Analyse régionale, méditerranée occidentale

Photo: Reduan MJ

« Je croyais que la frontière était une ligne, mais c’était beaucoup plus qu’une ligne : ce sont les bandits, les flics, les militaires, les chiens, les barrières, les moto-mafia, les armes. Mais c’est aussi la peur, le cœur qui palpite, le corps qui tremble, les yeux qui se ferment, la voix qui se brise. En ces instants, votre corps est à la merci de tout, absolument tout. » [1]

Introduction

Ces paroles de F.S., récemment publiées dans le rapport “life at the necrofrontier” du collectif caminando fronteras, réfutent de manière profonde et explicite tout discours sur la gestion rationnelle et bureaucratique des frontières par l’UE et ses partenaires. Elles font des pieds de nez aux négociations politiques sur les frontières et leur protection.

En Méditerranée occidentale, les équipes locales d’Alarmphone sont témoins directs des répercussions du régime frontalier sur ceux qui, comme F.S., sont directement confrontés à la “politique de migration” de l’UE. Nous assistons aux luttes quotidiennes et aux réalités violentes des personnes en transit. Il n’est pas facile de garder son calme en suivant les discussions politiques abstraites sur la gestion des frontières, sur la manière de “mieux contenir les flux migratoires irréguliers”, tout en étant personnellement témoin du sens véritable de ces phrases insipides. Nous avons des ami·es et des camarades qui sont rabaissé·es à des chiffres et à des objets de négociation et qui finissent par tomber dans l’oubli à travers ces discours. Ces flux sont en réalité des êtres vivant·es jusqu’au jour où elles·ils sont assassiné·es par les mesures utilisées pour les contenir. Il n’est non plus pas facile de suivre les mesures proposées pour réduire les moyens de sauvetage en mer[2] une fois que vous avez été au téléphone avec des personnes en détresse en mer alors qu’il n’y a “aucun moyen de sauvetage à proximité”.

Dans l’analyse régionale de la méditerranée occidentale, nous tentons de documenter la situation des personnes en mouvement à travers le Maroc et de relier les luttes quotidiennes au contexte politique plus large et à ses développements. Nous essayons de mieux faire comprendre la réalité de l’externalisation des frontières de l’UE à travers sa collaboration avec le royaume du Maroc et le rôle crucial de ce dernier dans la fermeture de la route migratoire de la méditerranée occidentale.

Vivre, témoigner et documenter la violence et la répression en cours tout en lisant qu’environ 30 millions d’euros supplémentaires[3] iront d’Espagne au Maroc ne peut que nous mettre en colère. Cet argent financera des crimes, des attaques violentes et des interceptions de personnes suffisamment désespérées pour risquer le dangereux voyage à travers la mer. Les mêmes forces marocaines que l’Espagne et l’UE soutiennent, volent les biens des gens, leurs téléphones et avec eux la plupart des possibilités de communication. Ils détruisent des maisons entières. Ami·es et familles, unités de soutien cruciales dans ces situations précaires, sont déchirées par les arrestations et les refoulements. Cela doit être porté à la connaissance du public. Il est choquant de constater qu’en Europe occidentale, la couverture médiatique de la migration via le Maroc reste étonnamment faible.

Ce rapport couvre les développements politiques, les incidents exemplaires et les réponses militantes en méditerranée occidentale de juin à juillet 2019. Il inclut des informations provenant des médias, des données officielles et des communiqués de presse ainsi que des rapports d’ONG et des déclarations de militant·es. Ce rapport est cependant avant tout basé sur des témoignages et des signalements de personnes qui sont bloquées en transit dans tout le Maroc. 

Traversées maritimes en juin/juillet : augmentation du nombre des traversées en mer

Le nombre de passages frontaliers réussis vers l’Espagne (frontières maritimes et terrestres) a de nouveau augmenté en juin (2 823 boza[4]) et plus encore durant le mois de juillet (3 262 boza)[5]. L’Alarmphone a reçu 18 appels de détresse en méditerranée occidentale pendant la période considérée dans ce rapport. 5 bateaux ont finalement été secourus par Salvamento Maritimo, l’organisation espagnole de sauvetage, et13 bateaux ont été interceptés par la marine royale marocaine[6]. Tout comme les derniers mois de l’année 2019, la proportion des interceptions reste significative. Cependant, la plupart des groupes sont interceptés alors qu’ils sont encore sur terre. Les forces auxiliaires marocaines parviennent à arrêter les voyageurs dans les forêts alors qu’ils tentent d’atteindre la côte.

