et a demandé à voir le HCR, mais pendant un an, on ne lui a proposé que le retour volontaire. Ce n’est qu’un an plus tard qu’elle a pu se rendre dans un centre du HCR.

Elle s’est rendue à Zarzis avec son mari pour l’entretien avec le HCR. Son mari, qui ne parle qu’Ikâ, a reçu une traduction par téléphone. Quelques mois plus tard, ils ont reçu une réponse négative du HCR, leurs disant que les événements qu’ils avaient évoqués ne pouvaient pas être vérifiés sur le net, et qu’il s’agissait d’un problème familial.

Elle dit que peu de Nigérians sont acceptés, à l’exception des femmes célibataires avec enfants (dont une a été relocalisée). Ils ont fait appel de cette décision en remplissant un formulaire, sans entretien, mais ont de nouveau été déboutés. Le HCR leur a donné trois jours pour quitter le centre, avec ses deux filles, âgées de deux ans et six mois. Cela s’est passé il y a un an. Ils ont refusé, ont pu rester mais ils n’ont plus eu de coupons de nourriture et plus d’aide du HCR.

Quand elle parle au personnel, ils font semblant de l’ignorer. Le HCR n’a pas renouvelé leurs cartes. Ils ont cessé de payer les frais médicaux, alors que le bébé doit aller à l’hôpital régulièrement. Le docteur a dit que c’était parce qu’il souffrait du froid. Son mari essaie de travailler, mais il n’y a pas d’opportunités à Medenine. Il est allé à Sfax mais il s’est fait arrêter et emprisonner pendant deux jours pour ne pas avoir de papiers. Sans papiers, ils n’ont aucune liberté de mouvement. Le deuxième bébé n’a pas été enregistré en Tunisie. Le HCR a refusé de les accompagner.

Son mari veut retourner en Libye pour tenter la traversée, mais elle ne veut pas et reste en Tunisie. Le HCR veut toujours expulser la famille du refuge, mais ne peut le faire en raison de la pandémie actuelle de coronavirus.

Nous nous sommes sentis les bienvenus
Le témoignage de Kobra, sauvé par l’Ocean Viking en septembre 2019

Je m’appelle Kobra. J’ai 18 ans et je viens de Somalie. Je veux vous raconter l’histoire de mon sauvetage en mer Méditerranée en septembre 2019. Je ne sais pas comment trouver les mots pour décrire la souffrance et je ne veux pas me souvenir de ce qui s’est passé avant que je ne quitte la Libye. Mais ce que je ne veux jamais oublier et dont je veux toujours me souvenir, c’est le moment où, après presque deux jours en mer, nous avons enfin vu devant nous ce petit voilier qui a mis fin à nos souffrances.

Nous étions remplis de peur, car finalement notre téléphone, la seule connexion au monde, avait cessé de fonctionner et de plus en plus d’eau entrait dans le bateau. Ce fut donc pour nous comme un miracle quand nous avons enfin trouvé ce voilier que je n’oublierai jamais de ma vie. Nous étions environ 45-50 personnes dans un bateau pneumatique bleu. En plus de moi, 6 autres personnes venaient de Somalie. L’une d’entre elles était une femme enceinte avec son enfant de 1 an et son mari. Elle est maintenant aussi en Allemagne, mon amie, car elle a été transférée en Allemagne après le sauvetage.

Je n’ai jamais appris à nager et c’était donc effrayant quand de plus en plus d’eau entrait et qu’autour de nous il y avait de l’eau et seulement de l’eau pendant si longtemps. Au début, j’étais assise au milieu du bateau sur le sol, plus tard, lorsque de plus en plus d’eau est entrée, je me suis déplacée sur un tube et j’ai pu voir le bateau apparaître qui, finalement, le soir du deuxième jour, est venu à notre secours.

J’ai une vidéo qu’un ami a prise sur le bateau et vous pouvez voir le bonheur du soulagement dans les visages de tout le monde. Il n’y a pas de mots pour décrire ce que l’on ressent quand on réalise que c’est fini. C’était un voilier allemand, il était très petit, trop petit pour nous embarquer. Mais ils sont venus nous voir et nous ont demandé si nous pouvions parler anglais. Ils nous ont dit qu’ils appelleraient l’OCEAN VIKING, un grand bateau de sauvetage, pour qu’il vienne nous prendre à bord. Ils nous ont donné des vestes et des gilets de sauvetage, parce que le temps s’est durci et qu’il faisait trop froid.

