1. Introduction
Alors que nous nous remémorions un printemps et un été mouvementés sur les routes migratoires de la Méditerranée occidentale et de l’Atlantique, l’attention internationale s’est soudainement tournée vers le Maroc : Le violent tremblement de terre de l’Oukaïmedene ou de Marrakech-Safi et ses répliques qui ont frappé l’ouest du Maroc le 8 septembre 2023 ont tué près de 3 000 personnes et fait au moins 5 à 6 000 blessé.es. Nos pensées vont aux victimes et aux ami.es des membres d’AlarmPhone dans la région de la Méditerranée occidentale et de l’Atlantique qui sont directement touché.es par les conséquences de cette catastrophe.
Pour de nombreuses personnes, ce tremblement de terre a exacerbé des conditions de vie déjà difficiles au Maroc (pauvreté, répression politique, manque d’opportunités). Alors que l’attention internationale passe très vite à autre chose, la privation des droits de nombreuses personnes, en particulier des personnes en mobilité, se poursuit.
Cette analyse met particulièrement en lumière un obstacle à la participation sociale des Noir.es africain.es vivant au Maroc : leur statut juridique et leur accès très limité à la régularisation. Elle documente les écarts importants entre la théorie (une politique migratoire supposée ” moderne “) et la réalité vécue par les personnes en exil dans différentes régions du Maroc (voir les chapitres 3.1.-3.3) et de l’Algérie (voir le chapitre 4). Et même lorsque les personnes ont traversé la Méditerranée (ou l’Atlantique), elles sont confrontées à de graves difficultés en Espagne lorsqu’il s’agit d’obtenir un statut légal (voir chapitre 5).
L’analyse documente également l’implication d’Alarm Phone dans la région (voir chapitre 2), les développements récents sur les différentes routes migratoires (par exemple, l’Atlantique, la mer d’Alboran) et le nombre considérable de naufrages et de décès (voir chapitre 6).
La question de la régularisation au Maroc
Il y a dix ans, le Maroc a procédé à une réforme majeure de sa législation en matière d’immigration. Le 11 novembre 2013, le gouvernement a annoncé une vaste campagne de régularisation exceptionnelle pour l’année 2014, qui permettrait à plusieurs milliers de personnes (principalement des personnes en déplacement depuis d’autres pays africains) de régulariser leur statut. Cette campagne a été renouvelée en 2017 et en tout environ 50 000 cartes de séjour ont été accordées. Bon nombre des personnes régularisées dans le cadre de ces campagnes , en raison de l’absence de voies d’accès régulières, étaient entrées au Maroc “illégalement” (acte criminalisé par la loi 02-03, adoptée en 2003). Ces changements dans la politique migratoire marocaine ont eu un impact positif sur la vie de nombreuses personnes exilées, mais de manière plutôt limitée. Bien que de nombreuses personnes aient désormais théoriquement le droit de travailler, les emplois sont restés rares, et bien que les personnes auraient dû être protégées contre la détention arbitraire et le déplacement forcé, ces pratiques se sont poursuivies sans relâche. De nombreuses personnes exilées (et ce point de vue est également partagé par certain.es spécialistes des migrations) restent très sceptiques à l’égard de ces réformes : “En fait pour moi cette régularisation est un piège pour les migrants car après obtention du premier titre de séjour,les autorités ont compliqué le renouvellement avec la demande de plusieurs papiers que les migrants ne pouvaient pas avoir”, explique L. de Alarm Phone Tanger.
Le royaume du Maroc a utilisé la campagne de régularisation pour se présenter comme un État “moderne”, doté d’une loi sur l’immigration supposée “humaine” – un geste important vis-à-vis de l’Europe et des pays africains voisins qui imitent, dans une moindre mesure, les politiques migratoires occidentales. On soupçonnait également le Maroc d’utiliser cette campagne pour recueillir des informations sur les différentes communautés de migrants ou de coopter les ONG pour les rapprocher davantage de l’État. En effet, ce sont les ONG qui ont joué un rôle clé en aidant les migrants à accéder à la carte de séjour.
Tout comme nous pouvons l’observer dans de nombreux pays européens, les politiques de régularisation marocaines n’ont jamais eu pour but de mettre fin à un système d’oppression raciste et classiste, elles n’ont jamais fait partie d’une stratégie plus large visant à offrir des opportunités de participation à la société.
Comme l’a déploré l’AMDH en 2022, les droits sociaux et économiques des migrant.es et des demandeurs et demandeuses d’asile ne sont pas mis en œuvre malgré l’adoption d’une stratégie nationale visant à garantir une meilleure intégration et à faciliter l’égalité d’accès aux services publics :
“[…] après près de dix ans, cette stratégie reste lente, limitée, inefficace […] dans sa mise en œuvre pratique. Il semble que l’Etat marocain ait été présent, surtout depuis son adoption, pour la prendre en compte dans les instances internationales sans le faire suffisamment, et pour que les migrants et les demandeurs d’asile puissent jouir des droits consacrés par cette stratégie ambitieuse. La réalité vécue par les migrants et les demandeurs d’asile dans les différentes régions du Maroc le réfute.”
Comment obtenir l’asile au Maroc – en théorie…
Etant donné que l’architecture juridique et institutionnelle propre au système d’asile marocain est encore en procesus de mise en place, les demandes d’asile ont tendance à être d’abord traitées par le HCR, où les personnes seront reconnues comme réfugiées ou non par l’agence internationale, en fonction de leurs critères d’obtention du statut de réfugié. Ces critères sont basés sur la Convention de Genève de 1951. Après avoir obtenu les documents du HCR, les personnes sont envoyées au Bureau des Réfugiés et des Apatrides (BRA) à Rabat, qui fait partie du Ministère des Affaires étrangères et de la coopération. Comme indiqué dans son document fondateur, par le biais du développement de la Stratégie Nationale d’Immigration et d’Asile, le BRA comprend un certain nombre de fonctionnaires du gouvernement et de représentants du ministère. Les réfugié.es du HCR sont tenu.es d’assister à l’une de leurs réunions afin de recevoir la carte de réfugié.e du HCR (qui n’est délivrée qu’après un examen approfondi des documents soumis). Avec la carte de réfugié.e, ils et elles peuvent ensuite faire une demande de résidence. Certaines des exigences les plus strictes seront levées et leur demande devrait être traitée plus favorablement.
Les documents suivants sont requis pour toutes les demandes :
- une copie de toutes les pages du passeport, y compris les pages portant le cachet d’entrée, et, selon le pays d’origine, un visa d’entrée
- 8 photos récentes
- Un extrait officiel du casier judiciaire
- Un certificat médical
- Un acte de naissance
Difficultés d’obtention d’un permis de séjour : la réalité de ce que vivent les personnes en déplacement
Bien entendu, la procédure décrite ci-dessus ne s’applique qu’aux personnes qui peuvent obtenir le statut de réfugié.e en premier lieu. Cependant, cela ne s’applique pas à la grande majorité des personnes exilées. Les campagnes de régularisation de 2014 et 2017 ont été leur seule occasion d’avoir accès à des papiers. Depuis lors, elles luttent pour le renouvellement de leur permis de séjour, et celles qui sont entrées au Maroc depuis 2018 n’ont aucune perspective. En particulier, depuis 2021, le nouveau gouvernement s’est engagé à appliquer de manière encore plus stricte les conséquences juridiques de l’entrée “illégale” (loi 02-03). Cela a rendu beaucoup plus difficile pour de nombreux et nombreuses ressortissant.es non-marocain.es le renouvellement de leurs cartes de séjour.
Le problème commence généralement par les obstacles bureaucratiques rencontrés lors de la demande d’un permis de séjour. Pour de nombreuses personnes, il est très difficile d’obtenir l’extrait de casier judiciaire requis, car il doit être délivré dans le pays d’origine. Le certificat médical doit attester que la personne ne souffre pas d’une maladie contagieuse, une exigence que de nombreuses personnes ignorent. En outre, un timbre fiscal est exigé, bien que depuis 2013 l’administration n’accepte plus les timbres fiscaux mais uniquement les espèces (les ressortissant.es sénégalais.es, tunisien.nes et algérien.nes sont exempté.es du paiement de ces taxes).
La présentation d’un acte de naissance est également un obstacle majeur. De nombreuses personnes en déplacement n’ont pas accès à ce document (ou on le leur a volé), mais la situation est particulièrement dramatique pour les nouveau-nés. Dans certaines régions, les hôpitaux refusent régulièrement de délivrer un acte de naissance à un nouveau-né si le(s) parent(s) ne présente(nt) pas de passeport – une pratique qui n’a pas de base légale, mais qui rend effectivement impossible l’obtention d’un acte de naissance pour de nombreux nouveau-nés. En conséquence, ils sont exclus de la vaccination, de l’école et de nombreux autres services sociaux. Ces pratiques varient selon les régions.