Salvamento Maritimo a cessé de patrouiller de manière proactive dans le détroit de Gibraltar ou la mer d’Alboran et a tendance à alerter la marine royale marocaine lorsqu’elle repère un bateau. Par conséquent, Les bateaux sont moins susceptibles d’atteindre l’Espagne. La route de la méditerranée occidentale n’est plus la route maritime la plus prometteuse vers l’Europe. Avec 16 391 arrivées entre le 1er janvier et 29 juillet 2019, c’est la deuxième route la plus réussie, après la traversée à partir de la mer Egée vers la Grèce (23 471 arrivées). Néanmoins, comme chaque individu a tendance à tenter plusieurs fois de traverser la frontière et compte tenu du nombre presque aussi élevé d’interceptions, nous estimons, qu’il s’agit en fait de la route la plus tentée. 

Route fatale : traversées vers les îles Canaries

La traversée vers les îles Canaries est de plus en plus fréquentée avec 455 personnes arrivées entre le 1er janvier et 30 juin 2019[7]. Cependant, elle reste aussi l’une des routes les plus dangereuses, du fait de la distance qui sépare le Maroc, le Sahara occidental et même le Sénégal des îles espagnoles. Celle-ci est qui est dangereusement importante, dans un océan atlantique très agité et où l’on trouve de grandes zones de pêche à proximité des points de départ du littoral. Nous avons également été témoins de nombreuses personnes qui n’ont pas atteint ces îles vivantes. La plupart des victimes sont simplement enterrées au large. Nombre d’entre elles ne sont toujours pas identifiées. Parfois, avec beaucoup de travail acharné, des organisations comme CEAR[8] sont en mesure d’offrir un enterrement digne. Ce fût le cas de Sephora, âgée de 13 mois. Sephora et les autres voyageuses·rs se sont trouvé·es en mer pendant 4 jours, lorsqu’elle a été enlevée à sa mère par l’océan dans un naufrage le 16 mai dernier[9]. Son petit corps sans vie a échoué sur le rivage d’une plage voisine le lendemain et a été enterré le 6 juin.

La radio et chaine d’information espagnole Cadena Ser[10] a enquêté sur les détails de ce tragique voyage. Il y avait un total de 31 personnes, dont 4 enfants. Selon le rapport, les femmes avaient tenté d’interrompre le trajet après avoir vu l’état du canot pneumatique, mais elles avaient été contraintes de monter à bord du bateau. Pendant le voyage, elles ont du endurer des violences sexuelles et, selon les enquêteurs nommés par le tribunal, leurs gilets de sauvetage étaient des contrefaçons. Une femme qui avait déjà atteint la plage, s’est noyée alors qu’elle tentait de retourner à la nage vers le canot pneumatique à la recherche de sa fille de 8 ans. Sa fille a survécu, mais le corps de la femme a été retrouvé quelques heures plus tard, à 4 miles de la tragédie.

D’autres épaves et odyssées restent invisibles et les histoires sont méconnues. le 28 juin, la marine marocaine a trouvé 6 cadavres au zénith de Sidi Ifni, au sud de Tiznit, flottant dans l’eau, dont une mère avec son nouveau-né[11]. Ils faisaient probablement partie du naufrage des 39 personnes qui a eu lieu le 26 juillet dernier.[12]Plusieurs personnes ont appelé Alarmphone pendant la dernière semaine de juillet pour essayer de trouver des nouvelles d’ami·es et de proches parti·es en partance de Dakhla ou Laayoune vers les Canaries. Nous n’avons pas pu savoir si ces bateaux avaient été interceptés ou s’ils sont arrivés. Les personnes qui sont à la recherche de leurs ami·es et familles n’ont pas encore pu entrer en contact avec qui que ce soit à bord. Le groupe pourrait être une autre victime de la frontière européenne, perdu dans la mer.

La “nécro frontière”[13] – une frontière de tragédies invisibilisées

Selon “life in the necrofrontier” de Caminando Fronteras[14], au moins 1020 personnes sont mortes ou ont disparu dans la zone frontalière de la méditerranée occidentale en 2018 et au premier trimestre 2019. L’ONG a recensé 70 naufrages et 12 bateaux manquants sur les trois routes vers l’Espagne (vers les îles Canaries, via le détroit de Gibraltar et via la mer d’Alboran). Environ 79% des victimes ne sont pas enregistrées comme mortes, mais comme disparues, une distinction fondamentale pour les familles et les communautés qui n’ont pas de corps à enterrer et de tombes où pleurer. De plus, “l’absence[de preuves] invisibilise l’histoire de la violence qui a conduit à la disparition[des disparus]”,, affirme Caminando Fronteras. Pour le comité international de la Croix-Rouge également, “les personnes disparues devraient être présumées vivantes jusqu’à ce que leur sort soit déterminé”, et elles ont le droit d’être recherchées par les autorités compétentes et d’avoir les circonstances de leur disparition examinées[15].