Tard, quand il a fait nuit et qu’il a commencé à pleuvoir et que les vagues ont grossi, le petit bateau allemand nous a emmenés à OCEAN VIKING et ils nous ont embarqués. Il y avait déjà avec eux d’autres personnes qui avaient été secourues plus tôt dans la journée. Même les sauveteurs semblaient si heureux que nous soyons tous sains et saufs. Ils avaient des médecins à bord et ils nous ont soignés, parce que moi et l’amie enceinte avions beaucoup vomi. J’ai eu une forte réaction allergique sur la peau aussi parce que depuis les jours passés en mer, les problèmes de peau que j’avais en Libye étaient devenus très graves.

Sur l’OCEAN VIKING, nous avons aussi trouvé une femme enceinte, je crois qu’elle venait du Nigeria. Alors que les différents pays discutaient encore pour savoir qui devait nous accueillir, elle était sur le point d’accoucher. Finalement, elle a été amenée en hélicoptère à Malte. L’équipage a fait une annonce générale pour nous dire quand le bébé était né à Malte peu après son évacuation.

Nous sommes restés une semaine à bord de l’OCEAN VIKING alors que personne ne voulait nous accueillir. C’était difficile, mais c’était tellement mieux que ce que nous avions vécu auparavant. L’équipage était toujours avec nous et il a essayé de nous soutenir par tous les moyens possibles. Nous avions assez de nourriture. Nous avions un médecin chaque fois que nous nous sentions malades. Ils nous ont même donné des vêtements. Nous nous sentions les bienvenu-e-s.

Finalement, Lampedusa a décidé de nous prendre. Je peux vous dire à quel point c’est différent d’être avec des gens comme sur l’OCEAN VIKING ou d’arriver en Italie. Quand nous avons finalement quitté le bateau après avoir passé tant de temps en mer, nous n’avons pas été les bienvenus. Nous n’avons reçu de la nourriture qu’après avoir donné nos empreintes digitales et nous avons été amenés dans un endroit sale avec des fils barbelés. Je ne pouvais pas rester en Italie, la situation était si mauvaise. Aujourd’hui, je lutte en Allemagne contre le problème des empreintes digitales et contre mon expulsion vers l’Italie.

Je n’oublierai jamais ces bonnes gens sur la mer, sur ces bateaux, qui m’ont accueilli avant mon arrivée en Europe. Ils resteront dans ma mémoire. Peut-être, qui sait, les rencontrerai-je un jour quelque part. D’ici là, je veux les encourager à continuer ce qu’ils et elles font et je leur envoie toutes mes salutations.

Photo: Mediterranea

Solidarité avec la SAR
Lettre d’une militante de l’Alarm Phone à une femme extraordinaire du monde de SAR en janvier 2020

Les 5 derniers jours ont été fous, mon cher ami. Nous ne nous sommes jamais rencontrés, mais j’ai lu les histoires que vous écrivez à bord du bateau de sauvetage. 9 bateaux en détresse fuyant la Libye ont appelé l’Alarm Phone, et pour la première fois depuis longtemps, tous les bateaux qui ont contacté l’Alarm Phone depuis la Méditerranée centrale ont été secourus et transportés vers l’Europe, soit plus de 650 personnes en 5 jours. Ce n’était pas seulement une question de chance. Il s’agissait des efforts incroyables des personnes qui ont fait tout ce qu’elles pouvaient pour sauver ces bateaux, malgré les efforts des autorités européennes pour les laisser couler sans laisser de traces. Et ces efforts ont été déployés principalement par des femmes. Des femmes merveilleuses, féroces, gentilles et intrépides comme vous. Par le passé, j’avais surtout affaire à des hommes en mer et c’était difficile. Ces 5 jours ont été plutôt joyeux.

L., elle a traversé la Méditerranée de parts et d’autres, 3 fois en 72 heures, sans jamais dormir, juste en suivant les coordonnées GPS que nous avions reçues des personnes en détresse et que nous avions transmises aux autorités et aux bateaux de sauvetage. Après avoir envoyé un courriel, j’appelais le commandement à bord. Encore et encore, pendant 72 heures, j’appelais le commandement en lui disant : “L. ! Il y a un bateau en détresse encore et encore, vous devez être rapide”. Je n’ai jamais entendu de moment de malaise dans sa voix. Même sous cette pression, elle essayait de créer des petites fissures de douceur, d’amour, de solidarité, de rire. Quand j’entends sa voix au téléphone, disant “mon bateau va se diriger à toute vitesse vers la cible”, je l’imagine au volant de cet énorme bateau transportant 400 personnes, volant au-dessus de la mer comme s’il était en apesanteur. Je ne trouve pas les mots pour décrire l’amour et le respect que je ressens lorsque je lis ses e-mails aux autorités, défiant leurs ordres, se plaçant elle-même et “son bateau” contre les ordres donnés par un colonel des Forces armées de Malte ou par un commandant de la marine libyenne. Je pense qu’il n’y a pas de mots dans ce monde pour exprimer l’ampleur de certaines actions.