Si un étranger ou une étrangère prévoit de rester plus longtemps que les 90 jours du visa initial, il ou elle est tenu.e de demander la résidence dans le district administratif de son adresse enregistrée. Toutefois, il semble que cela soit encore plus difficile dans certaines régions que dans d’autres. Des demandeurs et demandeuses ont signalé qu’ avec les mêmes documents, iels étaient refusé.es dans certaines villes (par exemple, Salé) et accepté.es dans d’autres (par exemple, Rabat). La rumeur dit que la régularisation est plus facile dans la région orientale (par exemple Oujda) que dans celle de Tanger-Tétouan-Al Hoceima ou dans celle de Rabat-Salé-Kénitra. La raison n’est pas toujours claire, parfois cela est dû à l’ignorance ou à la malveillance des autorités locales. Ces incohérences peuvent être le signe de défaillances administratives, d’un partage inégal des connaissances et de la formation, ou d’une stratégie délibérée visant à concentrer les migrant.es d’Afrique noire dans certaines régions présentant un intérêt politique et économique pour le Maroc.
En outre, de nombreuses personnes ne disposant pas d’une autorisation d’entrée valable au Maroc ont été invitées à quitter le territoire et à y revenir légalement afin de renouveler ou de régulariser leur statut. Cette démarche est très coûteuse et, pour beaucoup, très risquée. Beaucoup de celles et ceux qui ont fait cela se voient souvent refuser des visas pour entrer à nouveau au Maroc. Certain.es rentrent alors illégalement, retournant dans le même vide juridique, après avoir perdu beaucoup de temps et d’argent.
De plus, même avec un passeport valide et un droit d’entrée sur le territoire, un permis de séjour est souvent exigé pour les contrats de logement et d’emploi – alors que dans le même temps, les contrats de logement et d’emploi sont souvent exigés pour régulariser la résidence, créant ainsi un scénario de cercle vicieux sans issue. En outre, les ressortissant.es non marocain.es sont confronté.es à des lois discriminatoires qui obligent les employeur.euses à donner la préférence à un travailleur ou une travailleuse marocain.e plutôt qu’à un employé ou une employée étranger.e.
Il existe toutefois des moyens de contourner ces obstacles. Les propriétaires et les employeur.euses peuvent soutenir la demande de résidence des locataires et des employé.es, mais cela coûte du temps et de l’argent. En outre, de nombreuses personnes en situation irrégulière qui se déplacent paient de toute façon un endroit où dormir et travailler pour des frais minimes, faute d’autres options. Les personnes qui cherchent à se rendre illégalement en Europe font l’objet d’un profilage racial. La précarisation juridique et économique est donc aggravée par le contrôle politique constant de leurs mouvements. En conséquence, les propriétaires et les employeur.euses ne sont généralement pas incité.es à se donner du mal et à dépenser de l’argent pour aider quelqu’un.e à régler son statut de résident.e. Comme nous l’avons déjà démontré dans des rapports précédents, la précarité contribue à l’exploitation économique des personnes en déplacement.
R. de Alarm Phone Tiznit résume succinctement à quel point les campagnes de régularisation n’ont amélioré que très peu la situation des personnes en déplacement au Maroc :
“même si le débat reste, l’acquisition des cartes de séjour est aujourd’hui particulièrement restrictive. Ca prouve que cette campagne est illusoire et que c’est un fiasco. À l’issue de la campagne régularisation, beaucoup de migrant.es font face à des difficultés pour trouver des logements décents et la relation est difficile avec les propriétaires de maisons, et des problèmes les opposent (refus de signature du contrat de bail , inconfort , intransigeance en cas de retard de paiement). L’accès à l’emploi formel reste difficile. Et même dans le secteur informel on note des horaires peu commodes qui, de plus sont rémunérées par des salaires relativement faibles.”
2. Traversées maritimes et statistiques
Selon le HCR, au 1er octobre 2023, 27 220 personnes sont arrivées sur le territoire espagnol depuis le début de l’année, soit 15 % de plus qu’au cours de la même période en 2022. Bien qu’il y ait eu plus d’arrivées en janvier et février 2022 qu’en janvier et février 2023, pendant l’été 2023 (notamment en août), près de deux fois plus de personnes sont arrivées sur le territoire espagnol par rapport à la même période en 2022.
La plupart des personnes ont choisi de quitter le Maroc par la route atlantique (voir chapitre 3.1.), mais on constate aussi un nombre important de traversées en mer d’Alboran et dans le Détroit (voir chapitres 3.2. et 3.3.).
Un nombre particulièrement élevé d’arrivées a été enregistré à Almería, probablement parce que plus de personnes choisissent de partir depuis les côtes algériennes (voir chapitre 3.4).
Ces chiffres correspondent au nombre total des cas Alarm Phone le long de la route de la Méditerranée occidentale et de l’Atlantique. Depuis le début de l’année, Alarm Phone a été informé de 149 cas où des personnes ont essayé de franchir les dangereuses frontières vers l’Espagne. Dans 64 de ces situations, les personnes en mouvement ont choisi de prendre la route de l’Atlantique. 62 autres alertes ont été données depuis la mer d’Alboran ou depuis le Détroit. Enfin, 23 alertes ont été données par des personnes parties d’Algérie. Par rapport à l’année dernière, il est frappant de constater le nombre beaucoup plus élevé d’appels depuis la mer d’Alboran.
Selon les chiffres fournis par les personnes qui ont alerté Alarm Phone entre mars et septembre 2023, les bateaux de cette région ont transporté au moins 3 560 personnes. Sur les 122 bateaux au sujet desquels Alarm Phone a été informé sur cette période, 49 embarcations ont été secourues par Salvamento Marítimo, 5 sont arrivées par leurs propres moyens en territoire espagnol, 35 ont été ramenées au Maroc par la Marine Royale et 4 sont rentrées par leurs propres moyens. Nous sommes très préoccupé·es par les 23 bateaux pour lesquels le sort des personnes reste incertain. Nous sommes également tristes et en colère face aux six naufrages dont nous avons été témoins. Ces naufrages ont fait plus de 148 disparu·es et au moins 104 mort·es, dont beaucoup étaient âgé·es de 10 à 25 ans. Alarm Phone a été informé de nombreux autres décès en mer, comme on peut le lire plus en détail dans le chapitre 6 de ce rapport. Nos pensées vont aux ami·es et aux parents de Mohamed, Ayoub, Tounsi, Hamza, Annas, Youssef, Nabil, Azzedine, Souhir et tant d’autres, qui ont perdu la vie aux frontières (maritimes) mortelles de l’UE.
3. Nouvelles des régions du Maroc
3.1. La route de l’Atlantique
Depuis mars 2023, Alarm Phone a soutenu 49 bateaux sur la route de l’Atlantique. Ces derniers mois, nous avons assisté à d’horribles naufrages et, une fois de plus, de nombreux bateaux sont portés disparus. Le 15 juin, par exemple, Alarm Phone est appelé par des proches qui s’inquiètent pour un bateau ayant quitté Agadir le 11 juin. Il y a 51 personnes à bord. Ce bateau a disparu. Nous tenons à exprimer notre profonde tristesse aux proches des victimes. Les voyages entrepris depuis le sud du Maroc se soldent souvent par des naufrages, les embarcations en caoutchouc utilisées sur cette route étant particulièrement dangereuses. Le 26 juin, nous sommes informé·es qu’un bateau a quitté Guelmim avec 55 personnes à bord. Nous apprenons par la suite que le bateau pneumatique a chaviré. Par chance, quatre personnes ont pu regagner les côtes marocaines. Les cinquante-et-unes autres ont péri. Un autre naufrage mortel impliquant un bateau pneumatique s’est produit à la mi-septembre lorsque 13 personnes sont tombées à la mer. 38 ont été secourues par les garde-côtes espagnols.
Nous souhaitons porter une attention particulière à un naufrage qu’AlarmPhone a suivi, car il illustre selon nous une pratique courante : la délégation de la responsabilité d’une opération de sauvetage aux autorités marocaines. Le 20 juin, Alarm Phone est alerté au sujet d’un bateau avec 61 personnes à bord, en situation de détresse urgente. Nous informons immédiatement les autorités espagnoles de la situation. La position GPS que nous avons reçue indique que le bateau se trouve dans la zone dont Salvamento Maritimo est responsable (comme indiqué sur la page de leur site). Cette zone est également revendiquée par le Maroc en raison de son occupation du Sahara Occidental. Malgré la présence d’une unité de sauvetage espagnole (avec déjà 63 autres personnes secourues à bord) à une heure seulement de la position GPS connue, ce sont les autorités marocaines, en coordination avec les autorités espagnoles, qui prennent la responsabilité de l’opération de sauvetage. Le résultat de l’intervention tardive de la Marine Royale : 37 personnes disparues et seulement 24 survivant·es.
En tant qu’Alarm Phone, nous avons documenté cette situation et nous avons envoyé nos documents au Defensor del Pueblo (médiateur) espagnol, qui a ouvert une enquête peu de temps après le naufrage. Nous sommes tristes et indigné·es que ce jeu de pouvoir géopolitique ait à nouveau coûté la vie à des personnes qui ont le droit de circuler librement et le droit d’être secourues par une autorité compétente lorsqu’elles sont en détresse en mer.