La plupart des cadavres ont échoué sur le rivage dans le détroit de Gibraltar ou ont été retrouvés par la marine royale. A Tanger, selon un rapport de la plateforme nationale de protection des migrants (PNPM)[16], environ 98% ne sont jamais identifiés. Les familles ne peuvent pas être informées du sort de leurs proches. Cela signifie non seulement que les familles et les ami·es attendent désespérément pendant des années un appel téléphonique au sujet de leur disparu·e qui est présumé·e encore coincé quelque part en transit, mais l’absence de confirmation de décès entrave également les funérailles et la “clôture”, si le terme peut être appliqué, pour celles et ceux qui ne perdent jamais espoir. De plus, sans certificat de décès, le remariage reste impossible, de même que la redistribution des terres entre frères et sœurs, le versement des héritages, etc. Dans son fameux “pacte de Marrakech”, les Nations-Unies imposent l’objectif suivant aux Etats signataires : “de tout mettre en œuvre pour identifier et rapatrier les corps des migrants décédés dans leur pays d’origine, dans le respect des souhaits des familles endeuillées “. Le Maroc a signé, mais il est loin de remplir cette obligation[17].

La tragédie du 19 juillet est un exemple frappant des conséquences meurtrières de la politique espagnole, qui consiste à se retirer davantage de l’engagement dans les opérations de sauvetage en mer. Ce jour-la, 22 personnes ont perdu la vie, en partie à cause des restrictions politiques imposées à salvamento maritimo (SM) en matière de sauvetage en mer dans la mer d’Alboran. Caminando Fronteras avait alerté SM du bateau en détresse, mais l’organisation espagnole de sauvetage n’a activé que l’assistance aérienne (1 avion des forces aériennes et 2 de frontex). Deux autres navires se trouvaient à proximité, le Clara Compoamor et le Rio Mino de la guardia civil (la nouvelle agence en charge du SM). Les deux navires n’ont pas patrouillé en dehors de la zone de responsabilité espagnole. Ce n’est que le lendemain qu’un navire privé a détecté le canot pneumatique. 27 personnes étaient encore à bord, dont une fille, mais 22 personnes étaient déjà tombées à l’eau et avaient disparu. Ce n’est qu’a ce moment-la que la SM s’est engagée. 6 personnes ont du être transportées par hélicoptère vers un hôpital d’Almeria. Les autres personnes survivantes ont été récupérées par un navire de sauvetage. La marine royale s’est révélée être un partenaire peu fiable dans d’innombrables opérations SAR[18]. Cette tragédie aurait pu être évitée si les équipes de salvamento maritimo s’étaient engagées dans une recherche des environs plus larges (comme elles l’ont encore fait en été 2018), au lieu de laisser cette responsabilité à la marine marocaine. 

Refoulements en cours – nouvelle destination : Azilal et la no man’s land mauritanienne

Le 30 mai, les autorités de la coalition gouvernementale de Tiznit, composée du PJD[19], du PPS[20] et du RNI[21], ont exprimé leur position concernant les subsaharien·nes refoulé·es dans un communiqué conjoint. N’essayant même pas de dissimuler leur approche raciste, elles ont critiqué le ” débarquement des africains ” et ” l’inondation de la ville de Tiznit par de nombreux phénomènes sociaux “, faisant référence aux migrant·es subsaharien·nes, au grand désarroi des populations et leur droit à vivre en sécurité et dignité[22]. Ce qui est vrai dans leur communiqué est le fait qu’il n’y a aucune facilité prévue pour accueillir les migrant·es et quasi aucune opportunité de travail pour celles et ceux qui sont pris au piège à Tiznit, jusqu’à ce qu’elles/ils puissent payer un billet pour revenir vers le nord en bus. Par conséquent, les gens doivent compter sur la mendicité pour survivre. Elles/Ils doivent utiliser les toilettes du café autour du camp de fortune de la gare routière pour leurs besoins de base, pour trouver de l’eau ou pour recharger leur téléphone.

Ce qui n’est pas clair, c’est le lien entre les protestations des officiels de Tiznit contre le fait d’être le principal lieu de ‘dépose’ des personnes détenues, et le léger changement de destination des refoulement vers les lieux plus au sud. Le 26 juin, 200 voyageur·ses ont été expulsé·es vers Azilal, une province de montagne dans le Haut-Atlas. C’est beaucoup plus difficile pour les gens qui y sont relâchés car il n’est pas simple de marcher ou d’orgnaiser son transport pour repartir vers le nord.

Il n’est pas clair comment le léger déplacement des destinations vers lesquelles les gens sont repoussés vers des endroits encore plus au sud est lié a la protestation des responsables de Tiznit contre le fait qu’il s’agit du principal ” dépôt ” des personnes détenues. Le 26 juin, 200 migrants ont été expulsés vers Azilal, une province montagneuse du haut Atlas. Il est beaucoup plus difficile pour les gens d’y être déposés, au lieu de Tiznit, car il n’est pas facile de marcher ou d’organiser le transport vers le nord.