Au téléphone, nous disons aux gens en détresse qu’ils doivent rester forts et calmes, qu’ils doivent nous faire confiance, qu’ils ne peuvent pas abandonner. Nous leur disons “les secours arrivent pour toi mon ami, ne t’inquiète pas”. Mais à quoi bon quand on est en mer, perdu dans l’obscurité.

Puis Luisa et “son bateau” arrivent, le sauvetage, après des heures d’obscurité et d’incertitude. Après des heures où ils pensaient avoir été abandonnés par tous, et qu’ils avaient été oubliés dans cette mer trop grande, sur un bateau trop petit. Après tant d’heures d’épuisement, il y a une certaine magie dans le moment où l’on peut leur dire “faites de la lumière, avec un téléphone, n’utilisez pas de flammes – rendez vous visible”. Il y a de la magie dans les quelques mots prononcés par des voix brisées par la panique et l’excitation “nous voyons un bateau, il est rouge”, et dans les mots que nous recevons par e-mail du bateau de sauvetage disant “nous voyons une lumière intermittente venant de la mer, nous croyons que c’est le bateau en caoutchouc”. J’imagine cette petite lumière qui brille au-dessus d’une mer qui est un cimetière froid, sombre et liquide. Un signe de vie, de résistance, de lutte. Pas seulement de désespoir.

Puis le silence. En une seconde vous êtes le corps et la tête dans la mer Méditerranée, la suivante vous êtes en silence et vous vous rendez compte que des heures ont passé. De ce côté du téléphone, nous ne savons pas ce qui se passe dans ce silence. C’est un sentiment qui vous fait vous sentir complètement détaché de la réalité.

Au réveil, en lisant les histoires que vous écrivez sur ces sauvetages, mon cher ami, je pleure toujours. En lisant vos descriptions du sauvetage, en lisant les histoires des personnes qui étaient à bord, cela rend tout cela réel, cela remplit le vide de ces silences.

La lecture de vos histoires me fait penser à toutes les sorcières de la mer comme vous, comme Luisa, comme les femmes de l’Alarm Phone et les femmes qui traversent la Méditerranée, qui luttent sans relâche ensemble dans cette mer hostile. Les Morganes de la mer, les quelques petites lumières dans cette obscurité, des étincelles qui se reflètent dans les vagues, aussi magiques que des fées et aussi féroces que des sorcières.

Je ne peux m’empêcher d’être inspirée par toutes ces femmes, qui ne peuvent être arrêtées, contenues, apprivoisées. Alors oui, c’est un travail difficile pour nous toutes, et beaucoup de gens pensent que nous sommes folles en faisant ce travail, mais nous savons que ce n’est pas nous qui sommes folles, et que nous faisons partie d’une brigade de sorcières étonnantes qui croient que la vraie folie est de détourner le regard. Je vous remercie.

De la traversée de la mer Égée à la lutte pour les droits des femmes. Les femmes à Lesbos

Toutes les femmes contre Moria

La plupart des femmes ont déjà enduré de rudes épreuves avant même de monter dans un bateau pour traverser la Méditerranée. Mais le voyage est loin d’être terminé une fois qu’elles ont atteint le rivage. Beaucoup d’entre elles se retrouvent dans des camps de réfugié-e-s surpeuplés comme celui de Moria, sur l’île grecque de Lesbos, où les autorités sont submergées par le nombre et ne peuvent ou ne veulent pas répondre aux besoins les plus élémentaires comme l’eau potable, l’électricité, le logement, les soins médicaux et la sécurité. Il s’agit d’un environnement difficile où la règle du plus fort et la violence font partie de la vie quotidienne qui mène à une existence dictée par une peur constante.

Dans cet environnement rude, la solidarité est un outil de survie vital, en particulier pour les femmes.

Le 30 janvier 2020, environ 450 femmes et enfants se sont réunis à Mytilène, la capitale de Lesbos, pour protester contre les horribles conditions de vie dans le camp et l’augmentation dramatique de la violence, dont plusieurs coups de couteau mortels au cours des semaines précédentes. La manifestation était organisée par un groupe d’environ 15 femmes afghanes et leur but était d’attirer l’attention sur la situation désastreuse.