Le plus grand changement que nous avons pu observer sur la route des Canaries depuis le mois de juin est certainement l’augmentation des départs depuis le Sénégal. Alarm Phone Dakar a répertorié environ 70 bateaux partis du Sénégal entre début juin et fin septembre 2023 et arrivés aux îles Canaries. Au total, ces bateaux ont transporté près de 6000 passagèr·es. Cependant, d’autres bateaux ont été interceptés dès le début de la traversée ou ont disparu.
Par exemple, un bateau avec 38 survivant·es a été retrouvé au Cap-Vert le 16 août. 7 cadavres ont aussi été découverts, mais 56 personnes sont toujours portées disparues et présumées mortes. Lorsque les autorités sénégalaises ont décidé de ne rapatrier que les survivant·es et de laisser les mort·es sur place, les familles et ami·es du village de Fas Boye se sont révolté·es et ont été brutalement réduit·es au silence par la police sénégalaise.
Un bateau avec 63 personnes à bord, parti de Rufisque (près de Dakar), a chaviré au large des côtes du Sahara le 20 juillet. 18 personnes sont mortes. Une autre embarcation a chaviré au large de Dakar le 24 juillet, faisant 16 mort·es.
Concernant la forte augmentation des départs du Sénégal, S. d’AP Dakar rapporte :
“La situation politique actuelle du pays devient catastrophique et engendre des manifestations avec beaucoup de morts et des emprisonnements abusifs. S’ajoutent aussi les politiques de visa qui exigent des visas dont l’obtention est difficile et arbitraire. C’est en partie ce qui pousse les jeunes à quitter le pays en empruntant les moyens les plus risqués.”
Cependant, le gouvernement sénégalais ne réagit à ce mouvement populaire que par plus de répression, de criminalisation et de dissuasion. Le 23 juillet, il a créé un “Comité interministériel de lutte contre l’émigration clandestine” et le 04 août, un grand bâtiment a été inauguré pour accueillir la “Division de la police de l’air et des frontières”. L’activiste d’Alarm Phone, S., commente :
“C’est une honte et un manque de respect. Nous pouvons constater aujourd’hui que ce dispositif est juste utilisé pour faire de l’intimidation envers la population migrante au Sénégal.”
Ce renouveau de la route du Sénégal est visible dans le nombre élevé d’arrivées par rapport à l’année précédente. Alors que relativement peu de personnes sont arrivées aux îles Canaries au cours des premiers mois (environ 3 500 personnes à la mi-mai), les chiffres pour le 1er octobre s’élèvent déjà à 15 406 arrivées, soit 24 % de plus qu’en 2022. Comme toujours, nous sommes très heureux·ses pour tou·tes celles et ceux qui ont survécu à ce dangereux voyage !
Au cours de la première quinzaine de septembre, 3 100 personnes sont arrivées aux îles Canaries, et environ deux tiers des personnes sont arrivées avec des grands bateaux de pêche en bois (appelés “pirogue” en français ou “cayuco” en espagnol) en provenance du Sénégal. Très peu de bateaux arrivent aux Canaries depuis la Mauritanie (cinq bateaux cette année) en raison de l’étroite coopération entre le gouvernement mauritanien et les autorités espagnoles, notamment la Guardia Civil.
Fin août, les autorités mauritaniennes ont cependant refusé de jouer leur rôle dans le cadre d’un refoulement massif. 168 personnes originaires du Sénégal, ont été interceptées par la Guardia Civil espagnole au large des côtes mauritaniennes. Les autorités mauritaniennes ont refusé que ces 168 personnes soient débarquées sur le territoire mauritanien. En conséquence, la Guardia Civil a refoulé tout le monde vers le Sénégal, malgré la résistance (par exemple des grèves de la faim) à bord. Le 22 septembre, un autre bateau avec 70 personnes à bord a été intercepté par les autorités mauritaniennes. Les membres d’Alarm Phone Mauritanie confirment que 16 des passagèr·es sont toujours à Noudhibou pour recevoir un traitement médical, mais que les 54 autres personnes ont été expulsées vers le Sénégal via le poste frontière de Rosso.
L’augmentation du nombre d’arrivées met à nouveau à rude épreuve les travailleur·euses de l’agence espagnole de sauvetage Salvamento Marítimo. À la mi-septembre, leurs demandes constantes d’augmentation du nombre de personnes à bord des navires ont de nouveau été rejetées par le gouvernement espagnol, qui affirme qu’il n’y a pas de surcharge de travail à l’heure actuelle. Compte tenu du nombre élevé d’arrivées (3 100 personnes au cours des deux premières semaines de septembre), nous trouvons cette affirmation quelque peu cynique. En tant qu’Alarm Phone, nous soutenons pleinement les demandes de la CGT d’équiper les navires de sauvetage d’un cinquième membre d’équipage, d’introduire un troisième équipage de secours par rotation, ainsi qu’un équipage stationné en permanence aux îles Canaries.
La lutte pour obtenir des titres administratifs et un statut légal
Au Sahara et au Maroc, comme dans toutes les autres régions, les gens sont confrontés à de graves discriminations parce que l’accès à des titres administratifs convenables est rendu très difficile. B., d’Alarm Phone Laayoune, décrit ainsi la situation :
« C’est plus difficile maintenant de renouveler le titre de séjour à cause des documents qu’on te demande. Beaucoup de gens n’ont plus leur emploi qui leur permettait de renouveler leurs résidences car pendant le moment de la pandémie (Covid-19), la majeure partie des migrant.es ont perdu leur travail. Ce qui cause aujourd’hui beaucoup de difficultés pour la population migrante. Actuellement à Laayoune, les autorités marocaines continuent de faire des arrestations arbitraires et de demander aux migrants des cartes de séjour, tout en sachant pertinemment que les migrant.es n’en ont pas car les autorités n’en délivrent plus depuis un bon moment […] alors ça a amené un désordre total qui fait que c’est un jeu du chat et de la souris car les migrant.es sont en train de se cacher tous les jours ou bien de se déplacer tout le temps quand il y a les rafles. »
Grâce à la pression exercée par les associations locales, les personnes ayant un statut de résident.e sont désormais généralement exemptées des rafles, des arrestations et des déportations, surtout si elles connaissent leurs droits et peuvent les défendre. Cependant, selon les estimations d’Alarm Phone, 80% des personnes noires n’ont pas de permis de séjour et sont donc des victimes faciles de ces formes de violence et de harcèlement.
En ce qui concerne les enfants, les hôpitaux du Sahara et du sud du Maroc exigent que les parents fournissent des documents administratifs pour la délivrance des actes de naissance. Comme la grande majorité des personnes en exil n’ont pas de tels documents, environ 70% des enfants de personnes en mobilité n’ont actuellement pas d’acte de naissance. Cela les exclut de toute une série de services sociaux, tels que les soins de santé et la vaccination, l’accès à l’éducation, etc.
Dans les îles Canaries, les procédures administratives pour obtenir des documents administratifs peuvent également être entravées par certaines irrégularités. Les personnes arrivant dans les îles plus occidentales ne sont parfois pas correctement enregistrées dans les commissariats de police (quelque peu plus petits) et se heurtent à de sérieux obstacles dans la suite de leurs procédures de régularisation.
3.2. Tanger, Détroit de Gibraltar et Ceuta
Nouvelles de la région
Ces derniers mois, il y a eu un exode massif vers la Tunisie de personnes cherchant à se rendre en Europe depuis Tanger. Cela arrive après une série de Bozas (traversées réussies vers l’Europe) depuis la Tunisie vers l’Italie. L’UE a signé un nouvel accord, d’une valeur de plus de 1 000 Millions d’euros, dont 105 Millions d’euros sont spécifiquement consacrés à l’aide visant à stopper la migration vers l’Europe. « Ils [les Tunisiens] sont entrés dans “le jeu de la migration“», affirme un militant d’AP Tanger.
Les effets de cette situation se sont fait sentir dans tout Tanger. Par exemple, il y a moins de femmes noires qui mendient aux feux de circulation. «Chaque jour, des gens partent en Tunisie», explique une Ivoirienne en mendiant. La population des quartiers à la périphérie de la ville, où les personnes Noir⋅es sont connu⋅es pour vivre, a soudainement diminué. « Tout le monde est parti en Tunisie », s’exclame un habitant camerounais, tendant les bras sur une place presque vide entre les maisons, débordant d’activités un jour ou deux auparavant.
En réponse, les arrestations et les renvois d’Africain⋅es Noir⋅es identifié⋅es comme souhaitant se rendre en Europe ont également diminué. « Ils nous déportent souvent vers l’Algérie, et l’Algérie est sur la route pour la Tunisie, alors ils paient la majeure partie du transport pour nous », plaisante une femme qui espère aller en Europe. « Ils craignent de perdre leur part du flux migratoire », explique un jeune homme. « Maintenant, ils vous repoussent au Maroc depuis près de la frontière algérienne », affirme-t-il. Il se peut aussi que les autorités se concentrent sur les secours après le tremblement de terre qui a frappé le Maroc, laissant Tanger indemne.