On reçoit également de plus en plus d’informations sur des personnes expulsées vers le No Man’s land entre la Mauritanie et le Maroc, une zone désertique de plusieurs kilomètres carrés. C’est aussi un champ de mines puisqu’il se trouve dans la région en conflit dans la zone de guerre entre le front Polisario et l’Etat marocain. Le 15 juillet, un groupe de voyageurs subsahariens aurait tenté d’atteindre la côte autour d’Achakkar pour tenter de ramer vers l’Espagne. Ils ont contacté Alarmphone quelques jours plus tard, expliquant qu’ils avaient déjà été attaqués dans les bois par des “clochards”[23], qui ont violé la seule femme du groupe et volé toutes leurs ressources et leurs affaires personnelles. Ils ont ensuite été remis a l’armée et emmenés dans une cellule de prison où ils ont du rester 3 nuits avant d’être déportés à Tiznit. Dans la prison de Tiznit, la jeune fille a été violée à nouveau. Plus tard ils ont été emmenés plus au sud et abandonnés quelque part dans le désert de la Mauritanie. Ils ont marché pendant plusieurs heures jusqu’à ce qu’un camion les récupère et les ramène au Maroc, les déposant à Tiznit.

Les arrestations et les expulsions ne diminuent pas. A Tanger Medina, les personnes noires, avec ou sans statut légal, sont encore régulièrement arrêtées. Mais ce ne sont pas seulement les arrestations arbitraires, ou plus exactement les arrestations racistes dans les rues, qui se poursuivent, mais aussi les opérations à grande échelle qui ne cessent jamais. Les opérations du 12 juillet en sont un exemple. Des contacts locaux nous ont informés que des descentes ont eu lieu toute la nuit dans des maisons du quartier résidentiel de Mesnana/Tanger. Les raids systématiques se déroulent désormais dans des villes qui n’étaient pas ciblées auparavant par les autorités. Le 6 juillet, des opérations de police de grande envergure ont eu lieu dans la ville de Berkane, qui était auparavant calme. Nous avons reçu des messages à 5 heures du matin pour nous avertir des descentes de police et des arrestations des subsahariens dans plusieurs rues. 15 personnes ont été arrêtées pour l’arrestation d’un présumé trafiquant à Nador[24]. Les rafles se sont poursuivies au cours des jours qui ont suivi, de nombreux·ses autres subsaharien·nes ont été arrêté·es et la plupart ont été chassé·es vers le sud. Il y avait un camarade d’Alarmphone parmi eux. Certain·es sont toujours en garde à vue. Il n’y a pas encore d’accusations, ni d’informations quant à la durée de leur détention.

Des agressions racistes et violentes

Le 3 juin, un groupe de personnes noires a été violemment attaqué et poignardé par les “clochards”, un groupe de criminels, à Tanger. Des photos de visages et de corps tachés de sang ont circulé sur les réseaux sociaux et l’association marocaine des droits humains AMDH a dénoncé cet incident bien trop typique sur leur page facebook : “en voyant les violations commises chaque jour par les autorités marocaines contre les migrants subsahariens, ces bandes criminelles considèrent les migrants comme une proie facile : ils ne peuvent déposer plainte car ils seront arrêtés et déportés et même si la plainte est déposée, elle n’est jamais prise au sérieux “[25]. Un jour auparavant, l’AMDH avait dénoncé dans son rapport le cas de deux femmes subsahariennes qui ont été enlevées à Nador et seulement libérées après que leur famille, ait payé une somme de €250. Omar Naji, président de l’AMDH Nador, résume la situation en ces termes : “cela devient très dangereux et nous tenons les autorités marocaines pour responsables de ne pas avoir fait le nécessaire pour arrêter ces bandes criminelles, d’autant plus que ces attaques ont augmenté ces derniers jours”. “Elles [les autorités] ne garantissent pas aux migrants, quel que soit leur statut, le droit de porter plainte lorsqu’ils sont victimes d’agression”[26].

Ces rapports d’attaques violentes sont tout simplement un exemple parmi d’autres ; des incidents continuent de se produire, non seulement dans les zones frontalières, mais aussi dans des villes au sud comme celle de Tiznit, où un jeune homme a été égorgé le 17 juin, qui a à peine survécu. Souvent des groupes de “clochards” en seraient les auteurs, comme le 10 juillet, quand des agressions par couteaux par un groupe d’hommes ont blessé plusieurs jeunes subsahariens à Mesnana / Tanger.

Photo de gauche : envoyé à AP par la personne photographiée; photo de droite : envoyé à ap par une personne contact

Il est clair que ces incidents ont un caractère raciste ou sont incités par la police comme politique de dissuasion.