Ce fut un cri de désespoir ainsi qu’une manifestation puissante et forte de solidarité féminine: des femmes de tous âges et de différentes nationalités sont descendues dans la rue et ont bloqué la circulation pendant plusieurs heures.

“Toutes les femmes contre la Moria”, “Femmes solidaires”, “Moria est un enfer pour les femmes” et “Stop à toute violence contre les femmes” étaient inscrits sur certains des nombreux panneaux, tandis que la foule scandait “Assadi” (farsi : liberté) en levant les poings. Plusieurs femmes ont déclaré que c’était la première fois qu’elles participaient à une manifestation mais elles ont fait preuve d’une grande confiance lors des négociations avec la police ou lors des interviews. Une femme âgée afghane a expliqué qu’elle s’était concentrée toute sa vie sur les soins à sa famille mais que la situation infernale à Moria ne lui avait pas laissé d’autre choix que de se joindre à la manifestation.

De nombreuses femmes ont gardé leur visage caché derrière des hijabs, des écharpes volumineuses et des masques chirurgicaux pour dissimuler leur identité. Des rumeurs passees bien fondées avaient circulé. Selon elles l’engagement politique et les contacts avec la presse pouvaient entraîner une expulsion immédiate et une répression par les autorités grecques.

Tout ca pris en compte, 450 manifestantes, est un nombre étonnant. D’autant plus qu’il est difficile de se rendre de Moria à Mytilène, la capitale de l’île : il faut d’abord faire un arrêt de plusieurs heures pour pouvoir monter dans l’un des rares bus. Il a été rapporté que les chauffeurs de bus devaient repousser les gens avec des bâtons pour pouvoir fermer la porte. Et puis, les femmes, qui ont réussi à monter dans le bus, ont manque la distribution quotidienne de repas pour laquelle elles doivent également faire la queue.

Il a également été rapporté qu’un plus grand nombre de femmes ont été empêchées de quitter le camp pour se joindre à la manifestation.

Pas de dépliants, pas de groupe facebook, pas d’annonce officielle : Le mot d’une manifestation réservée aux femmes s’est répandue de bouches à oreilles. Le succès de la manifestation en a surpris plus d’un, notamment la police, qui s’est d’abord présentée avec seulement dix policiers anti-émeutes. Après la manifestation, 9 femmes volontaires ont été emmenées au poste de police, où leurs identités ont été vérifiées. La suspicion furtive: l’organisation de la manifestation des femmes. Les fonctionnaires semblaient incapables de saisir l’idée que les femmes de Moria pouvaient s’organiser efficacement. Leur rôle dans les camps est traditionnellement de calmer les agitations dominées par les hommes, plutôt que d’y participer ou même d’en être l’initiatrice. Mais les temps sont désespérés et de plus en plus de femmes découvrent leur voix politique et trouvent leur force dans la coopération féminine. En octobre de l’année dernière, une sit-in exclusivement féminin a eu lieu après la mort tragique d’une femme dans une explosion de gaz dans le camp. Les assemblées, les ateliers d’autonomisation, la mise en réseau et le soutien pratique sont des aspects moins visibles et pourtant essentiels de la politisation des femmes.

Photo: Alarm Phone

Des expériences de traversées et de vie à Moria

Cette année encore, avec l’augmentation des arrivées de personnes sur l’île et la non-réaction des autorités grecques et européennes, les conditions à Moria n’ont fait qu’empirer. Quand on parle avec les femmes qui y vivent, leur vie quotidienne signifie la peur, le manque de repos, les longues files d’attente, les attaques, les coupures de courant… mais aussi la solidarité entre elles, les stratégies de survie et la lutte pour pouvoir décider de leur propre vie.

Noora a quitté l’Iran : “Malheureusement, en Iran, les membres de ma famille n’ont pas de carte d’identité. Nous n’avons pas pu aller à l’école. Nous devions juste travailler. Ma sœur aînée et moi avons travaillé comme tailleurs dans un sous-sol. J’ai commencé à travailler à l’âge de 12 ans. J’ai une passion pour l’éducation. Finalement, cette année, ma sœur et moi avons décidé de partir. Finalement, mes parents ont accepté. Nous avons donc commencé notre voyage. Pendant notre voyage, nous avons traverse plusieurs difficultés. Nous sommes arrivées à Moria  le samedi, nous avons dormi deux nuits dans la rue car nous avons dû attendre jusqu’au lundi, date d’ouverture du bureau. Finalement, nous avons pu obtenir une tente”.