Néanmoins, selon les éléments de preuve recueillis par l’AMDH Nador, dans la période qui a précédé cet exode, à nouveau trois personnes ont été tuées par les autorités, suite à la violente répression d’une tentative de franchissement des clôtures frontalières à Ceuta le 14 avril 2023. Parmi les personnes disparues se trouve Mamadou Aliou Diallo, un jeune homme originaire de Guinée, qui a reçu un coup à la tête. Ses ami⋅es voulaient le sauver, mais iels ont été forcé⋅es de se sauver elleux-même quand les forces de sécurité sont arrivées. On ignore ce qui s’est passé ensuite pour Mamadou, et si quelqu’un l’a conduit ou non à l’hôpital.
Questions relatives à la régularisation à Tanger
Si vous êtes Noir⋅e et Africain⋅e, il est nécessaire d’avoir une carte de séjour (et de l’emporter avec vous) pour éviter le harcèlement policier continu, et les déportations dans le sud du pays depuis Tanger. Tanger est située sur le détroit de Gibraltar et est généralement considérée comme une zone de départs vers l’Europe. Cependant, les contrats de logement et de travail habituellement requis pour la résidence légale en tant que non-ressortissant.e au Maroc sont difficiles à trouver à Tanger. C’est particulièrement vrai pour les personnes qui sont arrivées « irrégulièrement » (sans autorisation de l’Etat). Outre les spécialistes hautement qualifiés, qui travaillent principalement dans les zones industrielles de la ville, il est généralement admis qu’il y a moins de travail pour les non-ressortissant.es à Tanger que dans les grandes villes de Casablanca et Rabat.
Les services des ONG et le soutien dans les procédures de régularisation et d’intégration dans le pays semblent également être concentrés à Rabat, dans le cadre d’une stratégie plus large de gouvernance des migrations. Néanmoins, il y a une baisse des sessions offertes pour des conseils de régularisation à Tanger, bien que généralement seulement pour les personnes ayant le statut de réfugié.e ou qui possèdent déjà la carte de séjour. Les demandes de statut de réfugié⋅e sont généralement traitées au bureau de l’UNHCR à Rabat, bien qu’il soit possible de commencer le processus à Tanger via des partenaires de l’UNHCR, comme l’OMDH, ou pendant l’une des tournées de l’UNHCR dans le pays.
Des individu⋅es, légitimé⋅es par de vagues notions en droit, aident les migrant⋅es à régulariser leur statut. Comme les routes migratoires hors du pays, c’est un business. C’est un domaine dans lequel les associations officielles ne peuvent pas conseiller les gens, même si c’est souvent l’un des moyens les plus efficaces de régulariser le statut. Souvent sans directives claires et avec un processus juridique qui change régulièrement, de nombreux Africain⋅es Noir⋅es sans papiers sont particulièrement vulnérables à l’exploitation. Des arnaques — menées par des Européens, des Marocains et d’autres Africain⋅es Noir⋅es — sont monnaie courante, comme le montre l’exemple suivant : un membre d’Alarm Phone a rencontré un homme qui prétendait avoir une association et être un expert en régularisation. Après avoir encouragé un groupe de femmes sans papiers à lui envoyer leurs papiers, en leur assurant qu’il pourrait les aider dans le processus d’obtention d’une lettre de leur ambassade, présenté comme un substitut parfaitement légal à une nouvelle exigence d’être entrées légalement dans le pays, il a pris leur argent. Il a ensuite affirmé que les femmes pouvaient rembourser leurs dettes en produisant des vidéos pornographiques avec lui, qu’il a alors refusé de payer. Un groupe de personnes s’est alors auto-organisé pour arrêter l’homme et a organisé le soutien aux survivantes de ses attaques. L’affaire a été poursuivie par l’une des femmes en question, l’homme a été forcé de rendre l’argent, et a ensuite purgé quelques mois de prison.
3.3. Nador et Melilla
Nouvelles de la région
Les ressortissant⋅es marocain⋅es continuent de traverser la frontière vers Melilla ou la mer d’Alboran vers la péninsule ibérique, étant forcé⋅es d’utiliser des canaux et des réseaux qui ont été établis à la base pour le trafic de haschisch, et qui se recoupent désormais avec des routes migratoires, amplifiant l’effet « d’incendie » de la frontière espagnole. Six ans après l’écrasement des soulèvements sociaux du Hirak, des milliers de jeunes de la région ont émigré clandestinement. Rien qu’en octobre 2023, plus de 5 000 personnes avaient rejoint les côtes du sud de l’Espagne par bateau.
Les traversées maritimes se font à bord de «go-fast», des «Narcolanchas» en espagnol (« bateaux-fantômes » en français), des embarcations pneumatiques semi-rigides à grande vitesse, qui ont été interdites en Espagne par décret royal en 2018.
L’AMDH Nador a recueilli les témoignages de personnes impliquées, qui signalent que, malgré l’interdiction officielle, l’accès aux équipements nécessaires pour les traversées en mer est pratiquement illimité en Espagne. Selon les rapports, il est très facile d’embarquer avec le matériel et de l’emmener au Maroc. Une fois sur place, les harragas marocain⋅es, en majorité jeunes, sont embarqué⋅es. Le tarif courant pour une place à bord est actuellement de 110 000 MAD (~ €10 000). Le bateau conduit ensuite les harragas vers l’Espagne. Cela se produit généralement sans interférences avec les autorités marocaines ou espagnoles (Guardia Civil). Rien que les 27 et 28 août, 12 de ces « Narcolanchas », ou « go-fast-boats », sont arrivés sur la côte d’Almería. Ils ont débarqué environ 600 passager⋅es. Cette option plutôt coûteuse est hors de portée des Africain⋅es Noir⋅es. Cependant, certain⋅es ressortissant⋅es syrien⋅nes et bangladais⋅es utilisent cette route, iels doivent même débourser jusqu’à 13 000 euros (selon des sources locales). Le prix est très élevé, et l’AMDH part du principe que les autorités profitent de cette activité rentable, puisqu’il n’y a quasiment aucune interférence. Certaines personnes travaillant dans ce secteur sont effectivement arrêtées, comme ce fut le cas le 2 août, mais elles sont rares et espacées dans le temps. L’AMDH a également recueilli le témoignage d’un conducteur de bateau.
Pour les communautés Noires de la région, c’est un prix que la plupart ne peuvent pas se permettre. Les traversées maritimes de ressortissant⋅es subsaharien⋅nes sont encore proches de la stagnation. La route de l’Atlantique étant très dangereuse, beaucoup de gens viennent de Lâayoune ou Tan-Tan vers les forêts en dehors de Nador dans l’espoir que les traversées via la mer d’Alboran reprendront. En attendant, le seul espoir d’atteindre l’Espagne et l’Union européenne est par les clôtures qui séparent la ville coloniale espagnole de Melilla du territoire marocain. Les clôtures ont été le théâtre de nombreux actes violents et illégaux commis par les autorités marocaines et espagnoles ces dernières années. Au lendemain du massacre du 24 juin 2022, qui a attiré l’attention de la communauté internationale et qui a eu lieu dans cette zone frontalière précise (voir rapports précédents), les clôtures sont encore renforcées : 4,9 millions d’euros sont investis du côté espagnol.
«Lorsqu’il s’agit de pauvres migrants qui veulent sauter la barrière avec Melilla on est prêt à commettre un massacre et lorsqu’il s’agit de migrants qui payent 110,000 Dhs chacun pour traverser à bord d’un fantôme, on préfère se taire.» (Source : AMDH Facebook post)
Cela dit, la situation n’est pas facile pour les Harragas Marocain⋅es qui tentent d’atteindre le territoire espagnol. À Nador, même les ressortissant⋅es marocain⋅es ne sont pas exempté⋅es des expulsions forcées hors de la zone frontalière, comme l’observe l’AMDH Nador :
«Devant le centre d’enfermement illégal de mineur situé à Béni Ensar, le bus de refoulement est prêt pour éloigner les mineurs et les jeunes marocains arrêtés lors les raffles opérées quotidiennement à béni Ensar. Des refoulements brutaux et inhumains au cours desquels les mineurs ne reçoivent qu’un morceau de pain (moitié d’un Khobza) lors d’un trajet nocturne de plus de 500 kms pour être jetés à Casablanca. Comme si Nador ne fait pas partie du Maroc. Notre pays où un citoyen marocain devait circuler librement et se retrouver là où il veut.» (Source : AMDH Nador)
Non seulement les jeunes hommes quittent le Maroc, mais des familles entières tentent de partir et d’entreprendre les périlleux voyages de Nador vers Melilla ou vers l’Espagne continentale. Et ce ne sont pas seulement les conditions du bateau, ou météorologiques qui mettent ces vies en danger, mais aussi l’irresponsabilité des autorités elles-mêmes. Par exemple, le 15 mai, un bateau ayant 13 personnes à bord a été repoussé vers le Maroc par les forces navales de la Guardia Civil, ce qui a poussé deux passagers à sauter dans la mer. Un autre incident s’est produit le 1er août, lorsqu’un canot pneumatique s’est renversé à cause des manœuvres de la Guardia Civil et que les passagèr⋅es ont dû être secouru⋅es par des locaux.