Plusieurs agressions racistes ont eu lieu à Ceuta. Il s’agit notamment des menaces, agressions et vols violents envers les enfants qui vivent dans le port ou des migrants inscrits au CETI[27]. Trois habitants de Ceuta adultes et trois mineurs ont été arrêtés dans ce contexte. Les trois adultes comparaîtront devant le tribunal le 25 juillet[28] ce n’est pas la première fois que des mineurs rapportent que des hommes adultes les ont battus ou menacés dans le port de Ceuta.

Incendie et expulsion du camp d’Ouled Ziane, Casablanca

L’expulsion des camps de fortune s’est poursuivie en juillet avec la destruction d’un des derniers grands camps, le camp d’Ouled Ziane à Casablanca. Le camp existait depuis décembre 2016[29]. Un immense incendie a ravagé le camp le 30 juin. De nombreuses personnes ont été hospitalisées et toutes les structures du camp ont été brûlées. C’était la quatrième fois en un an que le camp brûlait[30]. Il n’est pas facile d’éteindre les flammes en expansion rapide dans un camp de fortune. La situation dans ces conditions précaires étant tendue, les affrontements violents dans le camp étaient fréquents. L’un d’eux a conduit à la mort d’un jeune guinéen le 18 mars[31]. Des conflits ont éclaté entre les différentes communautés et aussi entre les habitants et les riverains. Après le dernier incendie, de nombreuses personnes se sont réfugiées à l’entrée de la gare voisine. La police a commencé l’expulsion du camp et de la gare le 11 juillet, malgré les protestations des personnes concernées, qui n’avaient nulle part où aller, et qui avaient perdu la plupart de leurs biens dans l’incendie. Elles revendiquent leur droit à la liberté de circulation et au libre passage vers l’Espagne[32]. 

Photo: envoyé à ap par une personne contact

 

Photo: envoyé à ap par une personne contact

 

Photo: envoyé à ap par une personne contact

 

Appui financier et matériel a la répression aux frontières : l’implication de l’UE et de l’Espagne

Le vendredi 5 juillet, le gouvernement espagnol a accepté de soutenir le gouvernement marocain dans ses efforts pour contrecarrer la migration transfrontalière en faisant don au ministère de l’intérieur marocain d’une flotte de véhicules et d’autres matériels de contrôle pour les frontières, tels que des radars et scanners. Le coût total est d’environ 26 millions d’euros[33]. Il fait partie des 140 millions d’euros[34] qui ont été convenus par la commission européenne comme soutien financier au royaume du Maroc pour bloquer la route migratoire de la méditerranée occidentale en octobre 2018 et qui n’ont pas encore été entièrement déboursés. La moitié de la somme devait être injectée directement dans le budget marocain et 70 millions d’euros devaient être déboursés en nature, sous forme de matériel de contrôle aux frontières[35]. Une partie de ce montant est gérée par l’Espagne.

Le 19 juillet, le gouvernement espagnol a décidé d’accorder une aide financière supplémentaire de 30 millions d’euros au Maroc pour soutenir les efforts visant a freiner l’immigration irrégulière – ou plus exactement, à battre, mutiler et tuer des personnes – à ses frontières méridionales. Cette somme s’ajoutera aux 140 millions d’euros convenus par l’UE[36].

Le ministère espagnol de l’intérieur a récemment mis à jour le système de vidéosurveillance à la frontière de Ceuta. 41 caméras domos et 11 caméras fixes ont été remplacées et 14 nouvelles caméras techniques et une plate-forme plus moderne de contrôle du système de vidéo-surveillance ont été installées. Des systèmes de reconnaissance faciale seront également installés dans un proche avenir[37].

Déportations expresses vers le Maroc

Des expulsions expresses du territoire espagnol continuent encore. Par exemple, un groupe de 50 voyageurs a débarqué sur l’île espagnole de Chafarinas. Ils ont d’abord été amenés à Melilla, forcés de demander l’asile, puis 34 d’entre eux ont été renvoyés de force au Maroc.

Jose Palazon, militant des droits humains dans la région de Melilla, rapporte que les 15 femmes et enfants du groupe ont été transférées au centre d’accueil, au CETI, au centre pour enfants ou à l’hôpital. “Les hommes ont été transférés directement du bateau dans un donjon de la PN[police nationale] et le lendemain au bureau d’asile du poste frontière de Béni Enzar : pas de douche, pas de change de vêtements, pas de repas… sans passer l’inspection sanitaire protocolaire etc. Au poste de Béni Enzar, les personnes attendaient dans la rue, assises sur le sol, au milieu de la frontière et subissant des insultes, des objets jetés, des photographies, etc.  par des milliers de personnes qui traversent cette frontière chaque jour, jusqu’au moment où elles ont pu entrer dans le bureau pour l’entretien d’asile” a déclaré Palazon.