Marie et Esther sont arrivées sur l’île de Lesvos par bateau en décembre dernier, en provenance de Turquie. Toutes deux vivent aujourd’hui à Moria. Pour Esther, “chacune a sa propre façon de vivre et de supporter la traversée de la Méditerranée”. Elle a dû payer 450 USD à la personne qui a organisé la traversée et s’est fait dire : “Dans 4 jours, nous viendrons vous chercher à 23 heures à l’auberge”. Elle nous raconte son histoire : “…ils nous ont mis dans un pick-up couvert, on était nombreux et vraiment serrés les uns contre les autres. Quatre heures plus tard, nous sommes arrivés dans un endroit très sombre. Ils nous ont mis dans une maison abandonnée, sans eau ni nourriture, toute la journée jusqu’à 19 heures. Ensuite, nous avons marché pendant 5 heures dans les collines turques. Finalement, nous sommes arrivés sur le rivage. Ils ont gonflé le canot devant nous. Nous sommes partis vers minuit. Une heure et demie plus tard, les gardes-côtes turcs nous ont arrêtés en mer et nous ont ramenés en Turquie. Nous étions 29 personnes à bord. Quand ils nous ont relâchés, nous sommes retournés à Izmir. Je n’avais plus de force. Les passeurs m’ont dit : “Tu dois partir. Deux jours plus tard, nous avons réessayé. Le même groupe, de la même façon. 5 heures de marche à nouveau. Et encore une fois, nous n’avons pas pu atteindre la Grèce. Les gros bateaux se sont approchés du bateau pour faire de grosses vagues et ils nous criaient de partir et de retourner en Turquie. Cette fois, nous avons passé une semaine au poste de police. La troisième fois, nous sommes arrivés dans les eaux grecques et nous avons appelé les garde-côtes grecs, qui sont venus nous chercher. Mais nous avons dû jeter nos affaires personnelles, le bateau se remplissait d’eau. C’était un grand désordre à bord, aucune organisation. Après les avoir appelés pour la première fois, nous avons quand même attendu trois heures qu’ils viennent nous chercher”.

Marie a expliqué que “la peur vient quand on est en mer”. Vous ne saviez pas qui était votre voisin, mais vous lui teniez la main. Nous avons commencé à prier. En pleine mer, l’eau rentrait dans le bateau. Chacun appelait Dieu à sa manière. Je ne voulais pas aller sur le bateau, mais ils m’ont poussé. Les enfants étaient au milieu. Moi aussi. J’ai fermé les yeux. Nous avons débarqué sans police, seulement des pêcheurs. Il pleuvait. J’étais mouillée et nous avons dû attendre 15 minutes de plus pour le bus. Ce qui nous a redonné espoir, c’est cette femme, qui nous a donné des chips et qui a envoyé ses enfants nous saluer. Cela nous a rendu humains. Ils nous ont laissé dans le bus jusqu’au matin sans rien nous donner”.

Esther nous a décrit la situation après l’enregistrement : “Je n’avais pas de tente pour dormir. Je dormais de tente en tente. Ils vous jettent hors de la tente quand vous toussez trop. Le peu que nous avons, ils nous le volaient. J’avais peur d’être poignardée, surtout pendant la nuit et ils le faisaient juste pour le téléphone. Et le pire, c’est que les autorités ne nous laissent pas quitter l’île”.

Photo: Anonymous

Toute votre vie se résume à faire la queue

Pour les réfugié-e-s, les files d’attente représentent une grande partie de leur vie quotidienne et sociale. Alors qu’avec Marie nous discutions et partagions un peu de thé, Marie a dû nous quitter pour faire la queue afin d’obtenir de la nourriture. C’est très souvent qu’elles doivent manquer un atelier, un cours, un engagement, un rassemblement d’ami-e-s pour aller faire la queue pour un besoin de base. Parfois, il se fait tard, les gens doivent retourner dans leurs tentes à Moria, même s’ils n’ont pas reçu ce pour quoi ils ont fait la queue toute la journée. Et la journée est terminée. C’est ce qu’Esther nous a dit : “Le matin, quand vous vous réveillez, la première chose que vous devez faire, c’est faire la queue. Nous faisons la queue pour chaque besoin de base. Pour faire pipi, nous utilisons des seaux car les toilettes sont trop éloignées et nous devons faire la queue pour cela. C’est infernal d’attendre et le ventre brûle. Surtout la nuit, les toilettes sont trop loin pour qu’on puisse les atteindre. Et les toilettes sont sales, donc on attrape facilement des démangeaisons, et pour calmer les démangeaisons, l’hôpital de Moria vous donne du paracétamol… Prendre une douche, c’est la même chose. Vous attendez dans le froid, et parfois quand vous arrivez, la douche est bouchée”. Marie a ajouté : “Vous devez faire la queue, mais vous savez que quelqu’un peut venir vous poignarder pour votre téléphone. C’est arrivé plusieurs fois depuis que je suis ici et des gens sont morts. J’ai peur quand je dois faire la queue. Une fois aussi, ils n’ont pas nettoyé le sol et nous avons dû faire la queue sur le sang d’un type qui avait été poignardé. J’avais tellement peur, c’était horrible”.