La réalité de la régularisation dans la région de Nador
Régulariser son statut à Nador est loin d’être facile. Théoriquement, les personnes en exil peuvent obtenir la carte de séjour comme dans toutes les autres régions de l’Etat marocain. Mais, dans la pratique, l’octroi de ce statut juridique à Nador est beaucoup plus restreint que, par exemple, à Casablanca ou Rabat. Cela est dû à la proximité de Nador avec la frontière terrestre de l’enclave espagnole Melilla. Les autorités tentent d’empêcher un trop grand nombre de personnes en exil de rester à Nador. Comme très peu de personnes parviennent à obtenir une carte de séjour (par exemple celles qui travaillent avec des associations établies), et encore moins parviennent à la renouveler, les personnes en exil sont confrontées à des obstacles et des dangers majeurs dans cette région. Sans papiers, il y a très peu d’opportunités de travail et un accès limité au logement, de sorte que les gens sont forcés de vivre une vie précaire dans des camps de fortune dans la forêt autour de Nador. Les raids violents, les arrestations arbitraires et les déportations fréquentes vers les régions du sud du Maroc sont devenues la norme.
S’enregistrer auprès du HCR en tant que demandeur⋅euse d’asile est un moyen que les gens pourraient, selon le droit international, utiliser pour se protéger contre de tels renvois violents vers le Sud. Mais malheureusement, nous avons vu que même les personnes qui avaient la « carte de réfugié.e » ont été déportées. La sécurité que le document du HCR offre est en fait très limitée. De plus, il n’est pas facile dans la ville frontalière de Nador d’obtenir le document de l’UNHCR et encore moins la carte de réfugié⋅e. Les communautés en déplacement conseillent aux personnes qui veulent essayer cette route de se rendre plutôt à Oujda à cette fin.
4. Algérie : pays à la fois de destination et de transit
Contexte : L’Algérie en tant que pays de destination /de transit
L’Algérie est traditionnellement connue comme un pays d’émigration, principalement vers la France et plus récemment vers l’Espagne et le Canada. Mais depuis la fin des années 1990, le pays a également été une destination majeure pour des milliers de personnes en mouvement, en particulier en provenance des régions du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest. L’immense territoire de l’Algérie (plus de 2,4 millions de km²) borde sept pays : le Maroc et le Sahara occidental à l’Ouest, le Mali, la Mauritanie et le Niger au Sud et la Libye et la Tunisie à l’Est. Sa côte s’étend sur environ 1 000 kilomètres le long de la Méditerranée et ses frontières terrestres s’étendent sur plus de 6 700 kilomètres.
Comme l’expriment M. Saïb Musette et N. Khaled dans leur article « L’Algérie, pays d’immigration ? » :
«Les migrations frontalières, subsahariennes et maghrébines, sont des mouvements qui obéissent à la proximité géographique, à l’histoire des peuples de la région et aux échanges économiques. »
Ces dernières années, l’Algérie a également attiré des personnes fuyant les zones de guerre, comme des Syrien·ne·s qui sont arrivé.es en grand nombre depuis 2012.
En ce qui concerne les migrations entre l’Afrique et l’Europe, l’Algérie joue un rôle clé. C’est un pays d’immigration pour les travailleur.euses migrant.es d’Afrique Occidentale et Centrale et du Sahel (en particulier du Niger), mais aussi un important pays de transit pour les personnes en mouvement, principalement en provenance des pays au sud du Sahara, sur leur chemin vers l’Europe.
Pendant des années, les personnes migrantes d’Afrique subsaharienne ont été fortement demandées dans divers secteurs de l’économie, car il était plus rentable pour les entreprises de les employer que d’embaucher des travailleurs et travailleuses locaux et locales. Ces emplois dans l’économie informelle de l’Algérie ont permis aux personnes de gagner l’argent dont elles avaient besoin pour voyager en Europe. Après quelques mois ou quelques années, iels quittaient le pays, via la Libye ou le Maroc, pour rejoindre l’UE. Mais avec l’intensification des contrôles et le renforcement du régime frontalier avec le Maroc, la Tunisie et avec la Libye (qui est en grande partie le résultat de l’externalisation des politiques migratoires de l’UE), d’innombrables personnes espérant atteindre l’Europe ont été contraintes de rester plus longtemps dans le pays.
Statuts et réalité de la vie des personnes sans permis de séjour en Algérie
a) Le statut de réfugié
Selon les données du HCR, en septembre 2021, environ 98 000 réfugié·e·s reconnu.es vivaient en Algérie. Parmi eux, 90 000 sont des Sahraoui·e·s du Sahara occidental. En outre, à la mi-2021, 8000 personnes, principalement originaires de Syrie, du Mali, de Palestine et du Yémen, avaient été reconnues en tant que réfugié·e·s par le HCR en Algérie.
Les lois algériennes sont très vagues en ce qui concerne le droit international des réfugié·e·s et ne prévoient pas de droit statutaire en matière d’asile. En fait, le « HCR est le seul point de contact en Algérie pour les réfugié·e·s et les demandeur·se·s d’asile ». Les autorités algériennes accordent souvent des permis de séjour aux réfugié·e·s sur présentation de documents d’identité ou de statut délivrés par le HCR. Les réfugié·e·s des pays arabes sont favorisé·e·s par rapport aux réfugié·e·s noir·e·s africain·e·s. Dans ce dernier cas, les autorités ont adopté une politique de plus en plus arbitraire ces dernières années, comme nous l’avons indiqué à plusieurs reprises dans ces rapports. Depuis 2014, l’État algérien a expulsé un nombre massif de personnes reconnues comme réfugié·e·s par le HCR ou de travailleur·se·s migrant·e·s titulaires de visas valides. Ces expulsions ont lieu dans le cadre de vagues répétées de rafles massives conduisant à des expulsions immédiates.
b) Le titre de séjour
Le droit algérien régissant les étrangers couvre non seulement leur entrée dans le pays, mais aussi leur séjour et leur départ. Pour obtenir un titre de séjour algérien, on dispose essentiellement de deux options : soit venir de son pays d’origine en tant qu’étudiant·e avec un visa d’études, soit arriver en Algérie avec un passeport et un visa touristique. Cependant, même dans ces deux cas, « il peut être difficile pour les personnes migrantes de régulariser leur situation administrative en raison de la complexité des procédures et du manque de ressources pour les soutenir dans ce processus », selon un camarade d’AlarmPhone à Oujda.
c) La réalité de vivre sans statut juridique
Nos contacts locaux liés aux communautés migrantes en Algérie rapportent :
- Les personnes sans papiers se trouvent dans des situations très difficiles et sont très exposées à des risques tels que la détention, l’expulsion et l’exploitation.
- Les travailleure·s sont particulièrement touché·e·s, contraint·e·s de se tourner vers le secteur informel, où leurs droits ne sont pas protégé·e·s et où ils et elles sont souvent laissé·e·s à la merci de leurs employeur.se.s. Cette vulnérabilité ouvre souvent la voie à une exploitation économique accrue.
- L’éducation des enfants est également rendue très difficile. Les enfants de personnes migrante·s se voient refuser l’inscription dans les écoles ou dans les cours de formation professionnelle.
Traversées et cas Alarmphone
De mars à octobre 2023, Alarmphone a été impliqué dans 19 cas sur la route de la Méditerranée occidentale entre l’Algérie et l’Espagne. À de nombreuses reprises (12 cas AP), les bateaux ont disparu et le sort des personnes est encore inconnu. C’est le cas d’un bateau qui a quitté Tipaza (au nord d’Alger) le 7 juin avec à son bord 14 à 16 personnes toujours portées disparues au moment de la rédaction de ce document. Beaucoup d’autres bateaux ont fait naufrage, par exemple un bateau qui est parti deux jours auparavant, le 5 juin, avec 22 personnes à bord. Aussi forte que soit notre colère contre les responsables du régime frontalier, notre solidarité et notre cœur vont aux familles et aux proches de celles et ceux qui ont disparu ou sont mort.es. Dans trois cas AP, les personnes ont réussi à atteindre l’Espagne et nous leur souhaitons chaleureusement la bienvenue.
Arrestations, expulsions et crise humanitaire
Encore une fois, les mots manquent pour décrire les pratiques épouvantables et racistes de l’État algérien à l’encontre des personnes immigrantes Noires. En mars, Alarm Phone Sahara (APS) a fait état d’une « crise humanitaire » dans le village d’Assamaka, à 15 km de la frontière entre le Niger et l’Algérie, à la suite des expulsions et expulsions massives effectuées par les autorités algériennes (au moins 24 250 personnes en 2022 selon APS).