Une personne avait besoin de soins médicaux, mais les autorités voulaient d’abord lui faire passer un entretien d’asile, prolongeant ses douleurs. En fin de compte, ils n’ont pas pu mener son entrevue et ont du l’emmener à l’hôpital. “Les instructions directes du ministère étaient de faire les entretiens rapidement pour les refuser en un temps record. (…) il semble que Marlaska veuille avoir l’apparence de remplir les conditions formelles pour les expulser mais rien de plus” écrit Palazon sur sa page facebook. “Aujourd’hui, ils jouent et essaient de vaincre des individus pour qu’ils demandent l’asile et ils se moquent du droit d’asile comme ils se sont toujours moqués des droits des individus. (…) les temps sont durs pour les Noirs. Pour les Blancs, les choses ne sont pas comme ça. Pour les Blancs, ce n’est jamais comme ça, du moins pas aujourd’hui.”

La militante des droits humains, Helena Maleno, twitte et condamne la déportation expresse, ainsi que la commission espagnole d’aide aux réfugiés (comision española de ayuda al refugiado, CEAR). Elle rappelle au monde que, dans le contexte de cet événement, afin de garantir l’accès a une protection juridictionnelle effective et, selon la doctrine de la cour européenne des droits de l’homme, “il est nécessaire que les personnes dont la demande de protection internationale a été rejetée à un poste à la frontière, procédure appliquée dans cette affaire, aient un recours effectif devant une autorité nationale”. Ceci est consacré par l’article 13 de la convention européenne des droits de l’homme[38].

Amnesty international a rapporté 658 cas de déportations illégales, “à chaud”, rien qu’en 2018, tandis que l’Espagne a déjà été condamnée par la cour européenne des droits de l’homme (CEDH) en octobre 2017 pour avoir violé les droits de deux subsahariens en les déportant au Maroc, sans respecter les normes internationales[39]. 

Melilla – des enfants manifestent pour leur droit d’aller à l’école

Tous les jeudis, les enfants manifestent à Melilla pour leur droit à l’éducation. Environ 200 mineurs se voient actuellement refuser l’inscription à l’école à partir du mois de septembre. Ils ne sont pas considérés comme éligibles ou ne possèdent pas les papiers requis, bien que beaucoup d’entre eux soient nés à Melilla. L’association Prodein milite depuis des années pour leur droit à la scolarisation. Ils ont récemment lancé une campagne de collecte de signatures pour faire pression sur le ministère espagnol de l’éducation afin que les enfants puissent être admis dans les écoles. Vous trouverez le lien vers la campagne ici.

Saut collectif à la clôture Melilla – 50 boza !

Le 19 juillet, quelque 200 personnes ont tenté de franchir les barrières à la frontière vers Melilla. 50 d’entre eux ont réussi à atteindre le territoire espagnol et à courir jusqu’au centre d’accueil (CETI). Une fois de plus, les agences de presse ne parlent pas de la violence extrême qui aurait été déployée pour les empêcher d’atteindre ce résultat[40]. Au lieu de parler de la violence des gardes-frontières des deux côtés dans leur “gestion de la migration”, elles parlent des crochets dans les chaussures du migrant comme d’armes (outils permettant de monter plus vite la barrière) et du jet de pierres sur la garde civile et la police (souvent des pierres sont jetées par les forces marocaines pour que les personnes qui y sont sur les grilles tombent). Ce saut collectif a été le plus important depuis octobre 2018, lorsque 209 voyageurs ont réussi à entrer dans Melilla par la même partie nord de la barrière. 55 d’entre eux ont depuis lors été renvoyés dans le cadre de l’accord bilatéral de réadmission de 1992 entre le Maroc et l’Espagne. Le président du parti néo-fasciste vox, Santiago Abascal, a exigé la déportation immédiate des 50 voyageurs du récent saut réussi. Quant au ministre de l’intérieur Grande Marlaska a exprimé sur twitter sa ” solidarité ” avec les officiers blessés lors de l’opération[41].

En jet ski jusqu’à Ceuta

De plus en plus souvent, det skis sont utilisés pour entrer à Ceuta depuis le coté marocain : le 23 juillet, la guardia civil espagnole a rapporté que deux chauffeurs, qui sont finalement rentrés au Maroc sans se faire prendre, ont largué 3 personnes sur la plage Juan Xiii à Ceuta. Le 26, 2 personnes ont été détectées dans l’eau par la guardia civil, qui avait également été largués en jet-ski[42]. Le 30 juillet, 5 voyageurs ont réussi à atteindre Ceuta par jet-ski[43].