Noora a également décrit la situation dans une lettre : “Quand vous vous levez, vous devez faire la queue pour le petit déjeuner, le déjeuner, le dîner, les toilettes, la douche : pour tout ! Vous attendez environ 2,5 heures dans chaque file. Toute votre vie est dans une file d’attente. Nous n’avons que deux lieux pour les visites medicales. Ce n’est pas suffisant pour des milliers de personnes. Encore une fois, vous devez faire la queue. Seules les personnes qui y vont à 4 heures du matin ont la possibilité d’être examinées. Si vous avez un rhume, faire la queue dehors, c’est mauvais. Cela va s’aggraver. Si vous avez mal à la tête, un rhume, une grippe ou une douleur dans le dos ou dans la jambe : peu importe, les médecins vous donnent simplement des analgésiques et vous disent de boire de l’eau”.

Taiba, une jeune afghane mineure, qui vit dans la jungle de Moria avec sa famille, a écrit ce qui suit dans une lettre : “Il y a des toilettes, mais la nuit, c’est très difficile d’aller aux toilettes parce qu’il faut traverser un petit pont et on ne voit rien parce qu’il n’y a pas de lumière. J’ai moins de 18 ans et ils ne me donnent pas de nourriture parce que ma mère n’est pas là et quand mon père est tombé malade, j’ai eu la tâche d’aller chercher la nourriture mais je ne l’ai pas eue parce que je suis mineure. La vie ici est si dure : laver les vêtements, s’occuper de ma petite sœur, de mon frère et de mon père. C’est si dur pour moi. Ma mère me manque”.

Vivre à Moria, c’est comme vivre en prison. Vous vivez constamment dans la peur. “Avec l’inactivité, les gens deviennent fous. Vous allez passer 6 mois ici sans vous en rendre compte”. Vous n’avez rien à faire, rien que vous puissiez faire pour faire partie de la société civile. Les queues déshumanisent. Les gens deviennent un billet, une assiette, une bouteille de lait, un croissant ou un sac de vêtements”, explique Esther.

L’auto-organisation et la stratégie quotidienne

Pour Marie, la solidarité est importante : “Nous devons aussi nous accepter les uns les autres et accepter la situation. Je ne peux pas manger trop tard, mais quand l’électricité revient à 2 heures du matin, je ne peux pas empêcher les autres de parler, de manger et de cuisiner. Alors, je mets mes écouteurs et je me couvre les yeux. En tout cas, je ne dors pas bien. Je refuse de prendre les médicaments qu’on me donne pour dormir, parce qu’on sait que les garçons passent la nuit dans les ruelles. Avec les murs de toile des tentes, on sent les gens qui passent près de nous et de notre tête, et je veux être éveillée au cas où quelque chose arriverait. Pour manger des aliments chauds et cuits, elles devaient préparer la nourriture avant que l’électricité ne revienne. La dernière fois, elles ont mis les pommes de terre dans la poêle et tout était prêt, mais elles n’ont eu que 10 minutes d’électricité. Elles ont donc dû attendre, mais quand le courant est revenu, la nourriture n’était plus bonne. Comme elles avaient faim, elles ont ajouté du lait. Je ne sais pas comment elles ont mangé ca”.

Marie continue : “Dans ma tente, nous sommes 7 personnes plus une petite fille. Nous dormons par terre et chacune met ses affaires autour de son lieu de couchage. Nous gardons le milieu de la tente pour cuisiner et nous asseoir pour manger. Il est important de faire preuve de solidarité, alors j’ai dit aux femmes que nous devions nous protéger les unes les autres et lorsque l’une d’entre nous doit faire la queue tôt le matin, certaines d’entre nous l’accompagnent jusqu’à ce que le jour se lève. Aussi, les femmes de ma tente dansent et chantent, font des tresses et trouvent le temps de faire ce qu’elles veulent, et cela me renforce”.