“Les personnes expulsées sont des femmes, y compris des femmes enceintes, des enfants et des mineur.es, ainsi que des hommes, qui ont souvent fait un voyage éprouvant dans des bus et des camions à travers le désert. Beaucoup d’entre elles et eux ont été systématiquement battu.es, maltraité.es et dépouillé.es par les forces de sécurité algériennes. Une fois arrivées au Niger, ces personnes se retrouvent dans une misère totale.” Source : APS
En mai, des Guinéen·e·s et des Ivoirien·ne·s bloqué·e·s à Assamaka ont également tiré la sonnette d’alarme et un groupe de travail composé de structures institutionnelles et de la société civile a été mis en place par les autorités d’Agadez. Selon APS, au moins 19 686 personnes ont été expulsées d’Algérie de l’autre côté de la frontière avec le Niger « dans des conditions de violence et d’abus systématiques entre le 1er janvier et le 16 juillet 2023 ». Ces chiffres sont beaucoup plus élevés que ceux des années précédentes pour les mêmes périodes. Le coup d’État militaire du 26 juillet au Niger n’a pas empêché les expulsions depuis Algérie. 679 personnes expulsées sont arrivées à Assamaka par convois le 31 juillet et le 1er août, et des milliers d’autres sont bloquées dans un pays profondément instable en proie aux sanctions.
5. Régularisation en Espagne : intentionnellement difficile à réaliser
Dans l’État espagnol, il existe différentes façons de régulariser sa situation et d’obtenir des documents. Il n’est pas facile d’avoir un statut juridique avec les droits fondamentaux. Le statut n’est jamais accordé automatiquement et peut toujours être révoqué. Il ne s’agit pas d’un bug dans le système, mais il est conçu précisément de cette manière.
Les principaux parcours sont les suivants :
- Intégration sociale (« arraigo social ») : bien qu’il s’agisse en théorie d’un moyen exceptionnel d’obtenir des documents, il s’agit en réalité du moyen le plus utilisé. Vous aurez besoin de 3 ans de résidence légale (empadronamiento), aucun casier judiciaire, un contrat de travail qui répond à des exigences spécifiques, et un rapport « d’intégration sociale ».
- Vie familiale : union civile ou mariage avec une personne de nationalité de l’espace Schenguen qui vit en Espagne, travaille actuellement et qui n’a pas d’antécédents judiciaires.
- Intégration économique (« arraigo laboral ») : vous devrez avoir au moins 2 ans de résidence légale et prouver que vous avez travaillé irrégulièrement pendant au moins 6 mois avec des justifications de votre employeur.se.
- Regroupement familial : si votre parent direct est titulaire d’un permis de séjour dans l’État espagnol, vous pouvez obtenir une autorisation d’entrée pour vous rendre en Espagne afin de les rejoindre. Le membre de la famille dans l’État espagnol doit déjà avoir renouvelé son permis au moins une fois. Les ressources économiques et le logement «adéquat» doivent être démontrés par un rapport. Ce processus prend beaucoup de temps, parce qu’il faut d’abord prouver qu’on répond aux exigences pour même faire une demande de cette manière.
- Intégration par l’éducation : vous pouvez recevoir un permis de séjour après deux ans de formation professionnelle agréée, mais cela ne vous donne pas le droit de travailler. Pour obtenir un permis assorti d’un droit de travailler, il faut une offre d’emploi. Cela est difficile à obtenir, car les employeur.se.s ne veulent pas attendre le temps qu’il faut pour que la demande de permis de travail supplémentaire soit traitée.
- Violence à l’égard des femmes : si une femme obtient une ordonnance de protection ou une autre preuve qu’elle est victime de violence à l’égard des femmes, elle pourrait tenter de s’en servir comme motif pour demander un changement de statut. La preuve pourrait être un rapport ou une condamnation à l’encontre de l’auteur.
- Asile et protection internationale : si l’État espagnol est le pays par lequel vous êtes entré en Europe, vous devez démontrer qu’il existe un risque de persécution en cas de renvoi dans le pays d’origine. En fait, cela est accordé dans très peu de cas. Par exemple, en 2022, l’Espagne n’a accordé l’asile qu’à 16 % de toutes les demandes, la moyenne européenne se situe également à un niveau plutôt décevant de 38 %. Cependant, la plupart des demandeurs peuvent obtenir une carte temporaire simplement pour éviter d’être expulsés et, dans certains cas, cela leur donne le droit de travailler.
- Contrat d’origine : si vous pouvez obtenir un contrat d’une entreprise envoyée dans votre pays d’origine, vous pouvez peut-être déménager en Espagne, mais cela ne s’applique qu’à certains emplois très spécifiques pour lesquels il y a une pénurie de candidat.es.
- Maladie imprévue : si vous pouvez prouver, conformément aux normes juridiques, que vous avez développé la maladie en Espagne, que dans votre pays d’origine il n’y a pas d’accès au traitement dont vous avez besoin, et que votre intégrité physique sera en danger si vous n’avez pas accès aux soins médicaux disponibles dans l’État espagnol, vous pourriez bénéficier d’un permis de séjour.
Il existe d’autres voies très précises, compliquées et laborieuses.
Malgré l’existence de toutes ces procédures, le simple fait d’obtenir les documents nécessaires à la régularisation est très difficile pour les étranger·e·s sans ressources financières. Il s’agit d’une décision délibérée, puisque le système est conçu pour empêcher l’accès à un statut sécurisé. Dans des rapports antérieurs, nous avons déjà démontré qu’il est dans l’intérêt du capitalisme européen de maintenir une main-d’œuvre migrante sans droits ni statut juridique. Les personnes dans une telle position sont faciles à exploiter. L’assistance médicale, les droits au travail, l’accès à l’éducation, etc. ne sont pas disponibles pendant que vous attendez un permis de séjour ou d’emploi. Même après que vous en obtenez un, il peut facilement être perdu pour diverses raisons. Entre-temps, la peur quotidienne d’être dénoncé.e ou expulsé.e rend plus difficile la revendication ouverte de vos droits, par exemple dans le cadre d’activités essentielles comme les soins ou le travail agricole.
La bureaucratie est lourde, par exemple, il y a actuellement plus de 3 000 procédures bloquées dans la seule ville de Barcelone. Les procédures sont longues. En raison de la lenteur de l’administration, les documents que les gens doivent fournir au cours du processus perdent leur validité, ce qui ralentit encore plus la procédure. Il est souvent impossible d’obtenir un rendez-vous au bureau de l’immigration en raison d’un manque d’information et de l’effondrement fréquent du système. Parfois, les gens paient des honoraires élevés à des « professionnels » qui vendent des rendez-vous avec les autorités de l’immigration et profitent ainsi de leur terrible situation. En outre, l’arbitraire, les mauvais traitements et la violence institutionnelle raciste persistent continuellement dans tous ces mécanismes.
Et cette situation ne finit jamais. Lorsque vous obtenez votre résidence, vous ne pouvez pas vous reposer parce que vous devez toujours renouveler vos papiers, répondre à de nouvelles exigences, payer de nouveau les frais, embaucher des professionnels, etc. C’est une façon de garder les gens, surtout celles et ceux qui sont dans des situations de plus grande précarité, dans un racket continu d’extorsion. Elle cause de la douleur, de l’angoisse et une incertitude sans fin.
En mars 2020, un mouvement de résistance a démarré de différents collectifs de migrant.es dans tout l’État. Le mouvement, appelé Regularización Ya ! appelle à une régularisation massive de la situation administrative des personnes immigrantes en utilisant l’outil d’une initiative législative populaire (Iniciativa Legislation Popular, ILP). Il s’agit d’un mécanisme par lequel les citoyen.ne.s peuvent proposer des lois pour examen, débat et approbation au Congrès des députés en recueillant 500 000 signatures.
Le fait que pour le mécanisme ILP, les signataires doivent être titulaires d’une carte d’identité espagnole si la proposition doit se rendre jusqu’au Congrès souligne le fait que le système espagnol ne tient guère compte des personnes issues de la communauté migrante, même lorsqu’il s’agit de leurs propres demandes et besoins. Grâce à la mobilisation et à la coordination de nombreux collectifs, 710 429 signatures ont été recueillies. Cela a au moins mis en évidence l’oppression à laquelle les personnes migrantes sont confrontées.
6. Shipwrecks & missing people
Le 01 mars, une personne décédée est retrouvée à environ 200 km au nord de Dakhla, au Sahara occidental.
Le 8 mars, les adolescents Mohamed et Yawad disparaissent dans la mer d’Alboran en essayant de nager vers Ceuta, en Espagne.
Le 21 mars, un bateau avec 47 personnes à bord chavire au large de la ville d’Argoub, Dakhla, Sahara occidental. Douze corps morts sont repêchés, neuf personnes sont secourues et les 26 autres sont toujours portées disparues.
Le 21 mars, un bateau avec 15 personnes à bord disparaît. L’embarcation avait quitté Cherchell, en Algérie, en direction du continent espagnol.
Le 22 mars, un bateau avec 14 personnes à bord part d’Oran, en Algérie, à destination d’Almeria, en Espagne. Alarm Phone conclut que neuf personnes ont été secourues par le SM et que cinq sont toujours portées disparues.