Les personnes emmenées par les conducteurs de jet-ski sont généralement jetées à l’eau, de sorte que les conducteurs peuvent rapidement échapper à la police. C’est une pratique dangereuse car la région est très rocheuse. Les gens sont souvent blessés. Selon l’agence de presse Faro Del Ceuta, plusieurs personnes ont perdu la vie lors de ces tentatives. Le prix de cette voie d’évasion risquée est d’environ 600 €[44].

Caravana Abriendo Fronteras

Le 16 juillet, la « Caravana Abriendo Fronteras – Fronteras Sur » a atteint Ceuta et donc la frontière espagnole et européenne la plus méridionale. Cette « Caravane Ouverture des Frontières» est un réseau né en 2016 avec la caravane vers la Grèce, et est composés de différentes organisations et collectifs espagnols qui revendiquent les droits sociaux et la liberté de mouvement pour tous les peuples[45].

La caravane était composée de plus de 300 activistes à Ceuta, dont des membres d’Alarmphone. Elle s’est déplacée du port vers Tarajal, la zone frontalière avec le Maroc, dans le but, entre autres, de commémorer les victimes de cette frontière très meurtrière, de rendre visibles les causes de la migration, d’exiger le droit de migrer d’un point de vue féministe, d’exiger la cessation des politiques d’externalisation des frontières et le respect du droit international de l’asile[46]. 

Photo: Reduan MJ

La frontière algéro-marocaine – manifestation pour l’ouverture des frontières !

Environ 250-300 personnes se sont rassemblées le 22 juillet dans la zone frontalière de l’Algérie et du Maroc entre Marsa Ben Mhidi du coté algérien et Saidia du coté marocain de la frontière, dont notre équipe Alarmphone locale d’Oujda. La frontière, composée de clôtures et d’une fouille censée empêcher les voyageurs d’entrer au Maroc, est fermée depuis 1994. Elles ont exigé la réouverture de la frontière, la liberté de circulation et le démantèlement du piège mortel qu’est cette frontière.

Ce n’était pas la première manifestation de ce genre – les militants locaux des deux cotés rappellent sans cesse aux autorités qu’ils veulent que la frontière rouvre afin de réunir les familles séparées par la fermeture et de renforcer l’économie locale. Ils soulignent également que les nombreuses personnes qui doivent entrer illégalement au Maroc le font par le biais de la “mafia”. Ils souffrent beaucoup, payant des prix élevés, risquant d’être victimes d’extorsion et perdant parfois la vie dans la tentative de surmonter la fosse et les clôtures.

Photo: Alarm Phone Oujda

 

 

Footnotes:

[1] https://caminandofronteras.files.wordpress.com/2019/06/vida-en-la-necrofrontera-interactivo.pdf

[2] http://enredant-radioklara.blogspot.com/2019/06/les-retallades-i-la-militaritzacio-de.html?m=1

[3]    https://elpais.com/elpais/2019/07/19/inenglish/1563521682_999175.html?id_externo_rsoc=FB_CC

[4]    Boza = « victoire » en Bambara, correspond à une arrivée avec succès en Europe

[5]    https://data2.unhcr.org/en/situations/mediterranean/location/5226

[6]    http://watchthemed.net/reports

[7]    https://data2.unhcr.org/en/situations/mediterranean/location/5226

[8]    CEAR: Comisión Española de Ayuda al Refugiado; commission espagnole pour l’aide aux réfugié·es

[9]    https://cadenaser.com/ser/2019/06/06/sociedad/1559775611_983706.html?fbclid=IwAR0jvdJ7lWMjUheBOUQqS_aP0Svy90lDnrl0poJTg3a6r69pQQGO8lKhW1I

[10]  SER: Sociedad Española de Radiodifusión; Société espagnole de radiodiffusion

[11] http://www.rainews.it/dl/rainews/articoli/migranti-6-morti-naufragio-marocco-1-neonato-tra-vittime-34-dispersi-47dd83cf-d4f2-4014-9b8f-6c1125118e7e.html?fbclid=IwAR2SnfDQaRoq4kmrycUjawNyzSfb8Pl4COP4

[12]  https://www.lavanguardia.com/vida/20190626/463127775431/una-patera-que-iba-a-canarias-con-39-personas-naufraga-en-aguas-saharauis.html?facet=amp

[13]  Le premier à inventer le terme “nécropolitique” fut le penseur camerounais Achille Mbembe : https://warwick.ac.uk/fac/arts/english/currentstudents/postgraduate/masters/modules/postcol_theory/mbembe_22necropolitics22.pdf

[14]  https://caminandofronteras.files.wordpress.com/2019/06/vida-en-la-necrofrontera-interactivo.pdf

[15]  https://www.elsaltodiario.com/fronteras/informe-caminando-fronteras-vida-necrontera

[16]  http://www.pnpm.ma/wp-content/uploads/2019/03/Rapport-Morts-aux-Frontieres-PNPM28-2-2019-Version-Finale.pdf