Esther a parlé de la solidarité pour la nourriture : “La nourriture à Moria est dégoûtante et vous donne la diarrhée, et après vous devez faire la queue pour aller aux toilettes.  Imaginez un peu ! Nous collectons de l’argent, environ un euro par personne, et nous le donnons à la personne qui fait la cuisine du jour. Chaque jour, c’est une nouvelle personne”.

Lorsque les femmes traversent la mer, elles ont souvent des expériences différentes de celles des hommes et sont exposées à un plus grand danger. En outre, au cours des autres étapes du voyage, qui sont de toute façon assez difficiles et pénibles, elles sont confrontées à des difficultés supplémentaires en raison de la discrimination sexuelle. Être en déplacement est une situation difficile, mais être en déplacement et être une femme vous met dans une position encore plus vulnérable.

Sur l’île de Lesbos, un nombre croissant de personnes sont contraintes de rester parce qu’elles ne sont pas autorisées à quitter l’île (avec l’accord UE-Turquie, les réfugié-e-s sont censé-e-s rester sur l’île tout le temps de leur procédure d’asile). En outre, les femmes de Lesbos avec lesquelles nous nous sommes entretenues nous ont fait part de problèmes spécifiques liés à la discrimination sexuelle et au racisme:

Les femmes à qui nous avons parlé parlent du racisme à l’égard des Noirs dans le hotspot, mais aussi dans la ville. Une femme a donné comme exemple que dans un supermarché, chaque fois qu’une personne noire entre, un garde la suit partout.

Elle nous a également dit que les femmes noires se voient souvent proposer de l’argent dans la rue pour des services sexuels. La prostitution est sans aucun doute très répandue, mais il n’existe pas d’informations ou de données publiques sur ce côté invisible de la situation insupportable qui règne sur l’île. Il est cependant clair que les trafiquants d’êtres humains profitent de la situation surpeuplée et dangereuse de la Moria et que des gens font des business avec des femmes et des enfants. Et comme l’administration est débordée, les gens peuvent attendre jusqu’à trois mois pour être enregistrés et pour pouvoir bénéficier du “programme d’argent liquide pour les réfugiés”. Trois mois sans argent.

Au moment où nous rédigeons ce rapport et quelques semaines avant la journée internationale de la femme, cinq femmes sont envoyées dans différents postes de police de Lesbos. Elles ont été arrêtées après avoir tenté de quitter l’île sans papiers. Elles ont été arrêtées dans le cadre d’un projet pilote pour voir si cette idée de nouvelle loi peut être mise en œuvre : La nouvelle loi indique qu’une personne qui a été arrêtée doit rester en détention jusqu’à la fin de la demande d’asile. Cela signifie que tous les demandeurs et demadeuses d’asile, qui peuvent être arrêté-e-s pour quelque raison que ce soit, devront attendre en détention.

Dans le contact quotidien avec les femmes vivant à Moria, vous pouvez voir comment la solidarité commence avec les besoins de base quotidiens et se poursuit avec la fourniture d’un soutien psychosocial humain dans l’idee de protéger la sécurité et les droits de chacune dans les situations difficiles auxquelles elles sont confrontées chaque jour.

Les personnes LGBTQI+ en mouvement

Nous ne voulons pas négliger les différentes expériences de discrimination et les besoins des personnes LGBTQI+ et des femmes, mais si l’on considère que ce rapport traite de la discrimination et de la violence fondées sur le genre, la situation des personnes LGBTQI+ en déplacement doit également être mentionnée ici.

Ce rapport utilise l’acronyme LGBTQI+ : il est utilisé pour désigner les personnes qui s’identifient comme lesbiennes (L), gays (G), bisexuels (B), trans (T), intersexuels (I), queer (Q) et + pour toutes les différentes expressions et relations intimes avec l’identité de (non) genre et la définition sexuelle : non binaire, asexuée, aromatique, etc.