Le 22 mars, un corps mort est retrouvé sur la plage de Benítez, à Ceuta, en Espagne.
Le 3 avril, Alarm Phone conclut qu’un bateau avec 14 personnes à bord, parti d’Oran pour Almeria le 22 mars, a été secouru. Cinq personnes sont toujours portées disparues.
Le 3 avril, Alarm Phone est informé par des proches qu’un bateau avec 15 personnes à bord a quitté Cherchall en direction de Carthagène, en Espagne. On nous dit qu’il est porté disparu depuis le 21 mars et qu’il n’y a toujours pas de nouvelles.
Le 8 avril, un bateau avec 12 personnes à bord fait naufrage au large de Guelmim, dans le sud du Maroc. Onze d’entre elles meurent et une seule personne peut être sauvée.
Le 18 avril, deux passagers d’un zodiac meurent au cours de leur voyage entre Oran (Algérie) et Almería (Espagne). Le bateau était parti avec 20 personnes à bord. Les médias rapportent que le bateau a été frappé par de fortes vagues et qu’il est resté à la dérive pendant un jour et demi. Trois personnes sont arrêtées et inculpées d’homicide involontaire.
Le 19 avril, 19 personnes, dont sept femmes et une fillette, meurent dans un naufrage sur la route des Canaries.
Le 2 mai, Alarm Phone est alerté par des proches d’un bateau parti d’Oran, en Algérie, le 26 avril, avec 17 personnes à bord. Ces personnes sont toujours portées disparues.
Le 3 mai, Alarm Phone est informé que le corps d’Azzedine et d’une fillette de 5 ans ont été retrouvés sur la plage de Benslimane, au Maroc. Ils avaient quitté Skhirat, au Maroc, pour tenter de rejoindre Cadiz, en Espagne, avec 26 autres personnes qui sont toujours portées disparues.
Le 6 mai, Alarm Phone rapporte que plusieurs corps ont été rejetés sur le rivage dans diverses zones côtières du Maroc, notamment à Mohammedia, Kenitra et Benslimane.
Le 16 mai, un corps est repêché dans les eaux du port de Ceuta, en Espagne. La personne portait une combinaison en néoprène et on suppose qu’elle est morte alors qu’elle tentait de se rendre clandestinement en Espagne en tant que passager caché dans un bateau.
Le 23 mai, un jeune homme est abattu d’une balle dans le cou lors d’un contrôle d’immigration, alors qu’il tente de monter à bord d’un bateau pneumatique à destination des îles Canaries. Selon les survivants, les militaires marocains ont tiré jusqu’à quatre coups de feu au moment où le bateau quittait une plage au sud du cap Boujdour, au Sahara occidental. Trois personnes tombent à l’eau et retournent au Sahara occidental. Les survivants ont demandé une enquête mais la police les a arrêté et déportés. Le 25 mai, le bateau arrive à Gran Canaria, mais malheureusement quatre autres personnes meurent pendant le voyage.
Le 4 juin, un corps mort est retrouvé par un cargo dans le détroit de Gibraltar, à 20 km au large de Ceuta, en Espagne. Il ne porte pas de combinaison en néoprène, mais d’autres accessoires, tels qu’une planche et un flotteur, sont retrouvés, ce qui indique qu’il essayait probablement de rejoindre la côte de Cadiz, en Espagne.
Le 5 juin, Alarm Phone est informé de la disparition d’un bateau de 30 personnes parti de Nianig, au Sénégal. (Alarm Phone Dakar)
Le 6 juin, une embarcation avec 26 personnes à bord coule au large des côtes algériennes, à Al-Arhat, Tipaza. Six corps sont repêchés. Une personne survit. Les 19 autres personnes sont toujours portées disparues. Certaines familles publient sur les réseaux sociaux les noms de leurs enfants qui se trouvaient à bord de l’embarcation. Il s’agit de : Salah Youssef, Masoud Muhammad, Yasmine Jawdat Saadi, Halima Muhammad Mustafa, Farman Adeeb Daly, Salah Mahmoud Youssef, Mahmoud Karaou Khalil, Masoud Mustafa Muhammad, Ola Abdul Razzaq, Lareen Muhammad, Princesse Muhammad Habash, Sheyar Muhammad (Afrin), Jamila Muhammad Ali (Afrin), Ahmed Kiko, Adeeb et sa femme, Farman Halim. Toutes ces personnes sont kurdes.
Le 7 juin, Alarm Phone est en contact avec les proches d’un bateau parti un mois plus tôt de Tipaza, en Algérie, avec 14 à 16 personnes à bord, en direction de l’Espagne. Ces personnes sont toujours portées disparues.
Le 9 juin, deux bateaux avec 132 personnes à bord parviennent à Almeria, mais les passager.es sont contraint.es de nager jusqu’à la côte. Deux personnes se noient en tentant de rejoindre la terre ferme à la nage.
Le 17 juin, Alarm Phone est informé de la disparition d’un bateau avec à son bord 30 personnes originaires de Saint-Louis du Sénégal. (AlarmPhone Dakar)
Le 17 juin, Alarm Phone est alerté par des proches de la disparition d’un bateau d’environ 50 personnes dans la mer Atlantique. Le bateau était parti une semaine auparavant d’Agadir, au Maroc. Les familles des personnes disparues se sont rassemblées devant la mairie pour dénoncer le gouvernement et exiger une enquête et un soutien de la part des autorités responsables. Elles se sont rassemblées pour nourrir l’espoir et pleurer leurs proches disparu.es. Deux semaines plus tard, les personnes étaient toujours portées disparues.
Le 20 juin, un bateau de pêche repère un canot pneumatique avec 53 personnes à bord, dont une femme enceinte déjà décédée, à moins d’un kilomètre de la côte de Los Cocoteros, à Lanzarote, en Espagne.
Le 21 juin, Alarm Phone est alerté d’un naufrage avec au moins 59 personnes sur la route de l’Atlantique. Seules 24 personnes sont récupérées par la marine marocaine. Au moins 35 personnes sont toujours portées disparues.
Le 21 juin, six personnes meurent lorsque la marine marocaine s’interpose face à leur bateau transportant 56 personnes. Les personnes avaient embarqué dans la région de Nador.
Le 27 juin, Alarm Phone est informé que 55 personnes sont portées disparues alors qu’elles se rendaient de Guelmin aux îles Canaries. Les proches n’ont eu aucun contact depuis leur départ le 22 juin.
Le 1er juillet, Alarm Phone est informé d’un naufrage avec 55 personnes. Seules quatre personnes survivent et sont transportées à l’hôpital de Laayoune, au Maroc.
Le 3 juillet, un bateau avec 65 personnes à bord est secouru par le Salvamento Maritimo au sud de Tenerifa, en Espagne. Une personne est retrouvée morte à bord.
Le 3 juillet, Alarm Phone est informé de la disparition d’un bateau parti du Sénégal avec au moins 40 personnes à son bord. (Alarm Phone Dakar)
Le 3 juillet, au moins 51 personnes meurent dans un naufrage en route vers les îles Canaries, en Espagne. Seules quatre personnes peuvent être sauvées.
Le 11 juillet, le corps sans vie d’un bébé est retrouvé sur la plage de Tarragona, en Espagne.
Le 13 juillet, un bateau transportant 56 personnes chavire au large de Saint-Louis, au Sénégal. On sait que six personnes sont mortes. (Alarmphone Dakar)
Le 13 juillet, plus de 300 personnes originaires du Sénégal ont disparu dans l’océan. Les gens voyageaient à bord de trois bateaux depuis un village du Sénégal vers les îles Canaries en Espagne. Caminando fronteras rapporte qu’il y avait environ 200 personnes sur l’un des bateaux, environ 65 sur le deuxième bateau et 60 sur le troisième. Iels seraient partis du village de Kafountine, dans le sud du Sénégal.
Le 14 juillet, un naufrage se produit dans les eaux internationales au large des côtes algériennes. Une seule des 11 personnes à bord survit.
Le 14 juillet, un bateau transportant 40 survivant⋅es est secouru par la marine marocaine à Dakhla, au Sahara Occidental. 20 personnes meurent pendant la traversée. Leurs corps sont toujours perdus en mer. Iels avaient quitté le Sénégal 18 jours auparavant. (Alarmphone Dakar)
Le 15 juillet, Alarm Phone est contacté par des proches qui recherchent six personnes disparues dans la région méditerranéenne occidentale. Elles avaient quitté le Maroc deux jours auparavant.
Le 16 juillet, un bateau est retrouvé au bout de cinq jours à la dérive loin des côtes espagnoles. 13 personnes ont été secourues, mais quatre personnes sont portées disparues.
Le 18 juillet, Alarm Phone est informé d’un naufrage survenu le 16 juillet au large du Sahara Occidental. Le bateau de 61 personnes avait chaviré. 37 personnes survivent et 24 meurent.