[17]  https://www.mediapart.fr/journal/international/030619/bon-gendarme-union-europeenne-maroc-fait-la-chasse-aux-migrants?utm_source=article_offert&utm_medium=email&utm_campaign=TRANSAC&utm_content=&utm_term=&xtor=EPR-1013-%5Barticle-offert%5D&M_BT=1566677453544

[18]  https://www.eldiario.es/desalambre/Salvamento-Maritimo-murieron-personas-rescataron_0_912009647.html

[19]  le Parti de la justice et du développement, le PJD est un parti politique marocain de droite, à l’idéologie islamiste. Officiellement, il se définit comme un parti politique national dont l’objectif est de contribuer à la construction d’un Maroc démocratique moderne dans le cadre d’une monarchie constitutionnelle.

[20]  Le Parti du Progrès et du Socialisme (PPS), ancien Parti de la Libération et du Socialisme (interdit en 1969) est un parti politique marocain d’idéologie socialiste.

[21]  Le Rassemblement National des Indépendants (RNI) est un parti politique marocain du centre, plus ou moins en ligne avec le roi et son gouvernement.

[22]  https://www.yabiladi.com/articles/details/79131/elus-tiznit-sonnent-charge-contre.html

[23]  Dans la communauté de transit subsaharienne, le terme ” clochards ” est utilisé pour désigner des individus criminels, souvent regroupés en groupes.

[24]  https://www.lesiteinfo.com/maroc/trafic-humain-arrestation-dun-pere-et-son-fils-a-nador-dgsn/

[25]  https://www.courrierdurif.com/2019/06/une-agression-sauvage-contre-des.html?fbclid=IwAR34efHXg31uoTgVB1LDwueCBSlIfrak6BQJEDcH1irFM9SoqTqbASoxNwY

[26]  https://www.yabiladi.com/articles/details/79212/maroc-agressions-migrants-dans-nord.html?fbclid=IwAR1JpNku_MGulXOfL8O7ErCXN3_x8C4IPGciajHH3Q1wrkOiwMftGyBBH08

[27]  Centro de Estancia Temporal de Inmigrantes; Center for Temporary Stay of Immigrants

[28]  https://elfarodeceuta.es/policia-no-aprecia-movil-odio-agresiones-migrantes-puerto-ceuta/

[29]  https://www.leseco.ma/tous-les-reportages/78331-migrants-que-se-passe-t-il-a-ouled-ziane.html

[30]  https://telquel.ma/2019/07/01/le-camp-de-migrants-de-oulad-ziane-de-nouveau-ravage-par-un-incendie_1643598/?utm_source=tq&utm_medium=normal_post

[31]  https://www.leseco.ma/tous-les-reportages/78331-migrants-que-se-passe-t-il-a-ouled-ziane.html

[32]  https://m.le360.ma/societe/migrants-clandestins-le-camp-douled-ziane-interdit-aux-subsahariens-194134

[33]  https://www.infodefensa.com/es/2019/07/06/noticia-espana-invertira-millones-vehiculos-frontera-marruecos.html

[34]  https://www.ecsaharaui.com/2019/07/espana-regala-marruecos-384-vehiculos-y.html

[35]  https://www.euromesco.net/news/the-eu-will-give-e140-million-to-morocco-to-contain-migration/

[36]  https://europa.eu/rapid/press-release_IP-18-6793_en.htm

[37]  https://www.huffpostmaghreb.com/entry/nouvelles-cameras-et-systeme-de-reconnaissance-faciale-a-la-frontiere-entre-le-maroc-et-ceuta_mg_5cfe3009e4b0aab91c08c6bb##

[38]  https://www.europapress.es/epsocial/migracion/noticia-cear-reclama-detener-expulsion-34-solicitantes-asilo-llegados-chafarinas-20190612152332.html

[39]  https://www.libe.ma/%E2%80%8BLa-politique-migratoire-de-l-Espagne-entre-facade-et-realite_a109633.html

[40]  https://elpais.com/politica/2019/07/19/actualidad/1563531001_362818.htmlhttps://www.elmundo.es/espana/2019/07/19/5d31cabd21efa033168b45aa.html

[41]  https://www.elmundo.es/espana/2019/07/19/5d31cabd21efa033168b45aa.html

[42]  https://elfarodeceuta.es/abandonan-dos-inmigrantes-asiaticos-espigon-benzu/

[43]  https://elfarodeceuta.es/pilotos-motos-agua-cuelan-argelinos/

[44]  https://elfarodeceuta.es/presion-trafico-inmigrantes-motos-agua/

[45]  https://abriendofronteras.net/quienes-somos/

[46]  https://elfarodeceuta.es/caravana-abriendo-fronteras-recorre-ceuta-denunciar-violaciones-derechos-humanos-frontera-sur/