Une situation qui est souvent encore plus difficile car ils-elles ne peuvent pas toujours compter sur les réseaux communautaires nationaux de solidarité en raison de leur homosexualité ou de leur identité de genre. Et même lorsque ceux-ci sont mobilisés, c’est souvent au prix de précautions importantes pour ne pas être identifié-e-s comme LGBTQI+. Les camps et la vie collective des personnes LGBTQI+ avec d’autres demandeurs d’asile non LGBTQI+ dans les logements prevus pour l’asile peut susciter des inquiétudes quant à une éventuelle divulgation (de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre). C’est notamment le cas des personnes trans dans les centres d’hébergement qui se retrouvent dans des logements non mixtes ne correspondant pas à leur identité de genre. En effet, la plupart du temps, les autorités font une fausse déclaration sur le sexe des personnes trans, en utilisant la mention du sexe qui est écrite sur les papiers. Ensuite, lorsqu’il s’agit de la demande d’asile, les personnes LGBTQI+ craignent que des informations sur leur orientation sexuelle ou leur identité de genre commencent à circuler au sein des communautés. Cela engendre beaucoup d’hésitations sur ce qu’il faut dire devant le tribunal, provoque des chagrins et des craintes car une grande partie des personnes LGBTQI+ fait particulièrement attention à ne pas révéler les raisons de leur présence en Europe.

Du point de vue du travail en équipe d’Alarm Phone, il est difficile d’écrire sur les personnes LGBTQI+ en mouvement dans les situations de traversée en mer, parce que bien sûr les gens essaient aussi de cacher leur identité dans des situations comme celle d’être sur un bateau, parce que c’est un risque de discrimination et que la violence est très élevée.

Il est également difficile de fournir une analyse générale sur les personnes en déplacement car les connaissances sont partielles, les statistiques sont souvent binaires et les personnes queer ne sont pas mentionnées.

Lesvos LGBTQI+ solidarité avec les réfugiés

Ceci est tiré d’un texte qui a été publié par les membres du groupe en 2019

Alors qu’un autre hiver meurtrier s’installe, le camp de prisonniers de Moria à Lesvos est surchargé par milliers et se remplit de plus en plus chaque jour. Dans ces conditions, les réfugié-e-s LGBTQI+ sont particulièrement exposés aux risques d’exposition, de violence et de mort.

L’homosexualité étant toujours illégale dans 72 pays, il est évident que de nombreuses personnes LGBTQI+ sont devenues des réfugié-e-s. Beaucoup d’entre nous ont fui leur pays parce qu’ils-elles devaient cacher leur identité sexuelle. Lorsque nous arrivons sur Lesvos, esperant y être en  sécurité, nous sommes choqué-e-s de constater que les mêmes problèmes continuent pour nous ici. Le harcèlement homophobe et les attaques violentes sont fréquents et sévères : de part les autres résidents ainsi que de part la police et des gardiens du camp.

Nous connaissons des personnes LGBTQI+ qui ont été battues et même hospitalisées lors d’attaques homophobes et transphobes. Toutes ont dû réprimer leur identité, vivant tous les jours au sein de communautés qui reproduisent la persécution qu’elles mêmes ont subie au départ.

“Quand j’étais dans le bateau, un beau cri est venu. Nous commençons une nouvelle vie. Nous jetions tous nos problèmes à la mer. Je n’avais pas peur. J’ai juste lu le Coran et j’ai pleuré. Je me suis assis dans le bateau, ma main était dans la mer le long du chemin.”

“J’ai quitté le Maroc parce que pendant 30 ans j’ai été insulté, persécuté et battu par la communauté, la police et ma famille, mais à Lesvos j’ai trouvé la même chose”.

„ Dans les premiers temps à Moria, j’ai été systématiquement violée. J’ai déjà vu les conditions les plus difficiles, mais je n’ai jamais vu un endroit aussi horrible”.

„ Ces gens vous regardent comme si vous étiez un déchet. Comme si tu sentais. Dans la rue, dans le bus. Je ne sais pas comment expliquer ça. Même quand tu es dans la rue, tu as honte, comme si tu avais de la merde sur toi”

“Si on ne peut pas s’habiller comme on veut, si on ne peut pas se maquiller, pourquoi venir en Europe ?

“Et ensemble, nous changerons le monde, afin que les gens n’aient plus jamais à sortir de chez eux !”

Nous n’avons pas fui nos maisons pour continuer à nous cacher et à vivre dans la peur. Nous ne nous laisserons pas réduire au silence. Nous ne nous laisserons pas ignorer. Nous le crierons sur les toits : nous sommes gays, nous sommes lesbiennes, nous sommes des femmes, nous sommes des hommes. Nous sommes ici. Nous sommes tous des migrant-e-s. Nous voulons notre liberté, nous n’attendrons pas qu’on nous la donne. Nous demandons à ceux qui peuvent nous entendre de se battre à nos côtés, où que vous soyez.

La solidarité homosexuelle fait sauter les frontières!

 

*noms partiellement changés dans le rapport