Le 20 juillet, au moins 13 personnes sont mortes dans un naufrage au large des côtes marocaines. Le bateau avait quitté le Sénégal avec 63 personnes à bord. D’autres sources font état de 18 décès.
Le 22 juillet, un bateau chavire près des côtes marocaines. Au moins six personnes meurent. 48 survivent au naufrage.
Le 22 juillet, trois bateaux arrivent sur la côte d’Almeria, en Espagne. Dans le premier bateau une personne est retrouvée morte, probablement pendant la traversée.
Le 24 juillet, au moins 16 personnes sont mortes lorsqu’un bateau a accosté au large d’Ouakam, à Dakar, au Sénégal.
Le 24 juillet, six personnes se sont noyées au large de Nador, au Maroc, alors qu’elles tentaient de rejoindre l’Espagne lorsque leur canot pneumatique s’est écrasé. 48 personnes ont réussi à retourner à la nage sur la côte marocaine et à survivre à la tragédie.
Le 25 juillet, au moins 17 personnes ont été retrouvées mortes après le chavirement d’un bateau au large de Dakar, au Sénégal. Le bateau transportait plus de 100 personnes et avait été porté disparu plus de deux semaines auparavant.
Le 25 juillet, au moins cinq personnes se sont noyées lorsqu’un bateau transportant environ 60 personnes a coulé au large des côtes du Sahara occidental, selon l’Association Marocaine des Droits Humains (AMDH).
Le 25 juillet, un bateau de 83 personnes est secouru près de l’île de Las Palmas, en Espagne. Les corps de deux personnes décédées au cours de leur voyage vers les îles Canaries ont été retrouvés.
Le 25 juillet, un bateau de 84 personnes est trouvé près de l’île de Gran Canaria, en Espagne. Une personne meurt.
Le 5 août, un bateau transportant 194 personnes est intercepté. Les survivant⋅es et cinq personnes décédées sont amené⋅es à Dakhla, au Sahara Occidental. Onze personnes se trouvent dans un état critique et sont hospitalisées.
Le 10 août, au large de la plage de Dakar, une centaine de personnes se préparent à partir pour les îles Canaries. La police sénégalaise repère le groupe et, après avoir tiré en l’air pour disperser la foule, un gendarme ouvre le feu sur la foule alors que les personnes rentrent chez elles. Un jeune garçon est touché par derrière par une balle et meurt sur le coup. D’autres mesures doivent encore être prises dans cette affaire. (Source : Alarm Phone Dakar)
Le 13 août, Alarm Phone est alerté sur un bateau disparu avec environ 13 personnes qui étaient parties d’Oran, en Algérie, pour l’Espagne.
Le 14 août, après un mois de dérive en mer, un bateau est repéré dans l’océan Atlantique, à environ 275 kilomètres de l’île de Sal, au Cap-Vert. 38 personnes sont secourues depuis le bateau sinistré par un bateau de pêche espagnol. Les autorités sénégalaises ont confirmé que le bateau transportant 102 personnes était parti de Fass Boye, au Sénégal, le 10 juillet, en route pour les îles Canaries. Selon le rapport de l’OIM, plus de 60 personnes seraient mortes. Selon les médias, les jeunes manifestent dans les rues pour exprimer leur chagrin et leur colère. Ils accusent les autorités responsables de retarder les opérations de recherche et de sauvetage.
Le 22 août, AlarmPhone est informé du départ d’un bateau avec environ 60 personnes d’Akfhenir pour Lanzarote, en Espagne. Le 28 août, AlarmPhone apprend que le bateau a été secouru par les autorités marocaines. Six personnes sont mortes en tentant de traverser.
Le 24 août, des proches ont informé AlarmPhone qu’un bateau avec environ 20 personnes avait disparu de Casablanca, au Maroc, vers l’Espagne. Le 30 août, AlarmPhone a appris par des proches qu’il y avait eu au total 25 voyageurs à bord du bateau. Dix personnes sont retournées sur terre après avoir passé huit jours en mer sans nourriture ni eau. 15 personnes sont toujours portées disparues.
Le 28 août, Alarm Phone a été informé que 12 garçons partis d’Alger, en Algérie, vers l’Espagne avaient disparu.
Le 30 août, un bateau avec 58 personnes à bord fait naufrage au large de Tan-Tan, au Maroc. Trois jeunes disparaissent en mer en tentant de rejoindre les Canaries depuis la côte marocaine. Six personnes sont secourues par un pêcheur.
Le 31 août, Alarm Phone a été informé par des proches d’une embarcation disparue avec 46 personnes qui étaient parties de Tan-Tan, au Maroc, cinq jours auparavant, pour tenter de rejoindre les îles Canaries.
Le 31 août, un autre bateau a disparu sur la route de l’Algérie. ~11 personnes ont quitté Mostaganem, Algérie le 25 août, pour l’Espagne. Après plus de six jours en mer, les personnes sont secourues sur l’île de Cabrera, en Espagne. L’un d’eux meurt pendant la traversée.
Le 6 septembre, une personne disparaît en nageant du Maroc à Ceuta, en Espagne.
Le 10 septembre, un naufrage a lieu à 80 km de Gran Tarajal, Fuerteventura, Espagne. 12 ou 13 personnes se noient avant l’arrivée des secours, 38 personnes survivent.
Le 14 septembre, Alarm Phone a été alerté au sujet d’un bateau disparu avec 10 personnes en détresse entre Oran, l’Algérie et l’Espagne. Les voyageurs et voyageuses sont parties le 11 septembre et depuis lors, personne n’a eu de nouvelles.
Le 14 septembre, un autre bateau transportant 16 personnes est parti de Mostaganem, en Algérie, et a disparu à Alarm Phone.
Le 16 septembre, un bateau de Tan-Tan, au Maroc, prend feu. ~10 personnes ont été hospitalisées au Maroc. Ils rapportent que certaines personnes ont été brûlées vives. D’autres ont sauté dans l’eau et n’ont pas été revues depuis. Parmi les survivant.es, celles et ceux qui ont été gravement brûlé.es sont toujours hospitalisé.es. Les autres ont été arrêté.es et craignent la répression des autorités marocaines, en plus d’avoir enduré cette expérience traumatisante.
Le 17 septembre, Alarm Phone signale un naufrage sur la route algérienne. Plus de 25 personnes ayant quitté Mostaganem le 11 septembre sont mortes en tentant de rejoindre l’Espagne.
Le 19 septembre, un corps mort est échoué sur la plage de la Ribera, à Ceuta, en Espagne. On suppose que la personne est morte en essayant de nager du Maroc à Ceuta.
Le 20 septembre, une personne est morte lors d’une tentative de nage entre le Maroc et Ceuta. Ses restes sont échoués sur la plage de la Almadraba, à Ceuta, en Espagne.
Le 22 septembre, environ 38 personnes ont disparu dans la mer Atlantique.
Le 28 septembre, un bateau transportant plus de 30 personnes atteint Cadiz, en Espagne. Au moins une personne meurt au cours de ce voyage de six jours.
Avis de non-responsabilité concernant notre terminologieAlarm Phone est un réseau d’activistes bénévoles. La plupart des membres d’Alarm Phone dans la région de la Méditerranée occidentale et de l’Atlantique sont originaires d’Afrique de l’Ouest ou d’Europe. Par conséquent, nous sommes beaucoup plus ancré.es dans les communautés de personnes en mouvement des pays d’Afrique de l’Ouest que dans les communautés de Harraga du Maghreb. Cela conduit inévitablement à une sous-représentation des expériences de ce dernier groupe. La seule façon de remédier à ce problème est d’élargir notre champ d’action et de travailler à la construction d’une véritable communauté transnationale de résistance. C’est un travail lent et laborieux, mais nous nous y engageons. Le langage que nous utilisons est important. Les mots que nous utilisons portent également le poids de leur histoire, et c’est une histoire de pouvoir. Nous luttons constamment pour voir le monde le plus justement possible et pour trouver la bonne description de ce que nous voyons. Il n’existe pas de point de vue unique qui puisse tout englober. Pour voir le monde correctement, nous avons besoin d’une vision kaléidoscopique. Ce rapport est un travail collectif. De nombreux auteurs et autrices n’écrivent pas dans leur langue maternelle et la plupart des témoignages sont également présentés dans une deuxième ou une troisième langue. Nous considérons cela comme une force. Nous ne souhaitons pas régimenter le langage utilisé dans nos descriptions des personnes et de leurs antécédents. Si quelqu’un peut refuser le terme “subsaharien.ne” parce qu’il implique une infériorité et préférer “Noir.e” ou “Africain.e noir.e”, un.e autre peut rejeter la racialisation implicite de ces derniers termes. De même, certain.es d’entre nous évitent de parler de “migrant.es” et préfèrent mettre l’accent sur la personne en parlant de “personnes en mouvement” ou “personne exilée/en exil”, mais pour d’autres, ce langage est compliqué et peu naturel, et nous sommes fier.es d’être des migrant.es. Nous avons laissé, dans la mesure du possible, les différents choix de description des auteurs et autrices, en particulier lorsque la personne est elle-même une personne exilée / migrante. |