Six personnes meurent dans la Manche en une semaine

Sa semaine dernière a clairement montré que les traversées de la Manche sont devenues plus dangereuses au cours de l’année écoulée. Six personnes ont perdu la vie dans trois incidents différents (le plus grand nombre jamais enregistré sur une période de sept jours), et certains survivants ont déclaré à des associations à Calais que d’autres personnes pourraient être portées disparues en mer. La forte surpopulation à bord due aux efforts conjoints des britanniques et des français pour « arrêter les bateaux » a joué un rôle majeur. À chaque fois, les sauveteurs étaient très proches des embarcations mais, avec 60, 72, voire 86 personnes à bord d’un petit canot pneumatique de huit mètres, ils n’ont pas pu empêcher les décès. Ce grand nombre de personnes, dont la plupart ne se sont jamais rencontrées avant de monter dans le canot pneumatique, viennent de pays différents et parlent des langues différentes. Cela signifie qu’elles ne savent souvent même pas combien il y a de personnes dans le canot ou ce qui arrive à un membre de leur famille ou à un ami.

Le navire militaire français P677 Cormoran attend au large des côtes françaises, avec le CROSS Gris-Nez en arrière-plan.

Plus récemment, dans la nuit de jeudi à vendredi (18.07), un canot pneumatique avec 86 personnes à bord a quitté les côtes françaises. Selon la préfecture maritime, le CROSS Gris-Nez a demandé l’aide du navire de la marine nationale P677 Cormoran, mais les personnes ont d’abord refusé car elles auraient été ramenées en France. Vers 1 heure du matin vendredi (19.07), l’embarcation pneumatique extrêmement surchargée s’est trouvée en difficulté et les personnes ont alors demandé de l’aide. Lorsque le bateau Cormoran est arrivé, cinq personnes étaient tombées à la mer. Elles ont été immédiatement récupérées, mais alors que le reste des personnes était secouru, une personne a été trouvée inconsciente à l’intérieur du canot pneumatique. Elle a été emmenée au Cormoran mais n’a pu être réanimée à bord, ni par l’équipe médicale qui l’a évacuée par hélicoptère. Nous savons maintenant qu’il s’agit d’un adolescent soudanais nommé Abdulaziz.

Un peu plus de 24 heures auparavant, le mercredi 17 juillet au soir, un canot pneumatique avec 72 personnes à bord a fait naufrage alors qu’il se dirigeait vers le Royaume-Uni, à environ cinq milles au nord de Calais. Selon la préfecture maritime, le boudin du canot s’est dégonflé et en quelques minutes, tout le monde s’est retrouvé à la mer, certains sans gilet de sauvetage. Un avion des garde-côtes britanniques survolait la zone et le Cormoran, qui suivait également de près ce canot, a mis à l’eau son canot de sauvetage. Les garde-côtes britanniques et français ont immédiatement dépêché sur place de nombreux moyens de secours, dont des hélicoptères et des canots de sauvetage. Malgré la rapidité de la réaction, une femme érythréenne est décédée.

Moins d’une semaine auparavant, le vendredi 12 juillet au petit matin, un autre canot pneumatique a fait naufrage à quelques milles du Cap Gris-Nez avec 60 personnes à bord. Le navire de sécurité français Minck a constaté que les boudins du bateau se dégonflaient et que de nombreuses personnes se trouvaient dans l’eau. Une fois de plus, les garde-côtes ont réagi rapidement en envoyant le Cormoran français, un canot de sauvetage, un hélicoptère et en demandant à un navire de pêche voisin de leur prêter assistance. L’incident a tout de même causé la mort de quatre personnes somaliennes. Pour l’instant, on a seulement appris qu’il s’agissait d’hommes originaires de Somalie, dont l’un avait moins de dix-huit ans.


Nous regrettons profondément ceux dont la vie a été emportée par cette frontière, qui sont si jeunes et ont surmonté tant d’épreuves avant d’arriver sur la côte nord de la France. Cependant, il serait erroné de considérer leur mort comme un simple événement tragique. Rien n’est inévitable et les naufrages ne sont pas dus à la malchance dans une mer impitoyable. Ils sont plutôt le résultat d’une série de décisions prises par les États britannique et français pour faire respecter la frontière britannique sur la côte française et pour réinvestir constamment de l’argent et des ressources policières afin d’« arrêter les bateaux ». Sous couvert de « sécurité » et de « sauver des vies », les gouvernements ont rendu la traversée de la Manche de plus en plus dangereuse.

Au cours des douze derniers mois, les tentatives de traversée de la Manche ont été à l’origine d’un plus grand nombre d’incidents mortels qu’au cours de toute autre année. Depuis août 2023, 32 personnes ont été tuées et quatre personnes sont toujours portées disparues en mer à la suite de 14 incidents distincts liés à des traversées maritimes, selon Calais Migrant Solidarity. Alarm Phone attribue cette situation à l’intensification de la présence policière à la frontière, souvent violente, sur la côte française, qui a réduit le nombre de canots pneumatiques arrivant sur les plages et qui crée le chaos lors des mises à l’eau. De plus en plus de canots quittent la France sous-gonflés et surchargés. Récemment, un officier des border forces britanniques a confirmé que leurs efforts pour perturber l’approvisionnement en canots pneumatiques plus en amont signifient que les « chargements sont de plus en plus importants ». Le résultat, comme nous l’avons vu la semaine dernière, est que les canots pneumatiques tombent en panne plus rapidement et font plus de victimes, car il faut sauver plus de personnes à chaque naufrage.

Nous avons également été troublés de constater, le jeudi 17 juillet, que le Ranger de la British Border Force est entré dans le port de Calais pour ramener 13 survivants en France. Bien que l’incident se soit produit dans les eaux françaises, les survivants de naufrages secourus par des navires britanniques avaient déjà été ramenés à Douvres, comme ce fut le cas le 12 août 2023. Puisque le Nationality and Borders Act de 2022 exige que les demandes d’asile soient déposées dans un « lieu désigné », les agents des border forces britanniques à bord du Ranger auraient refusé toute demande d’asile déposée par ces personnes. Les survivants, probablement traumatisés par le naufrage, devront à nouveau affronter la mer lors de leur voyage vers le Royaume-Uni.

Trace AIS du BF Ranger du 17 août 2024 montrant l’endroit où le sauvetage a eu lieu et ses mouvements pour ramener les survivants à Calais, en France. MarineTraffic.

L’année dernière, il est apparu clairement que l’augmentation des ressources et de la coordination en matière de recherche et de sauvetage n’a pas permis d’éviter les décès dans la Manche. L’augmentation du nombre de navires de sauvetage et la rapidité des interventions ont fait une grande différence dans les cas récents, mais elles masquent également la véritable nature du problème. Tout en proclamant qu’ils sauvent des vies en empêchant les départs dangereux, les gouvernements britannique et français prennent des mesures qui causent directement plus de morts et de traumatismes sur le rivage et en mer. Le fait que chaque naufrage fasse relativement moins de morts que, par exemple, ceux de 2021, permet de passer sous le radar, voire d’être ignoré. Nous ne pouvons pas permettre que les naufrages et les décès deviennent des événements banals et normalisés à cette frontière, ni à aucune autre.